II - Nicolás

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Madrid, Hospital Universitario

21 heures

Le noir, le noir complet m'entoure, depuis des heures, des jours, ou des siècles durant, je ne sais plus. J'ai l'impression de nager dans un univers infiniment vide, firmament sans étoiles, vide de toutes émotions, de toutes sensations, sans perceptions et sans lumières à bien des lieues à la ronde. Seules les pensées de mon esprit libéré, flottant très loin, bien au-delà de mon corps, cohabitent avec un bip électronique régulier, semblable à un battement de cœur, constituant mon seul lien avec la réalité que je devine radicalement différente de celle-ci ; car, après des heures d'errance dans ce vide intense, mes souvenirs de la réalité tardent à affluer, mais affluent tout de même, implacablement.

Cependant, depuis quelque temps, une troisième variable perturbe mon environnement clos et mielleux, s'insinuant dans mon esprit de plus en plus violemment, comme s'il dépendait encore de mon corps. La souffrance, pure, indicible, qui déferle sans prévenir, s'intensifiant toujours plus, intensifiant mes sens, intensifiant mes nerfs, intensifiant même jusqu'à ce battement électronique de moins en moins lointain, de plus en plus rapide.

La douleur se décuple soudainement, brisant brusquement mon univers en milliers d'éclats, envolés pour toujours, pour précipiter mon esprit dans un corps le limitant, qui se redresse soudainement. J'ouvre les yeux, fébrile, en grognant de douleur, me retrouvant devant un infirmier tout sourire, de jolies petites taches floues dansant autour de lui.

– Bon retour parmi nous, Professeur Velázquez !

Tandis que je reprends progressivement contact avec la dure réalité, recouvrant petit à petit ma mémoire, je réponds, grommelant presque :

– La morphine, vous connaissez pas, ici ?

L'infirmier riposte, dubitatif :

– Oui, oui, mais vous faire souffrir en supprimant la dose vous a paradoxalement sorti de la très longue sieste, presque comateuse, dans laquelle vous vous trouviez, monsieur. Mais ne vous en faites pas, je vais y remédier rapidement. Moins puissant, mais cela devrait faire l'affaire.

L'homme s'approche de la perfusion de mon bras pour la régler en souriant.

– Attendez, expliquez-moi ce qui m'arrive, je...

– Économisez vos forces, le réveil était un choc. Faites de beaux rêves, professeur.

Je plonge tant bien que mal dans un sommeil agité, tentant vainement de me rattacher au visage bienveillant de l'infirmier, luttant inutilement contre l'action-éclair du fameux sédatif dans mes veines.

*

Je relève ma tête de l'oreiller, dans les vapes, en meilleure forme qu'à mon réveil magistral une ou deux heures auparavant. N'ayant pas retrouvé entièrement la notion du temps, je reprends néanmoins pleinement conscience du monde qui m'entoure. Je me frotte les yeux en bâillant et retiens un hoquet de surprise en les rouvrant. Une femme, à mon chevet, est en train de discuter avec deux hommes, qui se trouvent être l'infirmier et un homme au visage sérieux qui, au vu de sa carrure impressionnante, doit être soit de la police, soit de l'armée. L'hypothèse policière ne tarde à se confirmer par le brassard qu'il arbore. Malgré le regard un tant soit peu énervé de l'infirmier, le duo aux allures martiales n'hésite pas à me scruter, à fouiner mon dossier, à farfouiller mes rares affaires.

– Je peux savoir ce que vous faites ?

La femme sursaute d'un coup, n'ayant pas fait attention à mon réveil, et jure dans ce qui me semble être du français. Le gaillard me montre sa carte de police et se lance dans une explication en espagnol :

L'Énigme Millénaire - Roman (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant