Chapitre 10

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***Henriette***

J'étais dans ma cabine, avec mes officiers et nous faisions le point sur nos cartes. Mon second était Ronald Orgnes, un homme fier mais feignant. Il avait la trentaine et une petite expérience. Nous nous entendions bien, mis à part quelques désaccords qui nous fâchaient de temps en temps. Mes enseignes (Ndla : lieutenants) étaient tous des hommes. Je n'avais pas officiellement engagé de femme, même si une en avait montré l'envie pressante. Elodie voulait absolument embarquer sous mon ordre, mais j'avais refusé, ne sachant pas que cette femme était une furie presque pire que moi. Elle avait été déçue que je la refuse sur la Diligente, alors elle était monté de force sur mon bateau. Elodie avait été prise par mes marins, mais j'avais ordonné qu'on la laisse tranquille : cette femme avait prouvé sa valeur et son courage.

Nous étions donc deux femmes à bord. Nous avions à peu près le même caractère, à part le fait qu'Elodie ne fuyait pas la terre. Elle avait une famille aimante, mais elle était partie à cause d'une peine de cœur. Ce n'était pas la même chose pour moi, mais elle s'en rapprochait. Elodie était une femme forte malgré son âge avancé. Mais j'aimais son sens de la paix et elle inspirait la gentillesse à tous ceux qu'elle croisait. Toutefois, mieux valait déguerpir quand elle était en colère. Les ennemis qu'Elodie avait affronté - Dieu ait leur âme ! - ne pouvait plus témoigner de sa violence.

— Où allons-nous, capitaine ? me demanda un de mes hommes.

Je pris un compas et traçai quelques lignes tout en racontant :

— Il y a précisément cinq jours, un bateau a quitté le port de Saint-Malo pour le Sud de la France, racontai-je. Il est passé à Marseille et s'en est éloigné. Pleins d'autres navires comme celui-ci ont fait le même chemin.

— A quoi rime tout cela, mademoiselle ? fit un autre homme.

Je tournais la tête vers lui. Le "mademoiselle" ne m'avait pas plu. Je m'approchai lentement de lui, menaçante.

— Qui êtes-vous, monsieur ? demandai-je.

— Amone de Rillac.

Je basculai la tête sur le côté pour le dévisager, tout en m'approchant encore, mais très lentement.

— Lieutenant de Rillac, dis-je d'un voix doucereuse. Avez-vous quelque chose, qui, comment dire, vous dérange, à bord ? 

Le malheureux recula, soudain effrayé par mon changement de voix.

— N... Non, pas du tout...

— Si, je vois bien, mon pauvre homme, insistai-je d'un ton faussement attristé. Il y a une idée, une pensée qui vous gêne depuis que vous avez signé cet engagement...

Je m'approchai dangereusement encore plus de lui et il reculait jusqu'au mur. J'avais toujours une voix atrocement douce.

— Je crois..., continuai-je, que vous ne supportez pas que je sois au commandement, hein, c'est ça ? Oui, c'est ça...

Il secoua la tête puis la hocha, perdu dans mon regard.

— Vous n'appréciez pas la présence d'Elodie et d'une capitaine..., murmurai-je. Oh, que je vous comprends, lieutenant ! Quelle horrible chose que d'être sous les ordres d'une femme ! Que d'être moins fort qu'une femme ! 

Il hocha vigoureusement la tête, se prenant dans mon jeu. Je pris une épée posée sur la table à côté de moi et la plaçai sous sa gorge. Il fut si surpris qu'il émit un hoquet. 

— Pauvre chéri, vous venez d'écoper de la première menace de notre petit voyage, déclarai-je. Vous allez inaugurer la cave, ainsi que les fers pendant trois jours. Quel honneur pour vous ! 

Et je le relâchai. De Rillac tomba au sol, épuisé, avec la gorge rappée. Je retournai vers mes cartes, tandis qu'un marin vint prendre le lieutenant. 

— Attend ! arrêtai-je le marin. Ecoute ce que je vais dire, tu feras passer le message aux autres crétins de ce bord.

Puis je m'adressai à toute mon assemblée :

— Je pense que vous avez tous compris que les marques de politesse à notre féminité à Elodie et à moi ne sont plus permises. Je ne veux plus les entendre, à quel point elles me font horreurs. Je ne veux que du "capitaine". J'aurais pu tuer cet homme, pour vous montrer à quel point il me révulse. Je ne l'ai pas fait car seul Dieu à le pouvoir de mort honnête. Souvenez-vous de de Rillac qui a inauguré les fers ! Parenthèse terminée, emmenez-le !

Je me remis à mes cartes, et continuai mon exposé tranquillement, comme si de rien n'était.

— Je disais donc : beaucoup de bateaux sont partis dans la même direction que nous, repris-je. Tous, pour la même cause. Savez-vous pourquoi ?

Tous mes enseignes ne pipèrent mot, contrairement un qui dit :

— D'après ce que j'ai ouï ces derniers temps, ce serait par là que le capitaine Hérault aurait disparu. Ces navires seraient partis à sa recherche sous les ordres du roi de France.

J'observai attentivement mon orateur.

— Qui es-tu ? m'enquis-je.

— Johan de Loubres, capitaine. J'ai été très souvent second sous le commandement de Duguay-Trouin, répondit-il, en tremblant de peur.

Je le fixai encore un moment avant de déclarer :

— Tu aideras Ronald dans ses affaires.

Le petit fut vite soulagé.

— Comme disait De Lourbes, continuai-je imperturbable, ces bateaux sont allés trouver Hérault. Mais personne ne l'a déniché, parce qu'ils ne cherchaient pas au bon endroit.

-Comment pouvez-vous le savoir, capitaine ? m'interrompit Antimoniac, un officier.

-Parce que Hérault m'a dit où il allait, murmurai-je. Et il est loin d'être resté à Marseille... 

ChavirerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant