30 - Juste une mise au point... (ou poing ?)

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Le Professeur, deux jours plus tôt, dans son bureau...

Je m'appuyai davantage contre le dossier de la chaise en expirant. La première phase du plan Londres venait d'être complètement scellée. Dans deux jours, Martin serait parmi nous et j'espérais de tout cœur que sa présence redonne à Andrés le goût de vivre. Il sombrait à vue d'œil et je me trouvais impuissant. J'avais fait l'erreur de tuer la mère de la femme que j'aimais, je ne pouvais pas faire l'erreur de laisser mon frère s'éteindre ainsi, sans se battre. Sans attendre. Sans y croire. L'espoir faisait vivre mais l'inverse était justement vrai malheureusement. Chaque jour, je me renseignais sur les avancées des recherches contre la maladie et chaque jour, les scientifiques m'envoyaient balader en m'affirmant qu'ils faisaient de leur mieux mais que les contacter ainsi ne ferait rien de plus. Je le savais mais chaque jour j'espérais. Je voulais tellement l'aider, le secourir, le soulager de ses maux, l'accompagner, lui montrer tous les bons côtés et le pousser dans les vertiges de la vie. Mais il ne bougeait pas, ne répondait à peine. Excepté quand il se décrétait le chevalier servant de la morale pour m'obliger à profiter de chaque moment de la vie aux côtés de Raquel. Ce qu'il ne comprenait pas ou qu'il ne voulait pas comprendre, c'était que non, je ne pouvais pas. Non, je ne souhaitais pas passer les meilleurs moments de ma vie avec une femme alors qu'il mourrait. Non, je n'arriverais même pas à essayer. Oui, Raquel m'avait redonné l'envie de me battre. Mais toute la souffrance que je lui avais infligée me revenait à la figure tel un boomerang. Je ne pensais qu'à mon frère. Mes cauchemars s'accentuaient et devenaient plus que réalistes. Depuis deux nuits, ils mélangeaient l'assassinat de Marivi et Andrés dans la forêt. Cela faisait tellement mal que je voulais me réveiller. Quand je l'étais, c'était pire. De plus, Andrés ne faisait que de me rejeter. Oui, il ne voulait pas que je le voie ainsi mais pensait-il à ce que je voulais, moi ? Non. Il m'ignorait, pensant me préserver de ses démons mais cela ne faisait qu'enraciner les miens. Les planter si profondément qu'ils seraient impossibles à arracher. Les ancrer à en percer le centre de la terre et à envenimer toutes les autres plantes. Il croyait me protéger, il faisait que m'enfoncer la tête sous l'eau. Il m'abandonnait. Il partait. Je ne pouvais pas le rattraper. Et j'en étais furieux.

Mes jambes tremblèrent, mon cœur battait fort, trop fort. Je me levai de ma chaise d'un bond en essayant de ne pas flancher. Mes bras se contractèrent et je devinai ce que mon corps devait faire pour évacuer cette douleur accumulée, emmagasinée depuis trop longtemps. Alors j'ouvris brusquement un tiroir et saisis une clé. Je me dirigeai d'un pas décidé en direction de la porte fenêtre donnant sur l'arrière de la maison. J'entendis vaguement mon prénom durant le trajet mais n'y prêtai pas attention. Rapidement j'atteignis le garage. Je déverrouillai les portes coulissantes puis les refermai derrière moi pour ne pas être dérangé. Alors, je fis face à mon vieil ami. Celui qui avait encaissé tant de coups de ma part mais qui ne semblait pas m'en vouloir. Celui qui était toujours là quand j'en avais besoin. Il arborait bien quelques égratignures mais fidèle, il m'aidait dans les moments difficiles, les impasses, les doutes, les horreurs. Tant de fois je l'avais meurtri par ma rage. Tant de fois, il m'avait compris et soulagé.

Alors espérant qu'aujourd'hui ne fut pas une exception à la règle, je me jetai sur lui. Je commençai à donner quelques coups plutôt mous mais quand les images déferlèrent, mes poings augmentaient l'allure et la cadence. Les ombres s'emparèrent de mon être elles aussi. Pour chaque erreur, un coup. Pour chaque mort, un coup. Pour chaque peur, un coup. Pour chaque bouleversement, un coup. Puis deux, puis trois, puis quatre et je perdis le compte. Je ne faisais que cogner désespérément. Je regrettais juste que personne ne me tape en retour, pour me faire expier mes fautes, mes oublis, mes problèmes. Mais non, personne me redonnait la pareille. J'étais juste seul à défigurer ce sac. Alors je tapais, encore et encore, à m'en faire mal, à m'en broyer les phalanges. Mes mains pissaient le sang mais je ne sentais pas la douleur. Après quelques minutes, hors d'haleine, je donnai le coup de grâce en hurlant. Toutes les émotions refoulées sortirent dans un tourbillon infernal.

La casa de papel // Et si... (Serquel)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant