Il arrive parfois que pardonner soit plus aisé. On pardonne pour ne pas avoir à dire adieu, pour être un bon croyant, pour s'assurer un pardon en retour. Mais il existe d'autres raisons à la miséricorde, ou du moins une seule. Parfois, nous n'avons simplement plus le choix, car décider de ne pas pardonner n'efface pas les années passées, ne cicatrise pas les plaies ancrées, ne ressuscite pas les absents qui ont fautés. En offrant son pardon, peut-être est-ce un pas vers sa propre rédemption.

Il ne lui fallut qu'un regard dans le miroir mural pour y voir ce qu'elle avait pu y voir cinq mois plus tôt. Une femme. Une femme enceinte, certes, mais surtout une femme.
Ce fourreau en soie crème épousait chacune de ses formes d'autant plus voluptueuses depuis qu'elle avait dépassé son premier trimestre. Son ventre était désormais bien rond et sa peau bien tendue.
Pourtant, le reste de son corps était resté à peu de détails près identique. Il y avait bien quelques disgracieuses lignes blanches sur le renflement de ses seins lourds et bombés mais rien qu'Alexander ne condamnait. Et à travers lui, elle pouvait s'aimer dans ses différences. Olivia savait que ce n'était pas sain mais elle n'y pouvait rien. Lui plaire restait la seule chose qui lui permettait de se sentir désirée.
Elle appliqua sur ses lèvres pleines un gloss chair et irisé tout en caressant ce qu'elle savait être son enfant. Repoussant d'une main les quelques boucles qui s'échappaient volontairement de son chignon bas, elle sourit à son reflet avant de s'éloigner, perchée sur ses stilettos vernis. Olivia Eames restait Olivia Eames, quoi qu'il pouvait arriver.
Cependant, ce ne fût qu'en apercevant le regard ardant que lui offrit Alexander qu'elle se sentie complètement satisfaite d'elle-même.
- Oublions ce bal, déclara-t-il aussitôt.
Elle ne put s'empêcher de sourire.
- Oh non, vous me tenez sous coupe depuis trop longtemps monsieur Alighieri, ronronna-t-elle tout en passant ses mains sur le tissu de son costume noir.
- Tu as raison, c'est une honte de garder une œuvre d'art au grenier, se moqua-t-il en baissant la tête pour accéder à ses lèvres luisantes.
- Pas touche ! s'exclama-t-elle en faisant un pas en arrière pour échapper à son baiser.
Prenant un peu de recul, elle put apprécier la beauté dévastatrice de son petit ami. Alexander Alighieri était sans nul doute un bel homme. Tout le monde le voyait, tout le monde le savait. De son solide mètre quatre-vingt-sept, il dominait le commun des mortels. Ses yeux de ce vert si particulier s'étiraient en deux amandes mûres. Et le teint matte de sa peau, nimbé de cette lumière mandarine de fin de journée faisait terriblement ressortir son regard intense. Il était à lui seul un champ d'été provençal. Son corps était ferme et sa posture, volontaire. Il dominait la pièce, l'espace et le temps. Ses pieds légèrement écartés étaient ancrés au sol, ses mains n'étaient hors de ses poches seulement parce qu'elle les tentait.
Il avait envie d'elle. Comme d'ordinaire. Et si un jour elle lui demandait de s'abstenir, alors il lui proposerait d'arrêter de respirer à la place. Cela lui semblait plus envisageable.
- Tu me tues là, grommela-t-il en passant distraitement sa main dans ses boucles corbeau.
Olivia lui sourit tendrement en effaçant l'espace qu'elle avait imposée entre eux.
- C'est juste que j'ai du gloss sur les lèvres, je n'ai pas envie d'en mettre partout, avoua-t-elle en déboutonnant l'un des boutons de sa chemise immaculée.
Alexander serra les dents, les lèvres légèrement entrouvertes et abaissa tout de même son visage vers le sien tout en mêlant son souffle à celui de la belle brune. Suspendu au-dessus de sa bouche étincelante, il soupira et empoigna à pleines paumes ses fesses rebondies pour la presser contre lui.
- La seule raison qui me pousse à ne pas faire déborder ton joli rouge à lèvres sur le reste de ton corps est que je t'aime, gronda-t-il entre ses dents.
- Tu sais aussi bien que moi que ce bal de fin de printemps est important pour ta carrière et que lorsqu'on commence, on ne s'arrête seulement quand on ne peut plus rester éveillé. Alors évitons d'être en retard.
Sur ce, elle l'entraîna vers le vestibule.
- Attends une seconde, prend une veste, on risque de rentrer tard et tu vas avoir froid.
- On ne met pas de veste sur une robe pareille, indiqua-t-elle tout en désignant l'étoffe coûteuse. Nous sommes en juin, il fait vingt degrés, je crois que je vais survivre.
- Nous sommes en juin depuis trois jours, prend un châle dans ce cas.
Voyant qu'elle fronçait dramatiquement les sourcils, il passa le pouce sur les plis qu'ils formaient et planta un baiser sur sa tempe.
- S'il te plait, ajouta-t-il dans un murmure.
- Bien, allons-y maintenant, céda-t-elle en attrapant un voile de lin plus foncé que sa robe.
Et Olivia se glissa dans l'embrasure de la porte, baignée de cette lumière abricot.

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