M o u s a

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“Tu... Tu m'aimes ?”

Elle en fit tomber son pinceau. Une surprise brute anima ses pupilles. Un long silence s'ensuivit.

“Pourquoi ? finit-elle par lâcher platement.”

L'inconfort me gagnait, et je me replaçai sur ma chaise, avant de changer encore de position, mal à l'aise.

“— C'est euh... C'est Orion. Il m'a dit que tu m'aimais.

— Oh. D'accord.”

Elle baissa la tête et replongea dans ses pensées, ce qui, curieusement, m'agaça. À force de retourner maintes et maintes fois cette possibilité dans mon esprit, j'en étais presque venue à y croire ; qu'elle ne prît même pas la peine de la confirmer, ou de la nier - auquel cas, soit dit en passant, je me serais faite à l'idée - m'insupporta. Je voyais dans son attitude une paresse, une mollesse dédaigneuse à mon égard. Étais-je donc si indigne de réponses ? N'en pouvant plus, je me levai, et laissai éclater ma colère :

“Neve, tonnais-je fermement.”

Elle sursauta, m'accorda son attention la plus complète, elle si peu habituée à me voir employer ce ton tranchant, glacial. Lorsque je prononçais son nom, habituellement, ce fut toujours pour y raccrocher des mots d'amour. Mais plus de place pour la tendresse, ne restait que la douleur de l'animal blessé.

“Tu m'aimes, oui ou non ?”

Pas de réponse. L'épuisement me prit soudain, vague de lassitude s'échouant contre mon cœur. Je soupirai, vaincue.

”Je suis fatiguée de t'aimer parfois. Tout tourne toujours autour de toi, Neve. C'est toujours à tes passions qu'on s'intéresse. C'est toujours tes films que l'on regarde. Et lorsqu'on parle littérature, on en vient toujours à philosopher sur tel ou tel auteur qui a su toucher ton âme. Quand viendra mon tour ? As-tu seulement la moindre once d'intérêt pour moi ? Je suis une ombre tu sais ; je crois m'être trop oubliée pour toi. Je n'ai jamais pris la peine d'essayer de m'aimer, et toi non plus.”

Ma tirade la laissa sans voix. Puis, les larmes perlèrent au coin de ses yeux. Cette vision me fut insupportable ; car quand bien même son égoïsme me rongeait, je ne pouvais, témoin de sa mélancolie, réfréner l'irrésistible envie de la serrer contre moi. Alors je tournai les talons, fit quelques pas, faillit m'en aller lorsque je sentis une main me retenir.

“Je suis désolée, Alia. Je suis désolée. Pardon. J'ai trop pris l'habitude de t'avoir auprès de moi. Je n'ai même pas cherché à te connaître. J'ai honte. J'ignore jusqu'à ta couleur préférée ! Mais je t'en prie, reste. Apprends-moi à t'aimer. Montre-moi qui tu es autrement qu'à travers ma personne. Dis-moi ce que tu aimes. S'il te plaît.”

Je n'eus pas réellement besoin de réfléchir, profondément désarmée par tant de fragilité et de bonne volonté. Je voulais la croire. Je désirais savoir quel sentiment cela procurait d'être spécial pour quelqu'un qui l'était tout autant.

“— D'accord. Je te fais confiance.

— Mais... pour répondre à ta question. Oui, je t'aime. Oui. Je le sais parce qu'en te voyant prête à partir, pour de bon, j'ai eu terriblement peur de te perdre. Je te veux. Alia, je te veux. Et je t'aime.”

J'en fus toute bouleversée. Les rouages de mon cœur s'emmêlaient, les pensées perdaient leur sens.

“— Comment ? Qu'est-ce que tu aimes, chez moi ?

— Ta voix. Ton sourire. Ta douceur. Ta franchise.

— Et quoi d'autre ?

— Sans doute serai-je amoureuse encore davantage de toi en même temps que de tes habitudes. Le nombre de sucres que tu mets dans ton café, ta chanson préférée, ta façon de cuisiner. Ces détails me feront tomber un peu plus chaque jour, toujours plus profondément dans le puits de mes sentiments. Et alors ce sera magique, parce que lorsque je verrai ton film préféré passer à la télé, ou que j'entendrai à la radio cet artiste que tu aimes tant, un sourire incontrôlable me viendra aux lèvres. Tes couleurs se déverseront sur chaque miroir de la vie, et le monde n'aura plus tout à fait le même goût. Je t'aurai sur le bout de la langue, en permanence.”

Un sourire se dessina sur mon visage.

“— Tu parles drôlement bien d'amour, pour quelqu'un qui a encore tant à apprendre.

— Tu m'inspires.

— Je suis un peu ta Muse, alors ? demandai-je, amusée.

— Oui, confirma-t-elle. Ma Muse.”

GrandiosesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant