XI - Camille

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Moscou, place Rouge
Mardi, aux alentours de midi

Au-delà même du charme ancien des lieux, c'est avant tout la douce chaleur de l'été moscovite qui me surprend. Loin de la vieille ville soviétique, grise et froide que je m'étais représentée, le centre-ville résulte d'un savant mélange entre monuments historiques colorés et bâtiments inchangés des époques impériales me faisant presque penser aux bâtisses haussmanniennes parisiennes, troquant le blanc pour la brique. Si ce n'est la banlieue délabrée qui entoure la ville, ou le tombeau du corps embaumé de Lénine exposé publiquement, ce qui, je dois l'avouer, me glace le sang, la foule est tout autant effervescente qu'ailleurs, allant et venant sans retenue, mêlant touristes ébahis et travailleurs pressés. Une métropole occidentale comme une autre.

Je m'arrête quelques instants à côté de la foule, prenant le temps de contempler les monuments de la célébrissime place. Il va sans dire que le Kremlin est immédiatement remarquable, tant par ses fortifications imposantes que par ses locataires historiques, des nobles Romanov au rusé Vladimir Poutine, sans oublier le sombre Petit Père des Peuples. Sa blanche bâtisse principale, percée de mille fenêtres, se dresse fièrement entre les tours aux coupoles dorées par-delà les murs ; non loin de là, la cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux, ainsi dénommée par mon miraculeux plan touristique en français, détonne dans le paysage : semblable à un songe d'enfant, elle domine la Place Rouge par ses neuf coupoles aux motifs colorés et chatoyants. Je m'amuse de l'anecdote notée sur le guide, indiquant que Staline, voulant assurer le passage des chars, aurait finalement écouté un architecte avisé qui lui suppliait de ne pas détruire cette petite merveille vieille de plusieurs siècles...

Le soleil culmine déjà au zénith. Velázquez, resté se reposer à l'hôtel, m'a assuré me rejoindre dès midi devant la cathédrale pour partir en quête d'un restaurant... Autrement dit, ce n'est plus le temps de poursuivre la visite touristique de la capitale russe. Je m'assieds sur un banc, les yeux dans les nuages, l'esprit vagabond, et je me mets à rire, seule, m'attirant le regard intrigué d'un passant. Quel foutage de gueule. Moi, inspectrice de police, en être réduite à faire du tourisme contemplatif pour faire passer le temps de l'enquête, attendant que quelque indice tombe du ciel. Sage conseil du professeur espagnol que de venir à Moscou. On est à Moscou. Et ? Que faire ? Pourquoi pas aller voir un ballet de Tchaïkovski au théâtre Bolchoï, tant qu'on y est ? J'enverrais un selfie avec l'Espagnol, tout sérieux, élégamment habillé, coupe de champagne à la main. Coucou madame la ministre ! Votre enquête est un tel merdier qu'on prend du bon temps à Moscou. Vous compterez le billet d'avion sur la note du contribuable, vous devez en avoir l'habitude, vous !

Je me lève brusquement, déterminée. Quelques mètres plus loin, je distingue une main secouée fébrilement dans le ramassis de piétons ; puis je discerne la tête de l'hispanique, décontracté dans sa chemise de lin, les yeux bleus pétillant... De joie ? Il finit par venir à mon encontre, tout sourire.

– Allons, inspectrice, qu'avez-vous à vous lever ainsi, sur le qui-vive ? Vous avez trouvé les mafieux dans la foule ? Le spectre de Trotski vous est apparu ?

Mes yeux se figent sur le spectre d'un policier en uniforme de service, croisant mon regard.

– Euh, non. Si seulement... Non, je suis simplement épuisée de rester là les bras croisés.

– Au moins, vous aurez visité un peu la ville.

Je hausse les épaules, désabusée.

– Et vous, professeur, vous avez fait une bonne sieste ? Le vol de bonne heure vous a épuisé ?

Il sourit face à ma remarque.

– Je suis déjà venu plusieurs fois à Moscou, je vous laissais découvrir la ville. Impossible de trouver le sommeil, je réfléchissais trop.

L'Énigme Millénaire - Roman (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant