XIV - Nicolás

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Ambassade française, Stockholm
Mardi, 20 heures


Un écrin d'étoiles enveloppe les rues huppées et paisibles du district d'Östermalm, dont les immeubles fiers bordent les rues où les Stockholmois se font plutôt rares. L'inspectrice tente de déchiffrer un plan déniché à la gare centrale, se tenant au maigre espoir d'un petit drapeau français perdu dans une nuée d'autres de ses semblables, s'apparentant à des localisations d'ambassades. L'effervescence du centre-ville que nous quittons à peine, Södermalm, est bien plus humaine et restreinte que l'afflux faramineux de piétons des métropoles russes. La Française ne se laisse pourtant pas gagner par la quiétude scandinave. De temps à autre, elle jette des coups d'œil derrière nous, suspectant de possibles agents à chaque coin de rue. Il faut dire que, bien que cela me fasse rire, je n'en mène pas large non plus... Instinctivement, presque inintentionnellement, je scrute les alentours, toujours remué par la filature russe.

Elle finit par pousser un cri de victoire, s'arrêtant net devant un drapeau français flottant sur une façade commune à ce quartier. L'un des deux gardes affectés au guet l'interpelle en suédois. L'inspectrice rétorque immédiatement, fidèle à elle-même :

– J'y comprends rien à votre charabia nordique. Vous ne parlez pas français ?

Il hausse un sourcil offusqué.

– Si, bien sûr. Que voulez-vous ? L'ambassade est fermée au public, à cette heure-ci.

– Urgence diplomatique.

Le garde arbore une mine peu convaincue. Elle dresse nos deux passeports bien en évidence sous son nez.

– Vous ne lisez pas français ? Vos supérieurs ne nous attendent pas ?

– Ah ! Euh, effectivement, oui. Je ne vous avais pas reconnu sur le mom...

– On peut entrer ? Si des Russes étaient derrière nous, il y aurait bien longtemps qu'on se serait fait fusiller sans pouvoir entrer dans la sainte immunité de votre ambassade.

Le garde bredouille, s'écartant pour laisser passer la fougueuse policière. Je lance un regard de compassion au pauvre garde, énième victime du tact légendaire de l'inspectrice. A ma grande surprise, nous découvrons des salles d'une autre époque, figées dans un style purement XIXe, aux rideaux et meubles distingués.

Tandis que je m'émerveille sur la belle facture des pièces, une femme au port altier, le visage parsemé de quelques rides portées avec fierté, nous aborde.

– Vous êtes dans l'un des quatre derniers hôtels particuliers de Stockholm, c'est pour cela que cet endroit jouit d'un intérêt patrimonial si particulier. C'est cela qui vous fascine, professeur ?

– En effet.

Elle esquisse un sourire à notre encontre. La première chose qui me marque chez cette inconnue, c'est sa bienveillance ; et son aisance, aussi, comme si elle était la maîtresse plénière et incontestée, mais infiniment bonne et clémente des lieux. L'inspectrice lui sourit en retour, gagnée elle aussi, malgré sa méfiance naturelle, par les manières avenantes de la diplomate.

– Florence Schneider. Enchantée. Je vous sens fatigués... Passons dans mon bureau, ne perdons pas de temps en formalités. Et par pitié, ne me donnez pas du Votre Excellence ou du Madame l'Ambassadrice. J'en ai mon compte dans les sorties officielles ! ...

Nous la suivons volontiers jusqu'à une vaste et lumineuse pièce. Elle nous invite à prendre place face à elle d'un geste de la main, dans de douillets fauteuils. Assurément, la diplomatie française ne manque pas de goût...

L'Énigme Millénaire - Roman (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant