Chapitre 27

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***Johan***

— J'ai trouvé !

Ce cri d'exclamation me sortit de ma torpeur. Henriette dévala les escaliers du bastingage et vint me trouver sur le pont en hurlant de joie :

— J'ai trouvé, Johan ! J'ai trouvé !

Comme je ne réagissais point, elle me força à me lever et me secoua brutalement par mon col.

— Enfin, bougre d'abruti ! Ce n'est pas le moment de faire la sieste, tu entends ?! Je te dis que j'ai trouvé ! me criait-elle dans les oreilles.

— Ooooh, on se calme ! la suppliai-je.

— Que je me calme ?! fit-elle en me lâchant et regardant tous les marins qui s'étaient rassemblés autour de nous à l'appel du bruit. Que je me calme ?! Mais regardez-vous donc tous ! On dirait des gens maltraités, des ivrognes bourrés depuis des semaines ! Est-ce que je voulais diriger un bateau comme celui-là, moi ? Non ! Alors bougez-vous, nous avons du pain sur la planche ! Mais où est donc encore passée cette misère de vigie ?!

Tous les marins s'étaient à présent levés, mais il manquait toujours Mira à l'appel. Et il ne redescendrait pas de si tôt, vu son état et celui d'Henriette.

— Tant pis, se résigna-t-elle. Nous commencerons sans lui. Messieurs, approchez, s'il vous plaît !

Les hommes dévisagèrent Henriette d'un mauvais œil mais l'écoutèrent tout de même. La jeune fille, sans se laisser abattre, commença à déclamer sa trouvaille.

— Nous sommes partis de Saint-Malo. Nous avons navigué sur toute la côte Ouest de la France. Nous avons longé l'Afrique et fait une halte à Luanda ! Tout ça en deux mois ! Et maintenant, nous arrivons enfin à la destination de notre périple !

Tous les marins restèrent bouche-bée. Arrivés. Nous étions arrivés.

— Mais où ? s'exclama une voix dans l'assemblée.

C'était bien là la question que tout le monde se posait.

— Mais au Cap de Bonne-espérance ! s'impatienta Henriette.

    Silence. Personne ne pipait mot. La torpeur des derniers jours nous clouait sur place, nous n'avions plus aucune réaction. Une nouvelle réalité s'imposa à moi : Henriette était le feu, la jeunesse, l'insouciance pure et belle, la naïveté mais surtout cette flamme qui avait besoin de grandir toute seule. Elle était notre cheffe. Si elle n'avait pas la vivacité, l'endurance de la jeunesse, personne ne l'avait. Si la colère la démangeait, tout le monde était en colère. J'avais trop vécu avec Henriette ces derniers temps pour m'intéresser aux autres marins, ne trouvant pas leur compagnie captivante. Mais je les avais surestimés. Il n'y avait qu'eux pour s'engager dans une aventure aussi dénuée de sens. Il n'y avait qu'eux qui pouvaient faire confiance à une gamine. Oui, ils étaient bel et bien au courant de ce qui allait suivre en embarquant avec Henriette.

Après cette révélation si frappante, je me tournai vers notre capitaine qui essayait de bouger les marins. Ils se réveillaient petit-à-petit, doucement, se callant sur l'humeur de la cheffe. Je souris. Que des braves hommes, ces gens-là. Enfin, mon amie arriva à moi. Elle me jaugea d'un air goguenard, presque plein d'insolence.

— Tu as vu ? chuchota-t-elle, excitée. Ils m'aiment toujours autant !

Je ne répondis pas, seulement lui rendis-je son sourire mais avec plus de suffisance.

Vraiment, je ne lui pardonnais pas sa violence des derniers temps.

***Mira***

    Les hommes dansaient sur le pont, se tenant la main, s'attrapant les uns et les autres pour se lancer dans une farandole effrénée.

C'était pathétique.

    De plus, je savais pourquoi ils dansaient. Et cela m'énervait au plus haut point. Oui, j'étais allé fouiller dans la cabine d'Henriette, et alors ?! Ce n'était pas comme si j'y allais tous les soirs... Bref, tout cela m'indifférait. Je ne voyais pas pourquoi l'on devrait se réjouir parce que nous arrivions enfin à Bonne-Espérance. Je savais depuis des semaines notre destination, et pourtant, aucune manifestation émotive vint ébranler les habituelles : tristesse, chagrin, culpabilité. Et tout cela dirigé vers la même personne qui dansait rageusement sur le pont. C'était pathétique, encore une fois. Elle n'était même pas heureuse d'arriver, elle ne savait plus où elle était. Ni où aller.

Comme moi.

ChavirerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant