Chapitre 23

12 6 0
                                    


***Henriette***

Ne me demandez pas comment nous avions pu quitter le port sans avoir des ennuis à Luanda. Surtout moi.

Je vous assure que, dès mon retour sur le bateau avec Mira, j'ai eu droit à une avalanche de reproches de la part de mon cher second. "Qu'est-ce qui t'a prit d'amener cette nouvelle recrue sans me prévenir ?! Tu savais que la réparation du bateau coûterait aussi chère ?! Pourquoi n'a-t-on pas d'argent ?! Qui c'est ce gars ?! Etc..." Bref, je n'avais pas été tranquille. MAIS ! J'avais réussi à régler, on ne savait comment, tous nos soucis. En presque une seule fois. Et cette "fois" s'appelait Mira.

Heureusement que je l'avais engagé, ce garçon, il était vachement efficace. Je n'avais pas à me plaindre de lui, aucun ragot méprisant à son sujet, le rêve. Ce garçon était la main d'œuvre la plus étonnante qui m'avait été donné de rencontrer. Il faisait tout avec une main pas très experte, mais qui était soigneuse dans tout ce qu'elle entreprenait. Et Mira ne demandait qu'à apprendre.

Bref, il régla tous nos problèmes, grâce à ses relations de la ville. Et avec ça, j'avais trouvé en lui un compagnon de voyage qui partageait mes sentiments de liberté. Un jour, il m'avoua enfin la cause de sa séparation avec la terre.

— En fait, je n'ai jamais eu très envie de rester là où, vraisemblablement, je suis né, disait-il. Je n'ai jamais trouvé mon bonheur, à part Jeanne, mais elle m'a donné mon demi-frère et ma demi-sœur. Certes, je ne peux pas lui en vouloir pour cela, mais ça m'a fait beaucoup souffrir.

— Qui est cette Jeanne dont tu me dis tant de bien ? lui avais-je demandé.

Il avait soupiré d'un air triste, perdu dans le vague.

— Ma nourrice. Mes parents sont morts peu après ma naissance et elle m'a recueilli.

— Brave femme, avais-je approuvé.

— Oui, la plus douce qui soit.

Il m'avait aussi appris que la liberté lui manquait, c'était une part de lui qu'il n'était jamais allé découvrir, avant maintenant. J'étais heureuse qu'il eusse trouvé le bonheur, à bord de ce bateau peu rêveur... et qu'il soit avec moi.

— Et toi, quand me raconteras-tu ta longue histoire ? m'interrogea, un beau jour, Mira.

Nous étions encore sur la place de la vigie, où nous aimions nous retrouver le soir, pour parler, n'ayant pas le temps en pleine journée.

— Mira, tu sais que je ne veux pas en parler...

— Je le sais, Henriette, mais tu apprends énormément de choses sur moi que moi sur toi ! Reconnais que ce n'est pas juste !

Je soupirai. Il ressemblait à Johan, avec ses paroles de vérités. Pff, tomber sur deux raseurs en même temps, quelle plaie !

— Si tu veux, alors, avais-je fini par céder. Vois-tu, nous venons de Saint-Malo et...

Et je lui racontai toute l'histoire de mon ascension. N'omettant rien, même pas Loïc. Ma gorge se serra à la pensée de son nom. Johan m'avait convaincue d'envoyer une lettre à mes parents pour prendre des nouvelles de ma ville natale. Pendant les deux mois qui avaient suivi, la réponse m'avait été parvenue, mais je n'ouvrais pas l'enveloppe, par crainte de mauvaises nouvelles. Mira avait essayé, en vain, de me faire changer d'avis. Cela se fit juste avant notre départ de Luanda. Lassée des supplications incessantes de Johan et Mira, j'avais ouvert cette maudite enveloppe.

Et j'avais eu raison de ne pas le faire plus tôt. J'aurais perdu tous mes moyens à bord. N'empêche que Johan avait dû me remplacer pendant deux jours, et Mira avait dû se passer de ma compagnie.
Loïc. Mes parents. Loïc. Mes parents. Assassinés.

Mes parents avaient été assassiné par mon plus cher ami, celui qui m'avait aidée, qui m'avait servi de confident, mon meilleur ami, et celui qui m'avait aimée, en dépit de mon refus. La police s'était chargée de lui. Et son exécution ne tarda pas non plus.

J'avais pleuré toutes les larmes de mon pauvre petit corps, l'esprit torturé par la tristesse, la colère, la haine... Tiens, revoilà mes émotions favorites. J'avais été inconsolable pendant deux longs jours. Même mes deux amis à bord ne m'avaient été d'aucun secours. Ils ne pouvaient pas comprendre. Et, de toutes façons, je ne voulais pas qu'ils comprennent quoi que ce soit. Je voulais être seule, pour une fois.

***Mira***

Ma vie s'était largement améliorée, avec l'aide de la capitaine, Henriette. C'était une chouette fille, quoi qu'elle soit dotée d'un fort caractère. Nous nous disputions souvent car je la provoquais, ce qui se révélait être amusant.

Henriette chargea Johan de m'apprendre le maniement des armes. J'avais protesté, ne voulant rajouter du travail au second, mais Henriette avait insisté pour que ce soit lui et pas elle. Plus tard, Henriette m'apprit qu'elle avait fait quelque chose d'irréparable à Johan et que, depuis ce jour, l'épée avait été un instrument de torture pour elle.

Alors commença mes leçons de fer. Johan se rendit vite compte que cet art ne me conviendrait pas, à la dixième fois où j'écorchais son habit. Je me répandais en excuses, mais il les balayait d'un revers de main.

— Si l'épée ne te convient pas, j'ai du mal à évaluer ce que tu pourrais faire pour te défendre, m'avoua-t-il, un jour.

Je restai penaud, ne sachant que dire. Ce fut là que vint cette autre femme noire. Je l'avais à peine remarquée, mais une autre fille que Henriette peuplait ce bateau. Elodie, malgré son âge, était toujours présente, toujours prête à aider, se comportant en homme quand il le fallait, et en femme soucieuse quand la misère s'installait. La petite mais dure créature s'approcha de Johan et moi, l'œil vif.

— Je sais ce que tu pourrais faire, Mira, couina-t-elle, de sa voix mi grave mi flûtée.

Johan, dont j'avais oublié avec la présence de cette venue, posa un regard inquisiteur et intéressé sur Elodie.

— Propose, Elodie, la pressa-t-il.

Curieusement, il n'était pas gêné de l'intervention de la femme. Alors, cette dernière me fixa encore plus intensément dès lors qu'elle eut l'autorisation de Johan pour s'exprimer.

— Que Sir ne se mette pas en colère, mais j'ai besoin de voir d'abord avec Mira son potentiel, comme vous l'avez fait pour l'épée.

Sa voix avait changé, ce n'était plus ce couinement si faible, mais une belle voix forte et rassurante.

— Je comprends, Elodie, concéda le second, à notre grande surprise. Je vais vous le laisser, si Mira accepte, bien sûr.

Je ne l'entendis pas. Nos regards avec la femme étaient accrochés l'un à l'autre, aucun moyen de se lâcher. A croire que l'hypnose existait vraiment.

— Mira ? m'appela Johan. Je te laisse avec Elodie ?

L'effet de sa voix insistante me ramena sur Terre. Même si j'avais tendance à croire que c'était le regard d'Elodie qui m'incitait à sortir de ma transe.

— Oh, oui, oui.

Et Johan s'en alla, non sans nous jeter un regard inquiet et curieux. Alors, ne restait que la femme pirate et moi. Pendant quelques secondes, on s'observa, méfiants.

— Suis-moi, Mira.

ChavirerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant