Le temps passe c'est inévitable. Il s'écoule, s'égrène, se faufile entre nos doigts, et peu importe l'expression employée, le temps passe. Il court, vite, et parfois on peut l'attraper en vol, laisser le temps être le temps un instant figé et fugace, appréciant les quelques secondes qu'il nous accorde. Mais aussitôt, il repart et nous emporte dans son sillage. Laissant derrière nous des souvenirs nostalgiques de ce qu'a été un bonheur passé pas suffisamment savouré.

Bientôt, les gelées d'hiver laissèrent place aux giboulées d'un mois de mars londonien. Au plus grand plaisir d'Alexander qui retrouvait tous les soirs une Olivia trempée, bouillonnante de passion. Leurs accords semblaient fonctionner, tant que le sujet de l'argent n'était pas abordé... Mais petit à petit, ils apprenaient à se connaître, à s'apprivoiser et savaient qu'il y avait certaines limites à ne pas franchir.
Après un mois de sexe intensif, il était temps pour eux de sortir de leur bulle douillette et chaude. La meilleure amie d'enfance d'Olivia était de passage en ville et la tannait pour rencontrer le mystérieux homme qui la faisait rester.

Rien n'était plus sincère que le regard empli de fierté qu'Alexander adressa à Olivia lorsqu'elle le rejoignit devant la porte d'entrée. Sa robe rouge fétiche, d'une simplicité élégante, dévoilait ses épaules et une partie de sa cuisse gauche. Elle agissait comme un écrin de crêpe qui la mettait terriblement en valeur.
- Tu es divine, avoua-t-il en lui tendant la main.
Ravie, elle haussa un sourcil à son intention.
Olivia savait pertinemment de quoi elle avait l'air dans cette robe, c'est pourquoi elle était sa préférée. Souvent, elle avait été dévêtue de celle-ci, souvent elle avait été nourrie et abreuvée grâce à celle-ci, souvent elle était rentrée avec des hommes, vêtue de cette robe. Elle connaissait le pouvoir de ce rouge alizarine intense et ensorcelant, elle avait pu voir le désir s'allumer dans le regard des hommes qui la regardaient. Mais jamais elle ne s'était sentie aussi belle que sous le regard fasciné d'Alexander.
- Tu es très beau toi aussi, répondit-elle en rougissant, s'avançant pour défaire un bouton de sa chemise.
Par ce geste, elle dévoilait un peu plus de son torse sculptural et hâlé. Elle aussi serait très fière d'être vue à son bras ce soir.

Bonnie Moore était une femme étonnante. Du haut de son mètre quatre-vingts, elle respirait la joie de vivre. Son teint café était rehaussé par un regard d'un bleu si spécial qu'il semblait violet. Elle était jolie, d'une façon différente, d'une façon originale.
Facilement repérable au centre de la salle louée pour ce vernissage, elle discutait vivement avec un groupe d'invités chic. Mais lorsqu'elle aperçue Olivia, elle se mit à crier, cessant ce qu'elle faisait pour rejoindre le jeune couple, un sourire épanoui sur ses lèvres pulpeuses.
- Livie !
Elle s'empressa de la serrer dans ses bras avant de la regarder sans détacher ses paumes de ses épaules.
- Que c'est bon de te revoir !
Avant de laisser Olivia lui répondre, elle arqua un sourcil dans la direction d'Alexander.
- Tu dois être Alexander, souffla-t-elle en l'étudiant un instant.
Son excitation était contagieuse et sa familiarité rafraîchissante. Alexander lui tendit sa grande paume avant d'ajouter :
- Enchanté.
Olivia lui jeta un regard en catimini, il était fait pour diriger, pour gérer, pour affirmer son autorité. Sa prestance était naturelle, son autorité indéniable. "Pourquoi n'avait-il pas accepté de reprendre les rênes de l'entreprise de son père ?" se demanda-t-elle.
- De même, finit-elle par s'exclamer en lui servant son plus beau sourire tout en serrant sa grande main, ferme et chaude.
- Il y a du monde ! s'exclama Olivia en lançant un vague regard à la foule.
- Oui, c'est plutôt bien, mais le plus important c'est que tu sois là.
Comprenant qu'il était temps pour lui de s'éclipser un instant, Alexander indiqua qu'il allait leur chercher de quoi boire.
- Alors ? Comment tu vas ma chérie ? s'enquit-elle aussitôt.
Bonnie était la seule personne qui connaissait Chase, qui connaissait Rochdale, qui avait vécu le passé d'Olivia comme son présent.
- Chase est entré chez moi, il sait où j'habite, c'est pour ça que je vis avec Alexander depuis un peu plus d'un mois.
- Hm, ma pauvre chérie ! fit-elle en riant. Vivre avec cet homme-là doit être une réelle torture, arrête ton char, il a l'air fantastique.
Le trouvant près du buffet, elle le couva un instant du regard. Ses boucles de jais lui retombant sur le front, accentuant le vert de son regard ténébreux, il était à couper le souffle dans ce costume noir. Il l'était toujours.
- Il l'est, assura-t-elle en souriant bêtement.
Suivant son regard, Bonnie se mit à rire de plus belle :
- Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de ma meilleure amie ?
- Arrête ça tu veux ?
- Trêve de plaisanteries, il te traite bien ?
- Bien sûr, tu me connais.
Bonnie ne put s'empêcher de la regarder de ses yeux rieurs dont elle seule avait le secret.
- C'est ce que je croyais avant de te voir le couver du regard. Depuis quand tu fais ce genre de choses toi ?
Le quittant des yeux, Olivia se tourna de nouveau vers son amie avant de répondre dans un murmure exagéré :
- Tu le ferais aussi si tu avais un homme qui t'empêche de dormir la nuit et qui te tiens en haleine le jour à la simple idée des nuits passées et à venir...
- Tu déconnes !
- Eh non ma fille, cet homme est une vraie bête, il me rend complètement folle.
Bonnie le scruta un instant, déclinant ses épaules droites et musclées, ses bras tout aussi bien faits et son petit fessier rebondi :
- Miam.
- Calme-toi, je griffe, ria Olivia.
- Ne t'en fais pas, je pense pas qu'il soit intéressé par quelqu'un d'autre.
- Je ne veux pas que ça aille trop vite, je ne veux pas le faire souffrir. Tu sais comme je suis, tu sais à quoi ressemble ma vie, je ne voulais pas l'entraîner là-dedans.
Posant une main compréhensive sur son épaule, Bonnie la rassura comme le ferait une amie, ce dont elle avait terriblement besoin.
- Tu ne peux pas prendre ses décisions à sa place. Tant que tu es honnête, il s'engage en connaissance de cause.
- Je sais...
- Mais quelque chose me dit qu'il ne s'agit pas que de cela. Je crois que c'est toi qui a peur de souffrir s'il fallait que tu partes.
- Non... Oui, peut-être. Je ne sais pas.
Avant de pouvoir mettre des mots sur ce qu'elle ressentait réellement pour lui, elle le vit lancer un regard terrifiant vers un homme qui ne cessait de la fixer. Lorsqu'Olivia vit son visage, il lui sembla étrangement familier. Ses cheveux auburn coupés ras et ses yeux d'un noir d'encre lui rappelaient quelque chose sans qu'elle ne puisse mettre le doigt dessus.
- Tu connais cet homme ? demanda-t-elle à Bonnie.
- Eh bien, non.
Les deux femmes échangèrent un regard intrigué lorsque l'inconnu s'approcha rapidement vers elles, pensant qu'il s'arrêterait et se présenterait, quelle ne fut pas leur surprise lorsque celui-ci bouscula Olivia d'un violent coup d'épaule. Abasourdie, cette-dernière plissa les yeux et retroussa sa lèvre supérieure, chose qu'elle faisait à chaque fois qu'elle allait mordre.
- Vous ne pouvez pas regarder où vous allez ! s'emporta-t-elle.
- Qu'est-ce qu'elle veut la belle pute ? répondit-il, lui lançant un regard digne d'un film d'horreur.
- Excusez-moi ! s'exclama Bonnie tandis qu'Olivia, sous le choc, ne sut quoi dire.
- Quoi ? Toi aussi t'en veux ?
En quelques secondes, Alexander prit les choses en main, exultant de rage. Alors qu'il saisit vivement le col du rouquin, Olivia l'avait senti, bouillant, passer à côté d'elle. Ça n'augurait rien de bon.
- Alexander ! s'exclama-t-elle en voyant ce-dernier, balancer violemment leur agresseur hors de la salle.
Ici, les conversations cessèrent, tous les regards étaient braqués sur eux.
Elle s'empressa de les suivre dans la rue, humide du crachin qui ne cessait de tomber depuis un mois. La morsure de froid ne la surprit plus.
- Alexander ! Non ! hurla-t-elle mais son cri fut étouffé par la nuit noire.
Elle ne put voir qu'un coup de poing s'abattre, puis un autre, puis un autre. Elle ne put qu'entendre le son d'un corps qui se brise.
- S'il te plaît ! Je t'en prie arrête, s'époumona-t-elle de nouveau.
Il fallait que ça cesse, ils ne pouvaient se donner en spectacle de cette façon !
Olivia avait toujours mis un point d'honneur à rester discrète, à ne pas se faire entendre pour ne pas être retrouvée, elle évitait ce genre de situation. C'est pourquoi elle attrapa le poing d'Alexander pour l'empêcher de faire plus de dégâts.
- Alexander, c'est moi, ça va, ça va... lui murmura-t-elle.
Ce-dernier lui lança un regard fou, elle recula de quelques pas, effrayée par le noir qui avait quasiment prit la place du vert bouteille de ses yeux, du sang qui maculait son beau visage. Elle ne le reconnaissait pas.
Remarquant sa mine apeurée, il se releva, laissant l'autre homme cracher le sang qu'il avait dans la bouche.
- Quel homme, lâcha Bonnie en le regardant passer sa paume meurtrie sur la joue d'Olivia.
Elle avait eu peur, mais la colère l'emportait sur le reste de ses émotions à cet instant. Pourquoi avait-il fait ça ?
- On rentre, ordonna-t-elle d'un ton sec en repoussant sa main.
Alors qu'ils s'éloignaient du vernissage dans le froid du mois de mars, elle se retourna pour jeter un dernier regard au fou. L'homme qui s'était relevé lui adressa un sourire épouvantable. Ses yeux étaient malicieux et ses dents, rouges de sang. Un frisson la parcourra et elle laissa Alexander passer un bras autour de ses épaules.

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