Le blanc est une couleur apaisante, elle représente la lumière et la pureté. Comme l'icône de la douceur, le blanc nous enrobe et nous enveloppe dans les méandres de la paix.

Alexander avait toujours préféré le noir, et le blanc immaculé du plafond de sa chambre ne semblait pas le calmer. Lorsqu'il fermait les yeux il se confrontait au noir intense du néant et lorsqu'il battait des paupières, le blanc sec et franc des murs de sa chambre l'éblouissait. Même lorsque la nuit noire fut tombée, il était absorbé par ce blanc, ce néant clair qui recouvrait son plafond.
Pour la première fois, il sentait qu'il empêchait ses rêves de s'échapper, empêchait l'envol de son esprit vers des contrées lointaines qui s'appelaient toutes Olivia.
Alexander se demanda ce qu'elle pouvait bien faire, pensait-elle à lui ? Avait-elle remarqué son absence ? Dormait-elle ?
Il l'imaginait allongée dans des draps de satin crème, ses cheveux se déversant en une vague de boucles brunes sur son oreiller. Ses jambes fuselées dépasseraient des draps qui glisseraient sur sa peau à chacun de ses mouvements. Dormait-elle nue ? Il imaginait que oui et qu'une simple brise viendrait lécher son visage puis les draps de satin qui découvriraient un de ses seins.
Elle ressemblait à une déesse grecque, flottant dans un magma de soie et de vent parfumé. Ses lèvres enflées de sommeil et ses paupières luisantes sous les rayons de la lune lui donnaient un éclat spécial dont il désirait terriblement prendre possession.
Il ne parvenait pas à la sortir de sa tête maudite et ça le tenait éveillé toutes les nuits depuis une semaine. N'était-ce que du désir ?
Alexander ne dormait plus, ne vivait plus en dehors d'elle. Il fallait qu'il la voie, même si cela signifiait qu'il devait confondre fiction et réalité. Il le fallait, il fallait qu'il brise ses résolutions et qu'il accède enfin à ce que tout son être lui réclamait : elle.           

Après s'être tourné et retourné toute la nuit, Alexander se leva à l'aube et savoura la douce brûlure du café. Puis, se débarrassant de cette nuit sans sommeil, il laissa l'eau chaude le détendre jusqu'à ce qu'elle soit si brûlante qu'il ne put la supporter plus longtemps.
Le petit espace embué l'étourdissait et ses paupières étaient lourdes. Alors il ouvrit la fenêtre en grand, acceptant la morsure d'un froid du début du mois de février sur son corps encore fumant.
D'un coup de serviette il essuya la buée sur le miroir et se regarda un instant. Il semblait pathétique, épuisé et en manque. Alexander fixa son regard ambré dans le miroir ne reconnaissant pas les cernes sous ses yeux, leur sclère rouge apportait à son regard une impression d'éreintement intense et de désespoir qu'il ne pouvait supporter.
Il baissa la tête un instant pour ne plus avoir à affronter l'image minable qu'il renvoyait dans le miroir mais ne put s'en remettre qu'à la vision de sa cicatrice qui s'effilait de ses clavicules à ses pectoraux en une ligne droite et nette. Jamais il ne s'était attardé sur elle, ayant grandi avec cette marque éternelle qu'il connaissait depuis toujours, pourtant ce matin-là il se demanda à quoi elle pouvait être dû.
N'ayant pas la force de remettre en question le reste de sa vie, Alexander se concentra de nouveau sur la cause de toutes ces interrogations qui semblaient insolubles. Il savait que pour les effacer il devrait laisser la tornade qu'elle était entrer dans sa vie.
Il n'était plus sûr de rien, plus capable de prendre des décisions depuis qu'il l'avait rencontré. Mais la laisser venir à lui, aussi dangereuse qu'elle pouvait être, n'était pas une décision mais plutôt le seul choix qui s'offrait à lui s'il voulait goûter de nouveau à la paix.



La boutique ouvrait dans une demi-heure et Olivia était déjà à mi-chemin. Ce matin il faisait froid mais le soleil brillait et elle avait laissé chez elle ses gants et son écharpe, trop heureuse de savourer les doux rayons du soleil sur son visage et sa poitrine dégagée.
Elle arriva rapidement devant Louise's Bakery et apprécia un bon bol d'air frais avant de faire le tour pour rejoindre la porte de service qui se trouvait à l'arrière de la boutique.
Une semaine s'était écoulée depuis la dernière fois qu'elle avait vu et touché Alexander mais elle s'était promis de ne pas penser à lui. Ça devenait obsessionnel et elle refusait d'être accro à un homme qu'elle avait vu si peu et qui ne semblait pas lui porter tant d'intérêt. Ça ne lui ressemblait pas du tout et ce jour-là semblait une parfaite occasion ensoleillée de passer à autre chose dignement.
Alors elle sorti la clé de son sac à bandoulière qu'elle portait sur l'épaule, en s'approchant des marches qui menaient à la pâtisserie.
Olivia avait une démarche bien à elle, roulant des hanches avec grâce et une pointe de défi, elle ne perdait pas l'équilibre chaussée de dix centimètres sur des pavés plutôt aléatoires. Lui l'avait remarqué et l'avait même décrite de féline dans l'une des centaines de pages qu'il lui dédiait.
En relevant les yeux de son trousseau de clé qui luisait au soleil, elle découvrit le sujet de ses tourments assis nonchalamment sur le petit escalier de pierres. Le col de son trench-coat était relevé, il réchauffait ses mains nues et de petits nuages de vapeur s'en échappaient. Ses cheveux n'étaient pas coiffés et les boucles de jais se confondaient sur son front. Lorsqu'il se tourna vers elle, Olivia en fit presque tomber ses clés. Ses yeux couleur de miel et d'anis se dissimulaient derrière un teint grisâtre et des cernes marquées. Que lui était-il arrivé ?
Il se leva prestement et passa sa grande paume dans ses cheveux emmêlés qui retombèrent aussitôt sur son front. Il semblait désabusé. Elle se précipita vers lui, affolée de le voir dans cet état.                                       
- Alexander ? Tout va bien ? Que faites-vous là ? Et à une heure pareille !
Elle s'empressa de trouver le trou de la serrure avant d'ouvrir la porte qui grinçait. Elle le fit entrer à sa suite et ils se réchauffèrent près des fours encore tièdes.
- Je voulais vous voir, soupira-t-il comme s'il parlait d'une tragédie.                                  
Il s'adossa à la porte en bois vieilli en l'admirant s'affairer. Elle ne savait pas si elle était furieuse ou si, au contraire, elle était folle d'aimer l'avoir près d'elle. Le fait est qu'elle adorait l'entendre dire qu'il "voulait la voir". C'était plus fort qu'elle, aussi impulsif que lui et son amour pour la promiscuité que l'espace exigu de l'arrière-boutique lui offrait.
Olivia ôta son manteau brun et noua son tablier par-dessus sa petite jupe noire qu'elle avait assortie avec un t-shirt à manches courtes très sobre et de la même couleur. Elle ôta ses chaussures à talons pour enfiler de petites tennis blanches.
Lorsqu'elle se baissa pour nouer ses lacets, Alexander aperçu le haut de ses bas noirs qui tiraient sur les pinces d'un porte-jarretelle qu'il imaginait plus haut. La soie mêlée à l'élasthanne semblait mordre la crème de sa chaire irisée.
Il ferma les yeux en soupirant, elle était le fruit défendu et il ne pouvait la regarder plus longtemps sans sentir poindre ardemment son désir pour elle.
- Ah oui ? Pourtant vous n'êtes pas venu de la semaine, déclara-t-elle avec un détachement surjoué.
Pour ne pas perdre le peu de maîtrise qui lui restait, elle occupait ses mains et ses yeux en évitant de le regarder. Même si elle sentait sa présence et son regard sur elle. Elle se lava les mains en attendant sa réponse.
Alexander dissimula un demi-sourire lorsqu'il comprit qu'elle avait attendu sa venue. Il ne l'aurait pas pensé, elle semblait si... si stoïque. La première fois il lui avait dit qu'il était différent des autres hommes mais il se rendit compte qu'elle l'était, différente des autres.  
- J'ai eu beaucoup de travail, se justifia-t-il.
C'était faux, il n'avait pas été productif tant il était épuisé par toutes ces nuits sans sommeil à penser à elle. Et surtout, il n'avait plus de sujet d'écriture puisque son manuscrit obsédant était enfermé à double tour dans le plus bas tiroir de son bureau en bois d'alisier verni.
Il ne donnait pas le change, Olivia se souvenait parfaitement des paroles de Louise lors de leur rencontre, plus d'un mois de cela : "il vient tous les jours et commande toujours la même chose".
- Hm, je vois.      
Olivia s'empara de son badge et passa sa main froide dans son décolleté pour y aimanter la seconde partie.
Alexander n'en perdit pas une miette, le froid de sa main faisait poindre ses tétons et il comprit qu'elle ne portait pas de soutien-gorge. Il soupira de nouveau mais ne put détourner le regard cette fois. Son tablier resserrait son t-shirt à la taille et dévoilait à merveille le galbe de sa poitrine bombée et ronde. Il rêvait de passer son doigt sur l'aréole même à travers le fin tissu. Il voulait la toucher. Il voulait la goûter. Plus que tout au monde.
- Vous dînerez avec moi ce soir ? proposa-t-il comme une supplique divine.
Il ne l'avait pas prévu, n'avait pas réservé, n'y avait même jamais songé mais à cet instant il en avait besoin, presque autant qu'il devait respirer.
Olivia fut surprise d'une telle proposition. Elle y réfléchit en pénétrant dans la salle vide. Le soleil baignait la petite boutique propre. Elle était suivie de près par Alexander qui la scrutait sans pudeur.
Il fut heureux de la voir remonter ses cheveux en une queue-de-cheval basse et désordonnée qui dégageait son cou et son visage. Elle était si belle dans la jeune lumière du jour.                    
- Pour ne pas avoir de nouvelle de vous pendant une nouvelle semaine ? Je ne sais pas. Peut-être qu'il faut que je refuse de m'asseoir à votre table pour vous voir plus souvent franchir cette porte.             
Son ton était moqueur et Alexander fût surpris par sa franchise. Elle avait raison, il n'était pas stable lorsqu'il s'agissait d'elle. D'un jour à l'autre il changeait d'avis, passant d'un désir ardent de la conquérir à la décision vaine de ne plus être tenté par elle. Il savait à quoi cela ressemblait et il se rendait à l'évidence : il avait trouvé une nouvelle passion.
- Olivia, dînez avec moi ce soir, répéta-t-il telle une prière.
Elle leva les yeux vers lui en entendant son prénom franchir la barrière de ses lèvres pleines. Il s'exprimait bien. Ses sourcils froncés et son visage si las la persuada. Il semblait en avoir tellement envie. Autant qu'elle.
Elle lui sourit puis se mordit la lèvre en mettant la machine à café en marche. Lui contracta ses mâchoires en s'empêchant de morde dans cette même lèvre à son tour. Il attrapa le bord du comptoir à s'en faire blanchir les phalanges. C'était elle, il le sentait, il n'y avait plus de doute.    
- Vous voulez un café ? demanda-t-elle en le faisant languir encore un instant.
Il la prévint en répétant son nom sur un ton aussi autoritaire que plaintif. Cette attente devenait insoutenable.
Elle lui servit une tasse de café chaud et lui demanda s'il prenait du sucre. Il hocha la tête et elle plongea du bout des doigts un carré de sucre blanc dans le liquide brun fumant, attendant qu'il se désagrège dans sa main avant de porter son index et son pouce entre ses lèvres rouges. La séduction était son domaine de prédilection et elle s'en délectait presque autant que de voir la noirceur qui réduisait à néant le vert du regard de son interlocuteur qu'elle mettait à rude épreuve. D'un noir aussi intense que ce café.
Elle s'en servit un aussi et s'assit sur la table près de lui en le frôlant intentionnellement. Il serra les dents en avalant une gorgée du délicieux breuvage. 
- Passez me prendre à vingt heures, je demanderai à Louise de me remplacer à la fermeture.  
Elle lui lança un regard amusé en plongeant son visage dans le grand mug qu'elle tenait à deux mains. Alexander lui sourit et passa de nouveau la main dans ses cheveux. Il imaginait ses doigts dans sa chevelure indisciplinée et en frémissait presque.
Le sommeil le rattrapait et en acceptant son invitation, Olivia avait débloqué en lui ce qui le torturait jour et nuit. Il fut effrayé du pouvoir qu'elle exerçait déjà sur lui. Elle s'humecta les lèvres en y recueillant les dernières gouttes de son café puis ne put s'empêcher de lui rendre son sourire. Il était bien trop sincère.
  - Je serai là, promit-il.    
  - Vous avez mauvaise mine, se moqua-t-elle en se relevant.      
Il laissa échapper un petit rire complice en finissant sa tasse. C'était le moins qu'on puisse dire. 
- Je n'arrive pas à dormir ces derniers temps, avoua-t-il en coupant sa respiration lorsqu'elle le frôla de nouveau.              
Une délicieuse odeur de jasmin et d'orchidée la suivait et trouait le nuage persistant du parfum de café frais. Il avait envie de l'attraper par la taille, de goûter son cou en la tenant fermement contre lui, il avait envie que son corps se moule au sien, que ses courbes épousent les siennes en une ondulation céleste.                                
- Essayez de penser à quelque chose que vous aimez en vous endormant, ça marche pour moi.   
C'est justement ce qu'il aimait qui le tenait éveillé toute la nuit. Il se demandait à quoi elle pouvait bien penser pour s'endormir. Il se demandait ce qu'elle pouvait aimer.
  - Je le ferai, avoua-t-il dans un murmure.   
Olivia récupéra sa tasse mais il l'en empêcha, déposant à sa place la vaisselle dans l'évier. Il remonta ses manches et s'en occupa comme un gentleman l'aurait fait.
Elle s'assit sur le petit tabouret en admirant ses muscles bander et ses épaules se mouvoir doucement, ses fesses galbées dans ce jean noir droit qui lui allait tellement bien. Son style semblait parfait et elle aimait beaucoup son raffinement d'une simplicité étudiée.   
- Allez-vous reposez, vous dormez debout, s'exclama-t-elle en le rejoignant et en lui touchant l'avant-bras dans un geste qui avait pour but de l'inciter à la laisser faire. 
Ils sentirent de nouveau une dynamique étrange passer d'un corps à l'autre et alors qu'il plantait son regard dans le sien elle le lâcha immédiatement, brûlée. Elle aurait pu se noyer dans le magma en fusion de ses yeux. Pour garder la tête froide il se racla la gorge et attrapa son trench-coat tout en se dirigeant vers la porte. 
- À ce soir, lança-t-elle en le regardant partir.
Il se retourna avant de fermer la porte, la détailla brièvement et répéta : 
- À ce soir.   
Alexander fit le tour d'un pas lourd, et traversa la place bondée. Il se retourna avant de la quitter et l'observa, à travers la vitrine, se mettre sur la pointe des pieds pour déverrouiller la plus haute des trois serrures de la porte vitrée. Olivia sentait son regard sur elle et s'appliqua à faire des mouvements amples et gracieux. Puis elle s'humecta les lèvres au moment où il se retira pour retrouver le repos qu'elle lui accordait enfin.                         


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