Chapitre 14

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***Henriette***

J'avais mis dans Johan une confiance aveugle, je m'en rendais compte. Je lui avais tout livré sur ma vie antérieure. Je n'étais pas très fière. Mais... Cela m'avait fait le plus grand bien. Je l'avouais, malgré moi, cela m'avait apaisée d'avoir tout déballé sur mon passé, pour après mieux repartir sur de bonnes bases. 

J'étais assez partagée à l'idée que Johan soit jeune. Je ne voulais pas qu'il finisse comme Loïc. Je l'avais prévenu, mais je savais qu'il n'avait pas compris. Ce n'était pas grave, cela ne se produirait pas. Et je savais aussi qu'il nourrissait juste une admiration pour moi. Pas plus. Et tant mieux. 

Quelques jours passèrent, tous peu différents des autres. Les hommes s'ennuyaient, par le manque d'action : le ménage était devenu une besogne peu distrayante et la mer calme ne donnait pas de divertissement. Je les comprenais, mais je les avais engagé pour un projet qui m'était personnel. Je voulais retrouver le bateau du capitaine Hérault. J'en faisais une affaire de cœur. S'il m'avait donné la Diligente gratuitement, c'était qu'il voulait me faire passer quelque chose : n'importe quoi, un mot, un message, tout et rien,  mais j'en étais sûre. 

Oui, vous allez me dire que je n'aurais peut-être pas dû embarquer comme ça, sous le but de chercher un unique bout de papier où il m'aurait renseignée sur sa disparition. Malheureusement, la naïveté faisait encore partie de ce monde dont je n'étais qu'une piètre ambassadrice. Mais, pour ma défense, je voulais aussi retrouver Hérault : je me disais que ce serait rembourser ma dette que de le ramener dans sa patrie. 

Alors j'étais partie, et cela depuis maintenant une semaine. Ne vous attendez pas à ce que je vous dise que j'avais la nostalgie de la terre, en aucun cas je ne dirai ça. Mais je trouvais notre voyage long et ennuyeux. Je connaissais notre destination, mais, par mesure de précaution, je nous avais fait passer par une route maritime peu empruntée. Nous ne croiserions personne. Et ça, heureusement que je ne l'avais pas dit à mes hommes, ils m'auraient renversée.

Nos journées se résumaient à se lever, faire le point sur les cartes et rectifier notre position. Cela nous prenait la matinée, en début de voyage, mais maintenant, nous faisions tout ça en une demi-heure, à peine. Nous mangions de moins en moins, pour économiser nos ressources qui s'épuisaient rapidement. Les hommes hurlaient souvent à la soif, mais je ne pouvais rien faire à part leur offrir de l'alcool - ce qui les satisfaisaient pleinement, car ils avaient déjà bu toutes les barriques que l'on avait - mais cela les occupait quelques heures seulement. L'après-midi, c'était souvent la sieste qui nous prenait de court et presque tout le navire, à part la vigie et celui qui tenait la barre, dormait à point fermé. Le silence régnait, à part quelques ronflements de la part de certains balourds de la pire espèce.

Les seuls moments intéressants de mes journées mornes et sans intérêt, c'était quand Johan venait me voir pour discuter, jouer à quelques jeux dont il m'apprenait les règles et pour parler marine. Johan et moi nous étions tout de suite bien entendus, même si nos caractères étaient différents. Nous partagions quand même la passion du voyage et la sensation formidable de liberté. Souvent, nous discutions de choses et d'autres, sans importance. Je sus que Johan, lui non plus, ne fuyait pas la mer, car il avait sa mie qui l'attendait quelque part sur terre. 

J'avouais que je pensais qu'il était seul. Sans idées derrière la tête, loin de là ! Mais je me disais qu'il ne serait pas parti, sinon. Il me confia que sa belle ne lui avait pas trop pardonné ses escapades, mais Johan savait que cela ne durerait pas trop longtemps.

— Avant toi, raconta-t-il, je n'avais jamais vu de femmes aussi rebelles. Si j'avais su que cela existait, j'aurais attendu plus longtemps avant de me fiancer !

Il écopa d'un bon coup de coude dans les côtes, mais cela ne le départit pas de son rire. Mais Johan m'assura qu'il préférait largement sa belle et qu'il n'allait pas changer maintenant. Mise à part nos discutions qui nous faisaient du bien, mon second tint sa promesse de m'apprendre l'escrime et le maniement de l'épée. Johan se révéla un excellent professeur. 

Pour ma première leçon, nous commençâmes par des battons en bois. Il testa mes réflexes et je répondis à toutes ses attentes.

— Bravo, Henriette ! me félicita-t-il. Je suis largement impressionné ! Tes réflexes sont excellents !

Ces leçons mettaient du piment dans mes journées mornes et sans intérêt*. Je ne pensais plus qu'à l'escrime, la mer, l'escrime, la mer, l'escrime, la mer, l'escrime, la mer, etc... Je voulais tout le temps combattre, tout le temps me surpasser.

Cela faisait bientôt six jours que j'avais commencé mes leçons, et Johan me dit, un beau matin : 

— Stop, Henriette ! Aujourd'hui, nous n'allons pas faire comme les derniers jours, m'annonça-t-il.

— Comment ça ? Que voulez-vous faire ?

Il sourit largement.

— Nous allons organiser un vrai duel, annonça-t-il.

Je n'en crus pas mes oreilles.

— Tu veux tuer quelqu'un ? 

J'étais tellement perdue que je mélangeai le tutoiement et le vouvoiement. Johan balaya ma remarque d'un geste impatient.

— Grand Dieu, non ! Je voulais parler d'un duel amical, bien sûr ! Sauf si tu veux tuer le lieutenant qui est toujours aux fers...

— Oh, je l'avais oublié, ce gaillard ! 

J'interpellai un mousse qui passait par là.

— Hep, toi ! Va libérer cette andouille du cachot ! Il a assez été inauguré ! 

— Bien, cap'taine !

Johan avait ri, pour je ne savais quelle raison.

— Reprenons. Je ne pense pas que nous allons obliger ce pauvre bougre à combattre, il doit être mal en point ! Non, je voulais parler d'un duel de l'élève contre le maître.

Je relevai la tête vers mon second, qui avait perdu le sourire. Il me fixait des yeux. Je lui rendis son regard perçant. Nous étions à une distance raisonnable d'environ deux mètres. Soudain, Johan saisit une épée, lentement, sans faire de geste brusque. Il se mit à avancer de trois quart vers la gauche. J'en fis de-même, ne le quittant pas des yeux. Je pris mon épée avec laquelle j'avais menacé mon enseigne. Elle était légère et souple, parfaitement ce qu'il me fallait.

Nous décrivions un cercle en marchant d'une allure très lente et méfiante, guettant le premier qui attaquerait. Je peux vous avouez que je tremblais faiblement. J'avais déjà vu Johan frapper de l'épée, et il était franchement impressionnant. Il me faudrait jouer avec ruse.


*Notez qu'elle répète tout le temps la même chose, malgré que son temps comptait de grands poètes, elle aurait pu s'en inspirer. Mais non ! Rebelle avant tout !

ChavirerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant