Le message

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Au début, ce n'était qu'une ombre. Longiligne, discrète, rasant les murs, suivant les passantes, approchant au plus près celle qu'elle aurait désigné comme sa prochaine victime. Parfois, elle demandait à ce qu'on lui apporte des filles, une dizaine le plus souvent, enfin de quoi choisir. Ses employés connaissaient ses goûts, et généralement ils ne se méprenaient pas. Elle pouvait avoir confiance en eux. Pourtant, elle n'avait pas perdu le sens de la chasse, et laissait volontiers ses yeux glisser sur des jambes découvertes ou des chemisiers entrouverts. Une prédatrice. Violente, aggressive, déterminée, et surtout, sans aucune pitié. Bien sûr, il arrivait que des hommes la regardent, elle aussi, comme elle regardait ses proies, mais la flamme qui brûlait dans son regard sévère décourageait les plus audacieux. C'était une louve, une tigresse qui ne se contentait pas de dévorer sa proie, ce qu'elle voulait, elle, s'était s'en emparer, et au-delà de la contrôler, elle voulait s'immiscer en elle, la posséder.

Son regard croisa celui de la caissière qui lui sourit poliment, elle répondit par un hochement de tête et sortit son téléphone. Elle se mît à pianoter, trouve-moi du beau monde pour ce soir, rude journée... Et à peine une seconde plus tard, son portable vibra. Aucun soucis, vingt heures c'est bon ? Parfait, répondit-elle. Elle sortit sa carte bancaire, paya et quitta le magasin en détaillant une dernière fois la vendeuse.

À quelques kilomètres de là, l'écran d'un iPhone cassé venait de s'allumer, un message était apparu : Dix filles pour chez Miranbeau, à vingt heures, c'est bon pour vous ? Des gros doigts boudinés s'emparèrent du téléphone, Marc !? Cria aussitôt une voix stridente, Marc ?! La musique était forte, et la une fumée parfumée qui flottait dans la pièce étouffait les cris de la gérante.

Un homme portant un costume noir mal taillé ouvrit la porte des vestiaires et approcha son oreille de la bouche de la patronne.

-Combien il nous reste de filles libres ce soir ? Lança la patronne.

-Pour qui ? Demanda l'homme.

-Miranbeau...

-Six, mais je peux en rappeler deux de plus qui sont avec des clients de faible intérêt.

-Il m'en faut dix, pour dans une heure.

-Dans une heure...

-Oui, affirma la femme rondouillette, et pas question d'en emmener une de moins, Miranbeau nous paye triple pour la discrétion, on ne peut pas se permettre de perdre une cliente comme elle.

-Très bien, je trouverai ce qu'il faut sur la route.

-Discrétion...

-Et prudence, compléta l'homme au costume mal ajusté, oui je sais. Comptez sur moi.

Moins d'une demie heure plus tard, un fourgon aux vitres teintées s'était mît en route, suivit de deux mercedes. L'homme au costume mal ajusté, en tête du convoi, roulait doucement, épiant les passantes à la recherche de celle qui pourrait convenir. Il avait neuf filles, deux avaient du abandonner leur clients, richement dédommagées, et il avait débauché une prostituée qui travaillait dans un club proche de chez Miranbeau. À présent, il n'en manquait plus qu'une. Marc avait déjà eu à se salir les mains, même plus que la plupart des gens ordinaires, le milieu du crime lui était familier, vol à main armé, trafic de stupéfiants, violences... Il avait déjà été en prison pour ça, et avait toujours été reconnaissant à sa patronne pour l'avoir fait sortir du trou. À présent, il avait un travail, une famille, et gagnait sa vie dignement, le plus souvent sans même avoir besoin d'enfreindre la loi. Mais il arrivait que la bonne volonté ne suffise pas, et de temps en temps, il devait faire certaines choses qu'il ne souhaitait pas faire, mais il les faisait, avec force et contenance, sans se laisser distraire par toute préoccupation morale.

Madame MiranbeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant