Chapitre 25

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***Mira***

Depuis ce dernier soir, Henriette semblait plus en paix avec elle-même. Elle arrêtait de vouloir brutaliser le monde, mais restait quand-même sur ses gardes. On ne savait jamais quand une rébellion pouvait exploser en pleine mer.

Moi, je continuais à surveiller les environs, sur ma petite nacelle, impassible.

Non, pas si impassible que ça. Déclarer ma flamme à haute voix m'avait encore plus éclairé sur l'importance qu'elle prenait en moi. Oui, j'avais tout déballé à Henriette, comme elle l'avait si bien fait pour moi. Je me sentais en devoir de lui fournir un autre de mes secrets car c'était ce qu'elle avait fait. Et un secret de taille, en plus. Mais la capitaine fut vaincue par le sommeil, ou c'était plutôt elle qui avait gagné la bataille. Bref, elle ne m'avait pas entendue.

Et cela, je ne le digérais pas.

Malgré cet instant désagréable, je continuais de me comporter normalement avec la capitaine. En aucun cas, je ne me serais permis de la déranger pour une chose que je trouvais... insignifiante. A cette pensée, je soupirai. Pourquoi devais-je toujours m'interdire des sentiments ? La liberté m'avait consumé jusqu'au plus profond de mon être, et maintenant, c'était le mensonge sur moi-même !

- Mira ! Encore à bailler aux corneilles ! Viens ici qu'on te bouge un peu ! cria Elodie, de l'autre bout du pont.

Je souris. Elodie était vraiment une femme adorable, je n'aurais jamais pu le concevoir. Alors, je la rejoignis pour ma leçon quotidienne.

La nuit...

Un bruissement étouffé attira mon attention, ce soir-là. Je dévisageai curieusement l'endroit d'où il provenait, et une tête blonde apparut en grommelant.

- Saleté de vigie ! jura Henriette. Toujours à avoir l'oreille fine !

- Et c'est heureux !

Je ris doucement en l'aidant à monter, lui tendant ma main. Elle la repoussa d'un geste énervé. Quand elle fut dans la nacelle, elle me lança un regard exaspéré, que j'aurais pris mal, si je ne connaissais pas autant cette fille.

- Je suis un homme, Mira ! Est-ce que tu tendrais la main à un homme ? me réprimanda-t-elle.

- Si ce dernier est en difficulté, assurément, répondis-je, toujours amusé.

- Et je ne l'étais pas !

- Si, tu étais une demoiselle en détresse.

Henriette me gratifia d'un regard aussi noir que les nuages créaient la nuit. Moi, je n'y fis pas attention, tellement je trouvais drôle de la faire démentir. Mon amie s'assit à mon côté et, sans plus de cérémonie, se blottit contre moi. Je fus plus que surpris par ce geste. Laissant toutes traces d'humour hors de moi, je murmurai :

- Encore ce maudit sommeil qui refuse de céder à la violence Sa Majesté ?

Oups, peut-être pas toutes les traces d'humour, finalement.

- Idiot, souffla-t-elle.

Un lourd silence plomba l'atmosphère, avant qu'Henriette ne répondit à ma question.

- En effet.

Simple, court et efficace. Comme elle. Je laissai échapper un bâillement. Peut-être que j'aurais dû être gêné, en présence de la capitaine, mais rien ne se manifesta. C'était comme si Henriette et moi n'étions que de simples enfants.

- Tu sais, je me demande ce qu'aurais été notre vie si, au dernier moment, j'avais décidé de rester à Luanda, dit soudain mon amie.

- Comment ça ?

Henriette se redressa juste assez pour pouvoir me faire face. Ses cheveux blonds mal coiffés lui tombaient devant les yeux. Je les relevai et le plaçai derrière son oreille.

- Imagine que, reprit-elle non décontenancée par mon geste, je te trouvais, t'engageais mais, au dernier moment, décidais de rester dans ta ville natale. Qu'aurais-tu fait ?

Je la fixai dans les yeux. Sa question cachait quelque chose. Sa posture cachait quelque chose. Son attitude était contradictoire à ses principes. Elle n'était pas là, tout contre moi, pour rien. Sentant la supercherie, je m'écartai d'elle, méfiant.

- Pourquoi me demandes-tu cela ?

Ses yeux exprimèrent de la peur, tout à coup. Comme si s'arracher de moi lui pesait.

- Tout simplement pour savoir si tu serais resté avec moi... Pour savoir si notre amitié n'est pas du tout ce que je crois... Pour savoir si... nous sommes vraiment amis.

Sa voix, douce à l'instant, me subjugua. Elle était sincère. Je me détendis imperceptiblement.

- Je ne sais pas, fis-je. Peut-être t'en aurais-je voulu. Je ne serais certainement pas resté. Ou... Enfin, peut-être si, par peur que tu te décides à partir sans moi.

Son regard se voila. La joie n'était plus présente.

- Tu restes avec moi parce que je suis... la capitaine ? Pas pour... autre chose ? bégaya-t-elle.

- Non ! m'empressai-je de la contredire, sentant sa colère monter. Tu es une véritable amie, Henriette ! Jamais je ne profiterais de tous tes moments de liberté !

Trop tard. Ses yeux marrons déjà assombris par son voile de tristesse devinrent noir d'encre. Plus rien ne restait de la vive fille qui était montée dans la nacelle. Le noir si profond de ses yeux s'accrocha au mien et me força à m'incliner. J'étais stupéfait par la colère, la peur et la froideur que je pouvais lire dans ces yeux étaient si... terrifiants.

- Mira.

Imaginez-vous que vous êtes dans une salle immense et que vous poussez un petit cri. Ce petit cri se répercutera dans toute la pièce. On appelle ça un écho. Certes. Imaginez maintenant que, cet écho, vienne d'un homme avec une stature de stentor. Attention, souvenez-vous bien du stature de stentor, c'est important. Cet homme a une grande puissance vocale, grave, articulée, très profonde. Bien. Maintenant, mettez cette homme dans cette salle, demandez-lui de crier. Il crie. Et vous vous bouchez les oreilles, simple logique. Donc, nous avons un écho venant d'un homme à la stature de stentor.

Pour ce que la voix de Henriette me procura, c'était cet effet, mais en moins performant.

- Tu veux que je sois capitaine, pour toi ? continua cette voix anormale. Je le serais.

- Non ! Henriette, tu n'as pas compris !

-CAPITAINE ! s'écria-t-elle.

Et cela me fit l'effet d'une baffe.

***Johan***

Avez-vous déjà ressenti pleinement les expressions disant "une atmosphère lourde", "une atmosphère plombant l'ambiance" ou "de l'orage dans l'air" ? Eh bien, je peux vous assurer que ces soit-disante expressions prenait tout son sens à bord de ce bateau.

Je ne savais rien, et cela me pesait sur la conscience. Du jour au lendemain, la sérénité que nous avions mis tant de temps à bâtir s'envola d'un coup de fumée, un beau matin. Henriette s'était levée, du moins était sortie de sa cabine, car je supposais qu'elle n'avait pas dormi de la nuit, et avait hurlé aux marins de se réveiller. J'entendais encore sa voix s'élever parmi le calme de la mer :

- DEBOUT, BANDE DE FAINEANTS ! C'EST PLUS UN BATEAU, C'EST UNE EPAVE D'IVROGNES QUI EMPESTENT ! ALLEZ, ON SE MAGNE ! LES VOILES NE VONT PAS SE HISSER TOUTES SEULES !

Un frisson me parcourut rien que d'y penser. Ses yeux lançaient des éclairs, sa démarche trahissait une énorme concentration en même temps négligée, ainsi qu'une colère immense. Sa voix semblait avoir changée, plus forte, plus rauque. Et ce fut au moment où elle s'en prit à Mira, que je ne compris plus rien à la situation.

- HÉ, TOI, LA VIGIE ! avait-elle crié, de sa voix grave et autoritaire. DESCEND DE LA, ARRÊTE DE NE RIEN FAIRE ET VIENS AIDER LES AUTRES A LA MANOEUVRE ! ET BOUGE-TOI, J'ATTENDS DE L'AMELIORATION DE TA PART !

Mira était descendu tranquillement, en prenant tout son temps, ne montrant aucun signe d'empressement, comparé aux autres. Je peux vous avouer que, à ce moment-là, l'incompréhension me prenait de court.

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