Colette a dit un jour : « Quand on est aimé, on ne doute de rien. Quand on aime, on doute de tout. » Olivia qui semblait être assise dans le vide en songeant à Alexander et à sa façon d'être si proche qu'elle pouvait sentir sa chaleur mais qui, en même temps, demeurait si loin, comprit enfin à quel point c'était vrai.

               Olivia Eames réfléchissait à défaut de parvenir à trouver le sommeil. Elle se demandait ce qui empêchait Alexander de la faire sienne. Ses qualités de séductrice, elle en était sûre, mais peut-être qu'en dévoilant son âme et en imprégnant le col de sa chemise de ses larmes, elle avait manqué à ses règles. Peut-être était-ce la raison pour laquelle, à chaque fois que l'occasion se présentait de concrétiser les paroles brûlantes qu'il lui offrait, il semblait battre en retraite.
              Olivia connaissait ses atouts, elle sentait les yeux des hommes dans son dos alors que ses hanches se balançaient. Elle connaissait l'admiration qu'ils portaient à son corps à chaque fois qu'elle faisait glisser le tissu de ses robes sur ses douces épaules. Et elle voyait dans le regard d'Alexander cette même flamme au fond de ses yeux, bien que plus ardente.
              Olivia savait qu'il saurait l'adorer comme personne, elle se languissait de connaître son goût et de parcourir de ses mains les muscles de son dos. Et l'attente rendait son impatience insoutenable.
             Elle voulait savoir ce qu'il pouvait bien cacher. Quels étaient les secrets du bel éditeur ? Elle voulait en faire partie. Elle voulait savoir comment pouvait-il avoir le temps de passer au salon de thé aussi fréquemment et aussi longtemps tout en exerçant son travail à plein temps. Elle désirait apaiser ses doutes et ses angoisses. Elle voulait tarir le flot de questions qui l'emportait à chaque fois qu'elle s'asseyait dans le vide pour réfléchir et qu'il envahissait ses songes.
             Évidemment, elle prenait soin de ne pas penser à ce qu'elle lui dissimulait, elle.


            Ses escarpins claquaient sur les pavés de la deuxième rue qu'elle empruntait pour rentrer chez elle. En laissant son regard se perdre dans le gris cotonneux du ciel, elle pouvait entendre de nouveaux les clochettes de la porte vitrée du salon de Louise tinter. Elle revoyait parfaitement le visage fermé de son soupirant - et amant de ses rêves - pénétrer dans la salle calme.
             Comme d'ordinaire, Olivia avait défait son tablier et s'était assise à la table six avec l'homme qui occupait absolument chacune de ses pensées. Sans vergogne, il avait plongé son regard incandescent dans le sien, comme pour lui montrer la flamme de désir qui y dansait. Son teint olive faisait terriblement ressortir le vert rouille de ses yeux et, comme le jade, elle trouvait cette couleur tellement pure qu'elle espérait pouvoir y laver ses péchés.
              Olivia lui avait demandé de lui parler du manuscrit qu'il traitait en ce moment en une façon déguisée de s'assurer qu'il était bien éditeur, qu'il était bien ce qu'il prétendait être. Elle se rappelait l'incroyable histoire qu'il lui avait comté. Alexander n'avait fait que lui raconter les prémices du roman dont elle imprégnait chacun des mots.
               Sur le chemin, elle passa ses doigts sur ses lèvres comme si elle pouvait encore ressentir la chaleur de son regard lorsqu'il l'écoutait parler et qu'il ne regardait que sa bouche qui laissait échapper une voix féminine et sensuelle.
               Il semblait être un narrateur né, ralentissant le rythme dès que le suspense la faisait se languir, s'exclamant lorsqu'il fallait hurler et gardant cet éclat dans le regard qui demeurait le plus beau spectacle. Elle se souvient s'être prise au jeu, absorbée par l'incroyable histoire d'amour qu'il distillait au gré de ses envies, observant avec impatience les réactions qu'il parvenait à susciter en elle. Olivia vivait cette aventure comme il se l'était si souvent imaginé, elle marchait sur les pas de Daphné, embrassait à pleine bouche Esteban et dansait jusqu'à pas d'heure.
              Lorsqu'il eut achevé de lui décrire un à un chacun de ses fantasmes dont elle était inconsciemment le personnage principal, elle lui posa une foule de questions auxquelles il avait été ravi de répondre. Son intérêt lui plaisait plus que ce qui lui était tolérable et il s'efforçait d'oublier sa main, nonchalamment posée sur son avant-bras.
              Ce contact irrépressible et innocemment anodin avait éveillé en chacun d'eux une passion violente et assoiffée qu'ils s'étaient efforcés de brider et, alors que tous les autres clients vaquaient à leurs occupations sans se douter un instant de ce qui était en train de se passer, ce simple geste les connectait au plus profond de leur cœur frustré.
               Pourtant, Olivia était déjà au pied de son appartement et dû retenir du mieux qu'elle pouvait, les souvenirs qui tourbillonnaient dans sa tête. Tandis qu'elle cherchait ses clés au fond de son sac à main, elle se rendit compte que la porte était entrouverte.
               Son cœur rata un battement et, en retenant son souffle, elle pénétra dans l'entrée. Sur la pointe des pieds et en minimisant chacun de ses bruits, elle monta les escaliers pour découvrir que son domicile avait bel et bien était violé.
               Au fond, Olivia savait à qui en vouloir, elle connaissait la seule personne qui lui avait promis une éternité bercée de peur. Mais c'était trop dur de se l'avouer, c'était trop dur de seulement imaginer qu'il ait pu la retrouver.
               En pénétrant dans son appartement, elle le découvrit avec étonnement intact. À l'entrée, sur le comptoir de la cuisine, trônait toujours les tiges sèches des roses chères à son cœur, encerclées par des dizaines de pétales fanés. Elle soupira d'apaisement, rassurée par le simple symbole d'une vague présence d'Alexander.
               Olivia déposa son sac, et bien que quelque peu apaisée, d'une lenteur infinie pour n'émettre aucun bruit. En s'approchant du séjour, elle découvrit tout à sa place, rien ne semblait manquer et, étrangement, c'est ce qui lui fit le plus peur car, si rien n'avait été volé, si rien n'avait été déplacé alors elle pouvait écarter la conjecture d'un cambriolage.
               De toutes façons, elle ne pouvait pas se laisser dominer par la peur, alors elle continua d'avancer jusqu'à ce qu'un reflet sur la table basse l'éblouisse. Son sang se figea tout à coup, elle retint sa respiration, plus un seul son ne subsista, le silence était complet et accablant.
                Olivia s'avança aussi prudemment qu'une proie ne désirant, pour rien au monde, réveiller son prédateur. Plus elle s'approchait de la table, plus elle était éblouie par ce qui était au centre de toute son attention. Elle finit par distinguer une chaînette dorée et découvrit, quelques instants, plus tard un médaillon.
                 De nouveau, elle sentit tout son corps se figer, elle failli défaillir et n'osa pas le toucher lorsqu'elle s'aperçut de quel collier il s'agissait.
                 Elle se laissa tomber, chancelante et tremblante au fond de son sofa, désirant plus que tout se fondre dans le cuir tendre pour disparaître dans la volupté d'un rêve bien moins compliqué.
                Les souvenirs refaisaient surface comme des bouteilles jetées à une mer de souvenirs et qui luttaient pour flotter. Elle se souvint de cette nuit où elle avait offert ce collier, qu'elle avait reçu le jour de son baptême, à Chase qui avait passé la nuit à la remercier. Comme un retour acide, Olivia se rappelait ses mains calleuses qui glissaient mal sur son corps haletant sous la lumière tamisée des néons rougeâtres. Un frisson lui parcouru l'échine et elle jeta de nouveau cette bouteille de verre poli à une mer d'oubli.
                 Elle devait affronter la sinistre vérité, pour se faire elle se leva, récupéra son sac à main et claqua la porte, elle devait se protéger. Chase était de retour et plus rien ne pourrait l'arrêter.

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