10.

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Lawrence n'avait pas passé une seule journée à l'appartement depuis plusieurs semaines, et Héla, de son côté, bien que plus seule que jamais, s'était efforcée d'aller mieux, se plongeant corps et âme dans son travail. Finalement, les seuls moments qu'elle ne passait pas à réviser étaient ceux qu'elle passait sur le banc du parc, à l'ombre de son saule. Tantôt somnolant au soleil, tantôt observant les passants, son petit carnet de plantes sur les genoux. 

"-Je peux m'assoir ? Demanda une femme au dessus de sa tête. 

Héla reconnût la voix de Miranbeau, et frissonna, pourtant, elle n'avait plus aussi peur qu'avant. Miranbeau avait sans doute fini par devenir l'un de ses vieux fantômes du passé, un monstre dont l'accoutumance fait qu'il devînt moins effrayant. Mais Héla ne leva pas les yeux, elle ne regardait pas la femme d'affaire. Jamais.

-Vous ne prenez pas la peine demander d'habitude, répliqua Héla d'une voix fatiguée. Aussitôt, elle sentît la silhouette de la femme s'assoir à l'autre bout du banc. 

-Tu penses encore à moi alors ? Demanda Miranbeau.

-Moins qu'avant, répondit simplement Héla alors que les nuages venaient recouvrir les rayons réconfortants du soleil. Miranbeau attendit que le soleil réapparaisse derrière le voile avant de continuer de parler.

-Et ta sauveteuse ? Qu'est ce qu'elle devînt ? Elle t'a abandonné elle aussi ?

-Lawrence n'abandonne jamais personne.

Héla sentît le sourire qui se dessinait sur les lèvres de la femme d'affaire.

-Mis à part toi j'imagine.

Cette fois, Héla ne répondit pas. Il n'y avait rien à dire, elle le savait, elle, que Lawrence ne l'abandonnerait jamais.

-L'agneau est donc une nouvelle fois perdu au milieu de la forêt, reprît Miranbeau d'un ton mauvais.

-D'habitude... Ironisa Héla, vous préférez me parler de fleurs.

-Qu'importe, siffla Miranbeau, agneau ou fleur, comme tu préfères, l'important c'est que tu sois sans défense lorsque je viens pour toi.

-Je préfère les fleurs dans ce cas. Les fleurs se défendent, elles piquent, elles empoisonnent, elles tuent.

-Oh, j'espère que ce n'était pas une menace chérie, lança Miranbeau un amusement certain dans la voix.

-J'aurais aimé que ça le soit véritablement, souffla Héla, puis, là-dessus, elle ouvrît son carnet et commença à regarder ses fleurs séchées en ignorant Miranbeau.

-Je t'ai rendu si forte... Souffla la femme d'affaire en s'approchant d'Héla sur le banc, la jeune femme frissonna, mais ne se laissa pas déstabiliser.

-Certainement pas, répondit-elle, je suis forte. Vous, vous n'y êtes pour rien du tout.

-Ne me vexe pas, gronda la femme d'affaire d'une voix un tantinet plus sèche. Ne me fais pas croire que tu en serais là  si je n'avais pas été là.

-Si vous n'aviez pas été là, j'aurais pu continuer à vivre sans avoir l'impression que l'on m'ait arraché le coeur hors de la poitrine à mains nues. 

-Décidément... Articula Miranbeau avec une certaine fascination dans la voix, la plus belle fleur de ma collection.

-Sauf que vous n'avez plus de collection, rétorqua Héla, en fait vous n'avez plus rien.

Puis, avant que Miranbeau n'ait le temps de répondre, Héla la fît disparaître. Tout du moins, elle essaya.

Lorsqu'Héla sentît que la silhouette de Miranbeau ne s'effaçait pas, son souffle se coupa. Une brise légère fît virevolter ses cheveux, cacha le soleil derrière un nouveau voile de brume et porta à son nez le parfum ambré de Miranbeau. Elle n'est pas là, pensa Héla de toutes ses forces. D'un geste vif, elle referma son carnet et regarda ses mains.

Madame MiranbeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant