Le mensonge est synonyme de peur. On ment pour se protéger d'une vérité trop difficile à accepter en sachant pertinemment qu'il ne s'agit que d'une illusion. Mentir c'est procrastiner puisqu'à défaut de dire ce qui est, on préfère refaire l'histoire pour qu'elle puisse nous être plus douce. Cependant ce qui est écrit est écrit et le mensonge ne change pas le passé. Ainsi, comme on ment aux autres, on peut se mentir à soi-même afin de se décharger du poids qui nous pèse tous les jours, toutes les heures, à chaque instant.

Olivia ne l'avait jamais fait. Toujours avec la tête froide, elle carrait les épaules et affrontait la vie et ses encombres, portant ses problèmes en serrant les dents et exhibant ses cicatrices comme des trophées, jusqu'à cette fois-ci. Elle s'était persuadée ne pas avoir envie de le revoir, qu'elle n'avait pas envie de cette attention, qu'elle ne faisait pas dans le romantisme.
Pourtant, lorsqu'Alexander apparu, un calepin sous le bras et la bouche entrouverte, elle sentit quelque chose d'étrange gonfler dans sa poitrine. Comme un trou béant qui était enfin comblé et dont elle ne soupçonnait pas l'existence avant aujourd'hui. Elle se sentit rassurée, sereine mais en même temps, elle sentait son souffle court.
Le temps semblait figé tandis qu'elle l'examina sans réfléchir. Son trench noir cintré avait l'air sur-mesure et le cardigan anthracite col V qu'il portait laissait apparaître la naissance de sa poitrine entretenue. Ce pull-over était assez ajusté et laissait transparaître les jolies formes de son corps bien bâti, la proportion de ses pectoraux renflés puis ses épaules carrées lorsqu'il fit tomber son trench-coat. Il était grand, très grand. Ses longues jambes musclées et élancées étiraient son jean sombre.
Mais elle s'attarda un instant sur ses yeux. Elle ne pouvait choisir, était-ce brun clair ou vert ? Sa peau dorée soulignait cette couleur hazel splendide et elle cessa de respirer lorsqu'il planta son regard dans le sien.
Olivia laissa un léger sourire se dessiner sur ses lèvres mais se reprit vite lorsqu'elle comprit que la vie ne faisait pas de pause et que cela faisait quelques secondes que ni l'inconnu ni elle n'avait parlé.

Alexander s'était enfin décidé à y aller, il avait erré sans réfléchir, ayant peur de faire demi-tour et il avait poussé la porte vitrée de chez Louise's Bakery. Aussi, lorsqu'il découvrit Olivia, vêtue de sa petite jupe beige et de son tablier noir, elle faillit bien le faire défaillir. Lorsque ses yeux rencontrèrent les siens, il se dit que quoi qu'il advienne il ne regretterait pas d'être venu.
Le léger sourire qui étira ses lèvres lui provoqua une vive envie de les goûter, envie qu'il refreina de son mieux en déglutissant. Il ne parvint pourtant pas à détourner le regard, absorbé par elle, par tout ce qu'elle représentait et était.
Ses cheveux chocolat étaient relevés en une queue-de-cheval négligée et son visage était ainsi dégagé, laissant la possibilité à Alexander d'admirer sa nuque, son cou fin et la jolie forme de son visage. Il soupira de désemparement puis rassembla son courage et s'avança vers elle.
- Bonjour, annonça-t-il enfin.
Elle sourit sans baisser les yeux ni la tête, soutenant avec courage le regard perçant de l'écrivain, elle haussa un sourcil ironique et répondit simplement :
- Bonjour, bel inconnu.
C'est étrange comme certaines personnes sont proches l'une de l'autre sans ne jamais s'être parlé, sans se connaître. En quelques œillades ils avaient provoqué quelque chose de beau et de dangereux. Cette force une fois lâchée est simplement indomptable.
Louise permit à Olivia de prendre une pause et donc elle posa son tablier au plus grand regret d'Alexander qui appréciait, plus que de raison, sa taille fine et marquée par le cordon blanc. Elle lui servit un thé à la bergamote, ils restèrent un moment à se regarder en chien de faïence puis Olivia engagea enfin la discussion.
- Je sais que c'est vous, les fleurs.
Alexander sourit, étirant ses lèvres pleines puis se reprit, revêtant de nouveau son masque impénétrable.
- Les fleurs ? feint-il.
Elle leva un sourcil de nouveau, surprise par le jeu qu'il installait. Elle qui pensait avoir un admirateur de plus, fut surprise de voir qu'il semblait vouloir lui résister.
- Comment avez-vous eu mon adresse ?
- Si, et je dis bien si, c'était effectivement moi qui avais envoyé ces roses d'un pourpre aussi intense que le rouge de vos lèvres, j'aurais eu plus de mal à dénicher la teinte précise des fleurs que de trouver votre adresse.
Sa fébrilité était palpable mais il parvenait à garder son sang-froid. Elle aimait cet affront et la façon dont il semblait adorer sa bouche. Elle se perdait dans ses yeux qui l'ensorcelaient de mèche avec sa voix rauque et masculine.
Alexander prit une gorgée de son thé encore fumant puis croisa ses bras, faisant terriblement bander les muscles de ses épaules et de ces biceps athlétiques.
- Vous ne laissez pas le doute planer longtemps, se moqua-t-elle en dissimulant ainsi son palpitant qui s'emballait.
Elle haussa un sourcil en attendant avec impatience la réponse du beau brun, assis en face d'elle.
- Vraiment ? Vous ne saviez donc pas si c'était moi puisque le doute planait encore.
     Elle sourit à son tour en plissant les yeux, se leva, renoua son tablier à sa taille et lui fit un clin d'œil.
- Merci d'avoir levé le voile. Je préfère connaître mes admirateurs.
Elle lui décocha un petit sourire narquois en se demandant si elle devait se remettre au travail mais un simple froncement de sourcils la décida à se rasseoir.
Alexander serra les mâchoires en entendant le pluriel qu'elle s'était appliquée à souligner. Il ne voulait pas d'autres hommes derrière elle, il ne voulait pas la partager. Olivia était sa muse, son désir, son fantasme et elle lui appartenait dans ses rêves, et dans les siens... S'il avait pu il l'aurait prise, là, sur la table six, aurait marqué son territoire aux contours de son corps et s'abreuverait à son sein de cette inspiration inépuisable au goût de Nectar.
- Très bien, je vous écoute, déclara-t-elle.
Elle était parvenue à le déstabiliser, il ne savait pas où elle voulait en venir et, à vrai dire, il était bien trop ivre de jalousie et de désir mêlé.
- Que voulez-vous savoir ?
Son cœur se mît à battre dans sa poitrine, elle sentit un courant passer de son regard hazel au brun du sien.
- D'habitude c'est le moment où vous me dites que je suis la plus belle femme que vous n'ayez jamais rencontrée et que vous pourriez mourir si je n'acceptais pas de prendre un verre avec vous.
   Elle s'adossa plus confortablement contre sa chaise et croisa les bras à son tour, en sachant que ça mettait en valeur sa poitrine. Elle désirait revoir la flamme qui brûlait au fond de ses iris de cette couleur si spéciale. Il la grisait et elle en était douloureusement consciente.
- Olivia, vous n'imaginez pas à quel point je suis différent.
    Différent, il l'était. Et cette arrogance la piquait de sa cheville au creux de son ventre.
- Liv, le corrigea-t-elle, avant de se racler la gorge.
     Qui était-il ? elle brûlait de le savoir. Sa façon de parler si prétentieuse et dominatrice si loin de ce qu'elle s'était imaginé, semblait apprivoiser tout ce qu'il y avait ici, elle y comprit.
- J'aime assez « Olivia », la défia-t-il de nouveau.
         Elle n'aimait pas perdre le contrôle mais ne parvenait pas non plus à se relever et à simplement le laisser planter là. Quelque chose chez lui l'attirait comme un papillon de nuit par la flamme, elle parvenait à sentir sa lumière et sa chaleur.
- Et vous, qui êtes-vous ?
- Veuillez pardonner mon manque de correction. Alexander A... Ace.
          Olivia se mordit l'intérieur de la joue en l'entendant prononcer son nom de famille avec tant de solennité.
                 Il lui tendit la main en choisissant d'user le nom de jeune fille de sa mère anglo-italienne, de père anglais. Étrangement, il ne voulait pas qu'elle sache qui il était, il voulait qu'elle connaisse Alexander l'homme et non Alexander l'écrivain. Qu'elle tombe folle de lui et non de ses livres.
                 Elle la saisit sans pouvoir refréner son envie de le toucher. Un courant passa de l'un à l'autre puis de l'autre à l'un, comme une malédiction délicieuse et électrisante. Elle aurait voulu laisser sa paume dans la sienne pendant des heures, jouer avec les poils de ses bras basanés, goûter à sa mâchoire carrée et saillante.
- Seulement anglais alors ? remarqua-t-elle en entendant son nom de famille.
             Il n'était pas convenable de tirer sur le bras d'une jeune femme et de l'attirer à lui, c'est pourquoi Alexander secoua la tête en reprenant sa main à contre-cœur. Quand bien même il mourrait d'envie de la sentir toute contre lui.
- Et que faites-vous dans la vie, Alexander ?
            Sa voix se voulait mielleuse et envoûtante. Il tressailli en entendant l'unique objet de tout son désir à fleur de peau prononcer du bout de ses lèvres charnues son prénom.
                 Afin de se détendre et de réguler son souffle, il attrapa l'accoudoir de sa chaise et le serra à s'en faire blanchir les phalanges.
                 Dans son esprit ne cessait de tourner un film dans lequel il se voyait attraper sa nuque délicate en faisant glisser sa main libre sur la naissance de ses clavicules, elle était à sa merci, le suppliant de la faire sienne.
- Je suis dans la littérature.
            Ce qui était vrai.
- Dans l'édition ?
           Il acquiesça même si ceci l'était moins. Elle lui offrait un mensonge sur un plateau qu'il lui suffisait de saisir.
- J'adore la littérature, admit-elle, plus timidement.
            Alexander aimait cet aspect d'elle, tout autant que son côté féroce et passionné, il aimait sa sensibilité.
                Elle lui sourit mais Louise lui demanda gentiment de reprendre son service. Alors elle se leva sous les yeux attentifs de l'homme qui brûlait pour elle, en lissant son tablier.
- Le devoir m'appel, j'ai été ravie monsieur Ace.
            Olivia se leva et lui serra la main de nouveau, ne pouvant s'en empêcher, cette onde si spéciale la traversa et son corps s'embrasa tout entier. Le désir sincère qui la submergeait ne lui laissait rien d'autre à l'esprit, elle ne pensait qu'à attirer sa paume sur son corps fébrile et en attente.
- Appelez-moi Alexander, supplia-t-il car il aimait son prénom entre ses lèvres.
- Soit, Alexander.
       Et elle se dirigea vers l'arrière-boutique en se retournant sur l'auteur de sa vie. Olivia ne s'avait pas très bien ce qu'il se passait en lui, en elle, entre eux, mais elle le sentait aussi, elle savait qu'il avait dit vrai et qu'il serait différent.

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