Il est rare pour les gens censés d'être sûr de quoi que ce soit. Et alors même que l'on est sûr de sa décision, on se rend vite compte qu'elle n'est qu'éphémère. Car un jour, quelque chose arrive et change absolument tout. Plus rien n'est pareil, le ciel semble plus bleu et la musique plus vive. Alors les certitudes changent, laissant place à de nouvelles décisions qui, à cet instant, semblent être indubitables et pourtant, ne sont que temporaires.

- Alexander ? s'enquit Olivia après quelques longues secondes d'un silence pesant.
Il ne répondit pas tout de suite, accusant le coup. Il se laissa tomber sur l'une des chaises de la salle à manger, le regard vide.
Olivia Eames, la femme qu'il aimait, adorait, vénérait attendait un enfant. Un enfant de lui. Au creux de son ventre poussait le parfait mélange de son essence et de la sienne. Elle portait le fruit de leur passion.
- Tu... Dieu... Tu es... T'en est sûre ?
La jeune femme baissa les yeux sur le signe positif d'un rose passé affiché sur le test de grossesse qu'elle tenait entre ses doigts. Le nœud au fond de sa gorge se resserra un peu plus.
Contrairement à Alexander, elle ne voyait pas ça comme une bénédiction mais plutôt comme une fatalité. Ce n'était ni le moment, ni l'endroit, ni le contexte pour faire un enfant.
- Oui, confirma-t-elle en repensant à ses nausées et ses séjours aux toilettes du restaurant.
Tout faisait sens.
Plus un son ne demeurait à l'autre bout du fil. Alexander était partagé entre son profond désir égoïste de l'avoir pour lui seul, mais aussi celui de fonder une famille avec la belle brune et par-dessus tout, sa peur que cela ne suffise pas.
- Dis-moi que tu rentres.
Olivia commençait à en avoir marre d'être la seule à considérer l'ampleur du danger. Il agissait comme si c'était facile et pourtant cette situation ne l'était en rien.
- Qu'est-ce qui te fait croire que je le garde ?
Son ton était tranchant, aussi dur et froid que de l'acier.
Il n'avait même pas envisagé se séparer de cette tout nouvelle part de lui qui lui était déjà indispensable.
- Rentre Olivia, on prendra cette décision tous les deux, ensemble.
- Je ne peux pas rentrer ! Rien n'a changé depuis que je suis partie.
- Si, au contraire, tout a changé et tu le sais.
Ça oui elle le savait. Son ventre, toujours plat, lui semblait déjà enflé, sensible et précieux. En soupirant, elle passa sa paume sur ce qui était le cocon de son enfant, de leur enfant.
- Alex...
- Dis-moi où tu es.
- Je ne peux pas, souffla-t-elle à travers des larmes silencieuses.
- Je veux juste savoir si vous allez bien.
Le flot de ses sanglots ne fut que plus abondant à ses mots. « Vous ».
- Promet-moi que tu ne viendras pas.
- Je ne viendrai pas, obtempéra-t-il à contre-cœur.
- Pour l'instant je vis dans un motel à deux pas d'un restaurant dans lequel j'ai trouvé du travail. Il me semble qu'il s'appelle The Lorraine's ou The Helen's, quelque chose comme ça...
Face à son silence, elle s'empressa d'ajouter :
- Mais ce n'est que temporaire, je vais trouver un appartement la semaine prochaine.
"Et Chase saura bientôt que je suis ici", pensa-t-elle, soulagée pour Alexander. Puis elle posa de nouveau sa paume sur le bas de son ventre. Qu'allait-elle bien pouvoir faire ?
- Olivia, tu pourrais tout aussi bien rentrer, tu ne peux plus servir d'appas pour Chase, pas lorsque tu portes notre... notre enfant, fit-il en échos à ses pensées.
Sa voix était rauque d'émotions.
Chase n'en perdit pas une miette, absorbé, fasciné, obsédé par ce qui se passait sous ses yeux. Décidé, il quitta l'appartement en catimini, le sourire aux lèvres et sans un bruit. De toutes façons, Alexander était bien trop abruti par la nouvelle qui se mêlait avec le plaisir de l'entendre pour le remarquer, tapis dans l'ombre.
- Ça pourrait en effet être un problème si je le gardais, mais rien ne dit que c'est ce que je vais faire.
Elle laissa déborder les larmes de nouveau, sans un bruit elle les laissa glisser de la commissure de ses yeux jusqu'à la lisière de sa chevelure, les mains crispées sur son ventre. Elle voulait le garder, elle aimerait cet enfant comme elle aimait son père, mais il lui fallait être dure et ferme. Elle ne pouvait laisser de l'espoir pour Alex et pour elle aussi, parce que l'espoir entraîne le courage et le courage entraîne la mort.
- S'il te plaît, Liv', écoute-moi, tu sais que quoi que tu fasses je respecterai ton choix. Mais avant tout, je pense que tu devrais au moins savoir de quoi il retourne.
Il changea le téléphone fixe de main avant de poursuivre :
- Ce qui grandit en toi, c'est toi et c'est moi. Ne me dis pas que tu n'as pas envie de voir courir un petit homme aux cheveux bruns et avec tes yeux pétillants...
- Ou une petite fille aux yeux de ce vert étrange, souffla-t-elle, un trémolo dans la voix qu'elle ne put contenir.
- Oui, une petite fille avec tes jupes et la même grâce que toi, on pourrait lui faire faire de la danse classique.
- Qu'est-ce que tu crois Alex ? Que je ne sais pas tout ça ?! Que je ne veux pas de cet enfant ? Eh bien tu te trompes, mais je refuse de te sacrifier, pour moi ou même pour ce bébé qui n'en est même pas encore un, pour ce fœtus.
- Tu n'as pas à me sacrifier, mon amour, je protégerai notre famille.
Olivia chassa les images d'un enfant qui leur ressemble de son esprit, reprenant son sang-froid.
- Non, Alexander, on ne fait pas toujours ce qu'on veut dans la vie. En tout cas, dans la mienne c'est comme ça. Alors n'essaye pas de venir nous chercher, je ne te suivrai nul part.
S'il n'avait pas su qu'il ne restait plus rien à briser au fond de sa poitrine, Alexander se serait mis à genoux de douleur.
Ils se turent tous les deux, presque religieusement à écouter le souffle de chacun pendant de longues minutes. Puis Olivia raccrocha avant de fondre en larmes. Le poids de ses responsabilités lui sembla, pour la première fois de sa vie, trop lourd à porter.

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