Sous toutes ses faces

Chapitre 3 : Entre deux cafés

Emma ouvrit brutalement ses paupières et s'assit fiévreusement sur le matelas. Sa respiration était lourde, haletante. De la sueur perla sur son front ainsi que ses tempes, complètement paniquée par son cauchemar. Elle avait l'impression qu'elle revivait son passé qui ne cessait de la hanter depuis ses quatorze ans. Elle avait l'impression de revoir ces aides-soignants s'agiter autour d'elle. Elle avait l'impression d'entendre ce fichu gardien taper avec sa matraque. Elle avait l'impression d'étouffer ; seize longues années que tout ceci durait et cela commençait à terriblement lui peser.

D'une main elle prit un oreiller, y enfonça son visage et cria aussi fort qu'elle le put. Ses ongles s'enfoncèrent de plus en plus dans le tissu, commençant à lentement déchirer le textile. Elle continua de hurler jusqu'à en perdre la voix et que la porte s'ouvre. Elle s'effondra sur le lit, regardant d'un air abattu le plafond pendant que Ruby venait se mettre près d'elle. La brune s'allongea avec prudence à côté de la jeune femme, appréhendant sa réaction. En sentant le corps de son amie s'affaisser sur la couverture, la blonde se tourna et la prit vivement dans ses bras. Elles restèrent ainsi, entrelacées pendant de longues minutes, plongées dans le silence.

– Il s'est passé quoi ? demanda doucement la serveuse.

– Je veux pas y retourner, souffla-t-elle d'un ton monotone.

– Où ça ?

– Centre. Prison, expira de manière saccadée la blonde.

– Tu n'y retourneras pas, je te le prom—

– Ne me promets rien, la coupa Emma en levant la tête. Je me connais, je vais encore tout foirer, comme toujours.

– Alors, fais-moi confiance, ça n'arrivera pas Blondie, rassura la brune en remontant le menton de son amie à l'aide de son doigt.

La jeune femme aux cheveux dorés soupira doucement, se remettant petit à petit de ses émotions. Elle papillonna des yeux un instant avant de reprendre d'une voix plus sûre :

– Quelle heure est-il ?

– Midi, répondit la brune en se levant. J'allais justement ouvrir pour le deuxième service du diner avant de t'entendre crier.

– Oh d'accord, elle prit une longue respiration. Dorothy viendra, d'ailleurs ?

La veille en sortant du cabinet, les deux amies avaient pu discuter de cette mystérieuse personne —aux yeux d'Emma— qu'était Dorothy. La serveuse avait expliqué à cette dernière qu'il s'agissait en quelque sorte de sa petite-amie, avec qui elle sortait depuis un peu plus de trois mois. La jeune femme lui avait dit à sa manière, c'est-à-dire en lui lançant une pique remplie de malice, qu'elle était très heureuse pour la brune et qu'elle avait envie de la rencontrer.

– Je pense oui, Ruby ouvra la porte et s'arrêta pour se retourner. Je t'attends en bas.

Emma acquiesça rapidement avant que la serveuse ne descende pour pouvoir ouvrir le restaurant. Elle souffla silencieusement, sortit ses pieds de la couverture et les posa par terre. La blonde avait de la chance de pouvoir dormir ici, dans la chambre d'amis des Lucas, qui l'accueillait les bras grands ouverts. Ce n'était pas grand-chose, mais cela lui suffisait : un lit double prenait la grande majorité de l'espace, une armoire était installée en dessous de la fenêtre qui donnait sur la route, et un miroir mural était accroché à côté de la porte. Elle se leva lentement et enfila ses vêtements qui reposaient sur le meuble, avant de rejoindre son amie au rez-de-chaussée.

La salle était encore calme, seuls certains habitués étaient déjà en train de déguster leur déjeuner. Comme midi dernier, Emma s'installa au comptoir où son amie lui déposa une tasse de chocolat chaud, saupoudrée d'une fine couche de cannelle. Un rictus naquit sur son visage à cette attention.