III - Camille

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Madrid, Hospital Universitario

Aux alentours de 23 heures

L'Espagnol me fixe en silence, l'air perplexe, se relevant pour se mettre en position assise sur le lit, le torse découvert, les yeux perdus dans des réflexions lointaines. Étonnamment, il ne paraît pas tant surpris que cela par la situation, comme s'il en avait déjà vécu une similaire ; ou du moins il ne le laisse pas transparaître. Je détaille la silhouette de l'homme d'un regard. Je dois admettre qu'en atterrissant à Madrid tout à l'heure, et même depuis le coup de fil à Paris, j'avais imaginé trouver un vieux professeur d'université croulant à la soixantaine depuis longtemps dépassée, et aux manières d'un autre temps ; et pourtant, le professeur se tenant devant moi incarne le parfait opposé de ma pensée. L'homme est séduisant, de grande taille et musclé, plutôt jeune, ayant certainement la trentaine, comme moi. Ses yeux d'un bleu électrique contrastent avec ses cheveux châtains ondulés, presque bouclés ; il porte de fines lunettes qui soulignent son regard assuré. Mon regard se pose un instant sur une étrange mais discrète cicatrice qu'il a sous sa tempe gauche, juste au-dessus de sa barbe de trois jours, qu'il porte aisément.

Je constate en regardant vers la chaise d'à côté, intriguée, que le policier espagnol s'en est allé, certainement pour tenter d'acheter une maigre tasse de café dans un distributeur de l'hôpital. J'échange un long regard avec Velázquez, extirpé du fil de ses pensées, quelque peu troublée par le silence qui pèse depuis d'interminables minutes, jusqu'à qu'il se reprenne et arrache d'un coup sec sa perfusion, réprimant un cri de douleur, les traits crispés. Je proteste, sans trop de véhémence :

– Professeur, pas deux fois. Vous ne devriez pas...

Amusé, l'homme riposte :

– Allons, en bonne policière, vous n'allez pas me dire que vous n'avez jamais fait ça.

– Les films ne correspondent pas forcément à la réalité. Pitié, ne me servez pas les clichés habituels.

L'Espagnol me regarde d'un air plaisantin tandis que je poursuis.

– ... mais je dois avouer qu'à votre place, j'aurais fait pareil. Une ampoule a fait tilt dans votre tête malmenée, monsieur Velázquez ? Vous avez une idée revenue d'entre vos pensées lointaines pour faire avancer considérablement l'enquête... ? Nous n'allons pas rester ici pour l'éternité.

Mon interlocuteur se change en vitesse non-loin de là, non sans difficulté, me répondant, alors que je détourne le regard :

– Je n'irais pas jusque-là, inspectrice, mais ce qu'a volé notre cher inconnu est assez révélateur sur le pourquoi et le comment de ses motivations.

J'en profite pour riposter :

– Et vous, en bon professeur, vous avez mémorisé les manuscrits ? Vous les avez réécrits à la plume, à la douce flamme d'un chandelier ancestral ?

– Étant donné que je ne parle pas couramment le mycénien, non. Mais bienheureusement, j'ai des numérisations sur mon ordinateur personnel...

– ... qui pourrait très bien avoir été volé.

– Peu importe. Sur le cloud, alors. Vous savez, les académiciens connaissent les nouvelles technologies, mademoiselle Rossignol.

– Encore heureux ! Vous avez parlé de mycénien ? Désolée, je ne connais pas cette langue...

– Dans les études les plus récentes, ce serait une langue antérieure au grec ancien, assez archaïque, datant de plus de douze siècles avant l'ère commune. Ou avant Jésus-Christ, si vous préférez. Mais les manuscrits présentent une particularité très troublante.

L'Énigme Millénaire - Roman (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant