Chapitre 26

17 4 11
                                    


***Mira***

Chagrin immense. Tristesse éternelle. Culpabilité.

Voilà, mes émotions ne vous sont plus inconnues. Et je n'ai pas de honte à les cacher, c'est trop dur de se mentir à soi-même, autant être sincère.

Plus aucune de mes journées n'avaient de sens, de joie de vivre. J'étais mort de silence, mort de mollesse, mort d'amour. Pourquoi fallait-il que cela tomba sur moi ?! Qu'avais-je fait au monde pour que la vie soient aussi cruelle avec moi ?! Rien. Peut-être que la vie devait être en colère et se sentait dans le devoir de punir quelqu'un, l'innocence même. Quel désastre. Quelle tragédie.

— Hum.

Je n'eus aucun mouvement de surprise. Aucune réaction.

— Mira, je peux monter ?

Je tournai lentement les yeux dans la direction de Johan, qui était arrivé à ma hauteur. Sans prendre la peine de m'attarder sur son costume flambant neuf, je revins à ma contemplation du vide. S'il voulait parler, que cela soit à un autre moment, je n'étais pas dans mon état normal. Mais, à réflexion, quand suis-je dans mon état normal ? Jamais.

Le second, mal à l'aise, monta quand même dans la nacelle et s'assit à côté de moi. J'avais le regard perdu dans le vague et une forte envie de ne pas discuter. Soudain, n'y tenant plus, Johan s'écria :

— Mira, mais qu'est-ce qui se passe, bon sang ?! Ou est passée ta joie de vivre ?! Qu'est devenu le garçon plein de vivacité qui est monté à bord de ce bateau à Luanda ?! Mille tonnerres, répond-moi !

Un silence de plomb suivit son désespoir.

— Je suis parti en même temps qu'Henriette, murmurai-je si bas que je doute qu'il m'eut entendu.

Johan soupira.

— Je sais que l'état d'Henriette t'inquiète, mais ne me dit pas que tu n'y es pour rien ! m'accusa-t-il, brutal.

Pour la première fois depuis longtemps, je partis d'un grand rire. Eh oui, je ris. Mais n'imaginez pas ça comme une manifestation de joie. Toute la nervosité, la peur, la tension, la tristesse, la colère et l'impuissance se reflétaient dans ce rire. De quoi vous glacer les os. Johan n'y comprenait rien et j'avais pitié de lui. Mais j'aurais été incapable d'expliquer la situation au second d'Henriette, cela était trop délicat et... gênant. En plus, il aurait tôt fait de tout rapporter à la capitaine. Mais, n'était-ce pas la solution ?

Je me perdais dans mon propre raisonnement. Tout cela était tellement dur à clarifier.

***Johan***

Les jours qui suivirent furent mornes et sans intérêt. Moi qui rêvais d'une croisière, d'une chasse au trésor, rien de tout cela ne m'avait été offert pour le moment. La compagnie joyeuse d'Henriette me manquait, car elle refusait de me voir. Je n'avais jamais remarqué à quel point mon amitié pour elle était forte, que de ne plus l'entendre rire me causait un profond chagrin. D'autant plus que je savais qu'elle souffrait. Le soir, je venais vers la porte de sa cabine, essayant de rassembler mon courage pour toquer. Mais, à chaque fois, je l'entendais pleurer ou hurler. Cela me fendait le cœur. Oui, rien que de l'écouter souffrir seule, cela me brisait. Pourtant, grand lâche que j'étais, je n'entrais pas, de peur de me faire rejeter. Je me rendais compte que j'avais peur d'elle. Tout le monde avait peur d'elle. Et cela, sans aucune explication possible. Les marins vous diront que c'est parce que c'était une femme-capitaine. Les bourgeois diront que c'était une sauvageonne mal éduquée. Ses connaissances préciseront que c'était son autorité qui les terrifiaient. Ses amis intimes ne sauront que dire, perdus dans leur propre constatation.

Que de désolation. De plus, Mira faisait une tête d'enterrement, il ne mettait plus aucune ardeur au travail, plus aucune envie. C'était tel que le seul mot qui me vint pour clarifier son état était "machinal". Oui, on aurait dit une machine s'affairant au travail quotidien. Une voile hissée, un canon à repeindre, un nœud à refaire et l'ascension à la vigie. Tout cela avec un regard perdu dans le vague. Aucune émotion ne traversait son regard limpide comme de l'eau de roche. Il ne prenait même plus le temps de se faire un brin de toilette. Il ne passait plus devant la cabine d'Henriette. Même quand elle poussait des cris à fendre l'âme. Mira exécutait ses ordres hurlés sans ronchonner, certes, mais c'était ça qui me préoccupait : il ne répondait plus de rien.

C'était dans un bateau sans vie, sans joie, que nous continuâmes notre traversée de l'océan. Puisse Dieu ne pas nous faire mourir.

ChavirerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant