Platon disait qu'à l'origine du monde, les humains voyaient le jour constitués de deux paires de jambes, de deux paires de bras et de deux têtes. Ces créatures partageaient pourtant leur cœur. Ils régnaient sur terre comme de vrais dieux vivants, trouvant une source infinie d'amour et de réconfort auprès de leur autre. Zeus, craignant de les voir si puissants décida de les séparer, comme un coup de foudre lâché sans pitié. Les âmes sœurs furent alors réparties, l'une à l'est l'autre à l'ouest, profondément meurtries par la plaie à vif au cœur de leur poitrine. Mais ils ne se souvenaient de rien, la douleur semblait si difficile à accepter qu'ils ont préféré oublier. Ainsi, la vie ne se résumait plus qu'à une quête constante et acharnée pour rassembler les deux moitiés d'un cœur éraflé. La légende nourrit des milliards de rêves enfouies en chacun de nous, certains y croient autant qu'à la gravité, d'autres préfèrent ne pas fonder trop d'espoir en ces histoires païennes. Et pourtant... Pourtant, lorsque vient le moment où il faut la prendre dans ses bras, s'enfouir en elle comme au plus profond des abysses du paradis, reconnecter ce qui avait été autrefois séparé, maudit, on ne peut que croire en son existence.

                  La porte ne fermait pas bien chez Alexander. Un jour laissait passer l'air glacé de la nuit qui glissait sur le parquet jusque sur le carrelage de la cuisine et s'échouait en un léger courant d'air dans la chambre du maître. Ce défaut de fabrication avait permis aux deux écorchés vifs de se blottir l'un contre l'autre pour se tenir chaud ou pour se conforter dans l'idée de leur présence mutuelle. Et bien qu'Alexander eût connaissance de ce léger courant d'air qui titillait souvent ses pieds nus, il pouvait sentir la différence avec la violence du vent matinal londonien.
                  Olivia avait entrouvert la porte, laissant inconsciemment une bouffée de fraîcheur réveiller contre son gré le bel endormi qu'elle cherchait pourtant à éviter.
                 Alexander bâtit des paupières, chassant les dernières images de la soirée passée dont il rêvait encore. Mais à la vue de la femme qu'il tenait encore serré contre lui quelques minutes auparavant, debout dans l'encadrement de la porte, il blêmit. Quant à elle, elle fit comme si elle n'avait rien vu et referma la porte derrière elle en une tempête d'incompréhension virevoltant parmi les flocons de neige.
                 Il ne lui fallut pas quelques secondes avant qu'il ne s'élance à son tour, torse nu, dans l'air blanc et silencieux. Il suivit les quelques traces de pas qui entachaient ce cadre idyllique et immaculé où tout semblait endormi, enrobé dans l'aube qui s'éveillait à travers les fenêtres givrées.
                 Elle accéléra le pas en entendant Alexander se rapprocher dangereusement d'elle. Mais Olivia ne put poursuivre son chemin en sentant sa main encore chaude se poser sur son avant-bras. Elle ne se retourna pourtant pas, soupirant en retenant des larmes qui débordaient déjà.
- Olivia ! Arrête de marcher ! gronda-t-il soudainement. Qu'est-ce qui te prend ?
                Son ton n'avait plus rien de doux, plus rien de protecteur ni de rassurant. Il n'était pas seulement en colère, il était blessé.
- Retourne-toi putain !
                Olivia sursauta puis s'exécuta, levant vers lui des yeux rouges.
- Mais qu'est-ce que tu as Olivia ? s'enquit-il en tentant tant bien que mal de paraître plus calme devant son regard apeuré.
- Je dois y aller, je ne voulais pas te réveiller.
               Et elle se retourna pour poursuivre son chemin sans prendre en compte la poigne d'Alexander, toujours autour de son bras engourdi par le froid.
- Et c'est tout ? Tu pars comme une vulgaire voleuse à l'aube et sous la neige ?
              Sans faire attention à ce qu'il pouvait bien dire elle tentait de se défaire de son emprise. C'était dur. Elle n'avait pas la force de se retourner pour voir dans ses yeux toute sa peine. Ce qui serait sans doute ce qu'elle aurait pu voir de plus déchirant au cours de sa vie.
             La nuit passée avait été si intense, si intime. Elle ne l'oublierait jamais.
- Tu t'enfuis sans même dire au revoir ? Et tu pensais que je ne dirai rien ?
            Il ne desserrait pas ses longs doigts qui agissaient comme des serres d'aigle sur une proie qui lui faisait bien plus de mal d'un seul regard.
- Quel genre de femme peux-tu être pour ne pas voir ce qui est évident entre nous ? s'écria-t-il.
            Ses mots, d'une violence nouvelle et inouïe écorcha les oreilles d'Olivia. Elle se tourna de nouveau vers lui, planta son regard noir et froid dans le sien puis s'exclama enfin :
- Tu as une seconde pour me lâcher, Alexander.
             En soupirant il s'exécuta et le regretta tout de suite en la voyant s'éloigner de lui. C'était comme si elle s'en allait avec une partie de son cœur. La douleur à vif dans sa cage thoracique le déchirait, comme rien ne l'avait fait auparavant.
            Ils avaient été séparés par Zeus, s'étaient retrouvés fantastiquement et là, ils se déchiraient à nouveau.
- De quoi as-tu si peur Olivia ? Pourquoi es-tu si lâche ? hurla-t-il assez fort pour que ses questions lui parviennent alors qu'elle était prête à quitter la rue.
           Sa voix grave réveilla quelques habitants qui allumèrent les lumières de leurs chambres. Bientôt, quelques dizaines de fenêtres furent illuminées, éclairant l'aube d'autant d'étoiles.
              Olivia se retourna, ni tenant plus de le laisser l'insulter alors qu'elle le faisait plus pour lui que pour elle-même.
- Ne dis plus jamais une chose pareille est-ce bien clair ? s'écria-t-elle en pointant vers lui un index accusateur. Tu crois que parce que tu m'as vu pleurer cinq minutes tu me connais ? Tu ne sais rien de moi, tu ne peux même pas imaginer ce à quoi ressemble ma vie et tu viens me parler de lâcheté, tu viens me parler de peur ? Tu ne sais pas non plus ce qu'est la peur, tu n'imagines pas ce que ça peut être de vivre avec elle chaque jour de sa vie. Si je pars, c'est pour toi, espèce de connard arrogant. Si je m'en vais c'est justement pour que tu n'aies pas à vivre avec elle à ton tour. Et si je n'ai pas dit au revoir c'est parce que je savais que si tu m'avais demandé de rester, je n'aurai pas eu la force de dire non !
              Alexander n'avait jamais eu autant envie d'elle depuis qu'il la connaissait. La passion qu'il pouvait sentir passer d'elle à lui faisait trembler tous ses muscles. Il fondit sur elle sans réfléchir plus avant à ce que cela pouvait entraîner. Tout son cœur la réclamait contre lui et il ne pouvait faire autrement que d'y accéder.
              Chacune de ses chaînes se brisa une à une, plus rien ne le retenait désormais. C'était incroyable, ses lèvres fraîches contrastaient avec la chaleur qui s'échappait de sa bouche. Elle avait un léger gout de violette, de rose et d'un printemps dont il venait récolter la rosée. Les larmes se mêlaient à leur embrassade, et Olivia se hissa sur la pointe de ses pieds pour le sentir contre elle. Alexander enveloppa son corps de ses bras puissants et l'enveloppa alors que les flocons de neige se mirent à tomber de nouveau comme une pluie de pureté qui viendrait tendrement les absoudre du malheur.
              Les quelques voisins qui avaient bien voulu se lever pour savoir d'où provenait tout ce tapage avaient fini par écouter les deux amants s'aimer comme s'ils allaient en mourir demain.
- Je dois partir... avoua-t-elle comme s'il s'agissait de la pire chose qu'elle n'avait jamais eu à dire.
             Il prit son visage rougi par un mélange de passion et de froid entre ses larges paumes en coupe.
- Il n'y a rien que tu pourras fuir toute ta vie, Olivia. Il n'y a rien d'assez effrayant pour t'enlever à moi, il n'y a rien de plus terrible si ce n'est l'idée même que tu partes. Je te protégerai, comme ma vie.
             Et même si elle savait au fond qu'il ne suffisait pas de se réfugier dans les bras d'un homme comme elle avait pu le faire auparavant, elle avait envie d'y croire puisque croire c'était vivre. Et Olivia voulait vivre une vie dont il ferait partie. Elle en avait assez de devoir faire face à cette malédiction toute seule et même si ce choix semblait égoïste, si l'intégrer à sa vie était égoïste alors soit, elle le serait pour une fois.
- On se croirait dans un roman, murmura-t-elle contre ses lèvres luisantes.
            Cette remarque fit sourire Alexander qui avalait ses mots en liant de nouveau leurs bouches affamées.
            Elle restait, elle voulait rester. Jamais il ne pourrait être rassasié d'elle. Tandis qu'elle se félicita de sa décision, si elle devait cesser de courir et affronter son passé, ce serait aux côtés de l'homme qui rendait sa vie romanesque.
- C'est la neige, elle rend tout plus magique, elle est l'extra de l'ordinaire, répondit-il à son tour, haletant.
             Elle passa tendrement la main dans ses cheveux soyeux, et mordit sa lèvre inférieure, se livrant enfin au désir qui palpitait sous sa peau depuis des semaines. Puis elle se hissa en plaçant ses mains de part et d'autre de ses épaules développées et enroula ses jambes autour de sa taille nue et rouge de froid.
- Rentre - rentre - rentre, le conjura-t-elle en séparant chaque ordre par un baiser humide et langoureux.
             Cette fois, Alexander ne réfléchit pas. Il la serra si fort contre lui qu'elle pouvait estimer aisément la profondeur de son désir pour elle.
            Ils haletaient, l'un contre l'autre et, à peine la porte d'entrée fut elle close, qu'elle se débarrassait déjà de son léger manteau puis de sa robe.
           Olivia avait une envie dévorante de réchauffer la peau nue du torse de l'homme en face d'elle dont les iris brûlaient tellement qu'ils agissaient comme un second soleil. Après avoir marqué une légère pause à se regarder en chiens de faïence, elle brisa le silence :
-Tu comptes me toucher ou dois-je aller chercher de l'attention dans les bras d'un autre ?
              Cette remarque piquante éveilla le sang chaud et italien qui courait dans les veines du beau brun et, en tentant tant bien que mal de se contenir, il la plaqua au mur, enroulant ses doigts autour de sa gorge et écrasant violemment ses lèvres contre les siennes pour la faire taire.
              Elle fut agréablement surprise par son coté dominant qui l'excita un peu plus et lui rendit son baiser avec ferveur. Elle n'avait jamais rencontré d'homme qui ose prendre le contrôle avec elle. Aucun homme ne lui avait donné l'envie de céder le pouvoir. Aucun homme avant lui. Le pouvoir elle le lui donnait, tout, qu'il prenne tout d'elle. Son corps, son cœur, son âme, elle ne voulait plus rien de tout cela sans lui.
           Il la lâcha et s'écarta d'elle, haletant et le regard hagard. Pendant de longues secondes, ils se regardèrent jusqu'à ce qu'elle se rapproche de lui d'un pas lent et félin et l'embrasse dans le cou tout en faisant courir ses mains sur son torse, ses abdominaux puis se pressa contre lui avant de lui murmurer :
- Je voulais t'apprendre quelques trucs mais j'ai l'impression que tu maîtrise déjà tout...
            Il la prit étroitement dans ses bras avant de mordre sa lèvre inférieure.
- J'ai tellement envie de toi que je pourrai te prendre encore et encore, tellement qu'il suffirait que je reste en toi pour toujours, murmura-t-il à son tour.
             Alexander aventura ses mains vers la ceinture du boxer qu'elle avait gardé, glissa ses doigts sous l'élastique et plaqua sa grande paume qui recouvrait presque entièrement ses fesses. Il l'attira à lui, joignant de nouveau sa bouche à la sienne, leurs langues se nouant et se dénouant, le souffle court, le cœur battant dans chacune de ses extrémités comme s'il naissait une seconde fois.
- Je sais que tu sens à quel point je te veux, poursuivit-il en joignant le geste à la parole.
              Un hoquet de surprise la traversa tandis, qu'à son tour, elle suivit le sillon tracé par ses abdominaux jusqu'à la lisière de son pantalon. En levant les yeux vers lui, elle aperçut ses lèvres s'entrouvrir alors qu'il tentait péniblement de reprendre son souffle.
              Elle savait accrocher son regard, elle savait faire enfler son désir aussi bien qu'elle savait respirer. Mais Olivia n'était pas habituée à connaître cette passion réciproque, passion décuplée lorsqu'il la leva de terre.
              Ses jambes s'enroulèrent de nouveau d'instinct autour de sa taille déjà incandescente et, tandis qu'il la menait à la chambre dans l'obscurité éclairée de quelques halos de lumière rose, elle faisait glisser le bas de pyjama qu'il portait à l'aide de ses talons. À sa grande surprise, il ne portait rien en dessous. La sensation exquise de sa peau intime d'une douceur infinie et dressée contre son ventre lui tira un soupir d'aise qui fit monter la pression un peu plus.
           Il en devenait fou, plus rien d'autre n'existait, tout avait disparu. Ne subsistait qu'elle, à ses yeux il n'y avait qu'elle. Et la sentir se presser contre lui, à moitié nue, les yeux révulsés et le souffle court le propulsait déjà plus haut qu'au paradis.

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