La peur est un sentiment que l'on connait tous. Elle accompagne la prise de conscience d'un danger. De ses serres acérées elle prend le contrôle, accélérant le rythme cardiaque à une allure effrénée, flouant nos sens ivres d'angoisse et s'insinuant dans nos veines à la vitesse du poison. La peur vit tapie au fond de nous, se nourrissant de nos incertitudes elle prend le visage de ce que l'on redoute. Pour Olivia c'était simple, ce visage était, trait pour trait, comme tatoué dans son esprit, celui de Chase Docker.

Parfois, les souvenirs restent, se figeant dans notre esprit comme une marque indélébile qui ne connait pas les effets du temps même si souvent ils s'estompent jusqu'à disparaître.
Mais à chaque fois qu'Olivia Eames se déshabillait, elle ne voyait que la brûlure sur sa hanche. Comme une petite entaille dans sa peau sans défaut qui laissait s'échapper tout ce qu'elle tentait désespérément de contenir à l'intérieur. Et cette marque indélébile, cette marque qui ne connaissait pas les effets du temps, cette marque ronde et de la taille parfaite d'un mégot rouge de cigarette, lui rappelait sans cesse certains souvenirs qui ressemblaient à des cauchemars.
C'est cette sensation, de souvenirs clairs et intacts qui commençaient à faire partie d'elle, qui remonta à la surface lorsqu'elle aperçue au loin la silhouette et la chevelure à la Kurt Cobain de Chase Docker. L'adrénaline avait pris le dessus et elle ne parvenait pas à s'empêcher de progresser vers son bourreau, bousculant la foule sans entendre personne, sans rien voir au dehors mis à part ce halo blond qui lui murmurait de s'approcher comme une malédiction tentante.
Mais un passant lui barra la route quelques instants furtifs et Chase s'évanouit comme par magie.
Comme réveillée, elle battit rapidement des cils pour reprendre ses esprits. Était-ce vraiment lui ? Elle se mit à trembler sans pouvoir se mouvoir, figée sur place, pétrifiée comme si elle venait de rencontrer Méduse.
Olivia ne savait pas combien de temps elle resta là, seulement debout et chancelante au milieu des passants et des passantes qui ne lui prêtaient pas attention.
Mais une voix, qu'elle aurait pu suivre en enfer les yeux fermés, l'interpella :
- Olivia ? Olivia, que se passe-t-il ? s'empressa-t-il de demander sur un ton qui allait crescendo, se calquant sur son degré d'inquiétude.
Alexander...
- J-J-Je...
Rien d'autre ne franchit la barrière de ses lèvres bleues du froid qui l'anesthésiait. Par reflex, il posa son trench-coat sur ses épaules tout en l'observant, le front marqué par l'inquiétude.
Il ne savait pas comme prendre soin d'elle et ça le terrifiait, elle qui était si forte et en même temps une si fragile petite chose. Comment briser sa carapace sans la briser tout entière ?

Les clochettes de la porte d'entrée de chez Louise's Bakery tintèrent de nouveau et, la place étant de nouveau vacante, Alexander s'installa à la table six après avoir installé une Olivia tremblante et muette sur la chaise adjacente. On ne distinguait que son visage terrifié qui dépassait du trench-coat noir bien trop grand.
- Olivia...
Elle sursauta lorsqu'il prit son visage en coupe entre ses paumes chaudes.
- Tu n'es pas obligée de me dire ce qu'il s'est passé si tu n'en as pas l'envie. Mais dis-moi que tu vas bien, murmura-t-il d'une voix qu'il s'efforçait de paraître douce et calme pour ne pas l'effrayer davantage.
Pourtant, s'il tremblait c'était de rage à l'idée que quelqu'un ou quelque chose ait pu la mettre dans un état pareil. Et il se détestait de ne pas savoir comment la réconforter. Son impuissance face au regard vide de la femme en face de lui qui semblait avoir perdu toute sa vie, le rendait fou. Il ne savait pas quoi faire de ses bras, de ses lèvres, de son corps tout entier.
Face à son silence accablant, il soupira en baissant les yeux, réfléchissant à toute vitesse.
La pluie commença à tomber, peignant d'un clapotis régulier la vitrine du salon de thé. Il aurait aimé pouvoir prendre sa douleur et toutes ses peurs et les affronter à sa place, il aurait aimé toute absorber, tout supporter pour qu'elle puisse virevolter de nouveau entre les tables dans sa petite jupe et son tablier. Mais il ne pouvait pas, alors à défaut de le faire, il aurait voulu la conforter, lui murmurer qu'il était là et qu'il se battrait à ses côtés. Se battre... mais contre qui ? Mais contre quoi ?
S'il avait été brisé comme elle l'était, la seule chose qui l'aurait fait remonter à la surface aurait été de se perdre en elle. Rien d'autre ne lui venait à l'esprit alors qu'il réalisa que ce n'était pas une solution puisqu'elle sursautait à l'instant même où il posait sa main sur elle.
Alors que son esprit tentait par n'importe quel moyen d'évaluer une situation qui le déstabilisait plus que de raison, il fut stoppé par un long et profond soupir.
- Liv' ?
Elle ferma les yeux en expirant de nouveau, doucement, profondément et longtemps. Sa petite main marbrée par le froid se distingua de tout ce tissu qui l'entourait et elle la glissa dans le poing d'Alexander qui soupira de soulagement.
- Je vais bien, assura-t-elle d'une voix qui se voulait assurée.
Cela ne l'empêcha pas de l'entendre se briser. Elle tombait en morceau devant ses yeux et il était impuissant.
- On rentre à la maison ? suggéra-t-il en priant pour qu'elle cède.
La maison ? En avait-elle une ? Elle hocha légèrement la tête en jetant un regard suppliant vers Louise qui la couvait déjà de ses yeux inquiets.
- Je... bredouilla-t-elle.
- Je sais ma belle, je sais, assura Louise en lui offrant un sourire empreint de douceur.
Alexander l'aida à se lever et, passant un bras autour de ses épaules, la ramena à la maison.
Même si, au fond de son cœur, lorsqu'il la tenait assez fermement contre lui et qu'elle pouvait entendre les battements de son cœur, elle était à la maison, la seule qu'elle n'avait jamais connu.

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