Á r ē s

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“— Elle va mourir.

— Oui, confirmai-je.”

Ce n'était pas une question. Et ce n'était pas une réponse non plus. C'était la réalité, celle qui ne prenait pas parti, qui se contentait d'exister ; terriblement simple, brutale, laide. Abel baissa les yeux vers le sol. Il entra dans la chambre, en ressortit peut-être une heure plus tard - ou alors quelques minutes, quelques secondes, il semblait soudain absurde de compter - il me prit dans ses bras, et on resta là hors du temps. Mon fils. Et je savais que de l'extérieur nous ne renvoyions l'image que d'une vieille âme qui s'écroulait sur son enfant, qui se laissait aller - parce que c'était comme ça que voulez-vous, les vieux étaient faibles. Mais nous le savions, au fond, nous en étions entièrement conscients, qu'on se rassurait mutuellement, qu'on se tenait pour ne pas chuter, qu'on se devait de soutenir nos fondations ensemble.

Sans lui je me ferais ombre ; sans moi il perdrait sa lumière.

“— Elle t'attend, articula-t-il lentement - et ce fut à cet instant que je compris qu'il avait pleuré. Rejoins-la. Maman, elle a besoin de toi.”

Il accrocha son regard dans le mien, ses pupilles tristement tourmentées, et il me suppliait presque par là. Il craquait, je le sentais. Perdre un parent au ralenti relevait du supplice. Alors je redevins la Mère, celle qui restait debout, qui affrontait vents et marées pour son protégé, qui lui racontait des histoires la nuit, qui embrassait ses pleurs, qui consolait ses chagrins. Je lui souris, déposai un baiser sur le front, et il s'en alla, apaisé. Aussi étrange que cela puisse paraître, une drôle de fierté m'envahit. J'avais façonné cet être et le voilà qui se construisait seul. Peu importe combien de larmes il versait, il était l'homme le plus fort de la planète. Je l'aimais.

GrandiosesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant