Chapitre 7

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***Henriette***

Loïc m'avait consolée comme le grand frère que je n'avais jamais eu. Mais son discours m'avait ouvert les yeux sur plusieurs choses. Je ne partirai pas en mer cette année. Mais l'année prochaine. Ensuite, Loïc ne restait pas seulement avec moi parce que je le menaçais souvent. Il m'aimait comme amie. De plus, si je voulais prendre la mer, il me fallait un bateau. Et un bateau ne pourrait naviguer sans équipage.

Je me laissais donc encore une année avant de décoller. Je n'en disais rien à ma famille, ni à Loïc. Je le savais, lui-aussi, passionné de marine, mais je voulais lui en faire la surprise. En remerciement pour ses consolations. Bien sûr, il resterait mon confident personnel, je ne tenais pas à le perdre. Si mon projet réussissait et qu'il l'approuvait, je le nommerai second. Ainsi, nous écumerions les mers ensemble, animés par la même passion de liberté et de rage. Nous oublierions tous nos soucis et fuirons la terre qui nous avait brisé. La vie sur cette dernière nous était insupportable, à moi plus qu'à lui. Je tremblais de colère, chaque fois que je repensais à a mère qui me traitait de moins-que-rien, de sauvageonne, d'écervelée. Je mourais d'envie de lui prouver que je n'étais pas qu'une fille de riche et que j'étais plus débrouillarde qu'elle ne le pensait. Quand Loïc et moi reviendrions victorieux et enrichis, elle ne me traitera plus comme elle l'avait fait. Elle s'inclinera devant moi et me suppliera de la pardonner. Je lui pardonnerais, puisque Dieu le voudra. Mais je lui ferais comprendre les années de douleur que j'avais subi par manque d'amour !

Mais avant de rêver, il fallait agir. Et la seule personne susceptible de m'aider et que je connaisse, n'était personne d'autre que le capitaine Hérault. Il était originaire de Saint-Malo et il s'y reposait en ce moment-même. Je le fréquentais légèrement. Ce qu'ignorait Loïc, en plus de mon projet, c'était que je passais dans quelques tavernes. Oui, je sais bien que je n'aurais jamais dû y mettre les pieds, mais je devais absolument trouver un équipage, et c'était là le meilleur endroit pour parfaire cette besogne. Et finalement, j'avais goûté à la boisson. Un peu trop, peut-être. Quoi qu'il en soit, j'avais rencontré Hérault dans une taverne, plus précisément au Trou Sanglant. Le corsaire passait la majeure partie de son temps là-bas, à se saouler. Donc, je décidais de m'y rendre, le lendemain de ma conversation avec Loïc, pour parler à Hérault.

Je poussai alors la porte de la maison et, tout de suite, l'odeur de l'alcool vint jusqu'à mes narines. Je ne pouvais pas dire que j'appréciais cette odeur, même si je la goûtais souvent, car j'en buvais seulement dans mes colères. Effectivement, la bière était un excellent moyen de faire passer ses crises. Que Loïc me pardonne de penser ça ! 

Le capitaine était bien dans le Trou Sanglant, j'avais vu juste. Il n'était pas ivre mort, pour mon grand soulagement. Dès qu'il me vit entrer, il me fit signe de rejoindre sa table, ce que je fis volontiers.

— Eh bien ! N'est-ce pas Henriette, cette vielle fripouille de corsaire que je vois là ? m'accueilla-t-il. Tu viens pour boire ?

— Non, capitaine ! J'ai besoin de voir clair, aujourd'hui ! répondis-je.

Hérault me regarda de travers.

— Alors si tu n'es pas là pour la bière, que veux-tu ?!

Je m'assis à sa table et commandai de l'eau. Dès que l'aubergiste fut parti, je me rapprochai du capitaine et parlai à voix basse.

— Je viens quérir votre aide. Je veux un bateau.

— Et pourquoi t'aiderais-je ? rétorqua le marin.

Je vérifiai que personne ne nous écoutait. Heureusement, tout le monde ici semblait sous la forte emprise de l'alcool.

— Si c'est de l'argent que vous voulez, je me débrouillerai pour vous le faire passer, chuchotai-je.

Le corsaire retint le mot "argent" et son expression faciale se figea sur un air tout-à-fait intéressé.

— De toute façon, cela dépendra du modèle que tu voudras, rétorqua-t-il.

— Je sais ce que je veux, assurai-je. 

Le capitaine me regarda comme si je délirais.

— Et ensuite ? m'interrogea-t-il. Tu n'es qu'une femme, et une femme ne peut pas monter sur un bateau.

Prise de rage par cette remarque, je criai au serveur, oubliant que je ne devais pas céder :

— De la bière et bien forte !

L'aubergiste grogna et m'en apporta une que je vidai d'un trait.

— 'Y pas à dire, m'exclamai-je, rien de mieux pour se calmer !

Après avoir posé mon verre, je me rapprochai encore plus du capitaine Hérault qui m'avait regardée faire. Je me sentais étonnement bien pour quelqu'un qui venait d'ingurgiter près d'un litre d'alcool.

— Ecoutez-moi, mon vieux...

— Capitaine, coupa-t-il.

— Vous êtes quelqu'un de bien, je le sais, vous le savez, tout le monde le sait. Je vous demande... HIC ! Un service. Trouvez-moi le bateau et l'équipage que je veux et vous aurez votre argent. C'est clair ?! HIC !

Il m'observa, faisant la même remarque que tout à l'heure, mais silencieusement.

— Je sais que je suis une femme et que ça porte malheur. Mais HIC ! si ce n'est que ça, je changerai d'habit et c'est un homme que vous aurez en face de vous !

— Dieu ! C'est impensable ! murmura Hérault.

— Je suis prête à tout HIC ! pour partir ! Alors, vous acceptez ?!

Le capitaine se frotta la barbe, en guise de réflexion.

— J'accepte. Rendez-vous demain matin, huit heures, au port.



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