XXII - Nicolás

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Dans les cieux de l'océan Arctique
Mercredi, à une heure indénombrable


Les mers nordiques, déchaînées, charrient des monceaux de banquises. L'Airbus A320, de son fier fuselage, défie Chronos et remonte le temps, croisant les fuseaux horaires là où les latitudes se rejoignent en un seul point, le pôle Nord, où toute vie humaine est balayée par les vents givrés. J'en frissonne. Heureusement que la technologie moderne permet de garder une pression et une température normales dans ce vol.

Le ronflement intempestif de l'agent français me tire de ma rêverie. Sur mon côté gauche, l'inspectrice n'en paraît pas dérangée outre mesure, plongée dans la passionnante lecture de la carte des boissons dans différentes langues pour la vingt-cinquième fois d'affilée. Je m'étire et lis machinalement l'heure sur ma montre. Inutile. La seule donnée temporelle disponible est le temps de vol restant. Cinq heures et quatorze minutes... Une éternité.

J'essaie de faire abstraction des chatoyantes musicalités nasales de notre compagnon de route. Nous lui devons bien ça, à François Levallier, ou Maxime Charentay, ou Thésée. Je suis certain que son vrai prénom est inavouable... Un vieux prénom, bien démodé à coup sûr... Officiellement chargé de mission diplomatique de l'État français, il nous fait profiter de son merveilleux passeport diplomatique, nous dispensant de toute demande de visa auprès des Américains qui retarderait fatalement notre enquête. Cependant, je doute qu'à l'arrivée, ces mêmes Américains ne louchent pas sur mon passeport espagnol et ne remettent en question mon rôle d'attaché aux relations commerciales françaises.

Je me reconcentre sur mon travail de traduction. Je suis certain d'avoir raté un sens caché véritable parmi tous les sens principaux et secondaires possibles pour ce manuscrit. Le temps presse ; j'espère avancer la traduction jusqu'à un point d'inflexion, qui nous donnerait enfin l'explication de ce que cherche le mercenaire, et qui pourrait peut-être même enfin nous donner une longueur d'avance sur lui pour sauver les cibles suivantes. Je fais le tri dans les différentes propositions esquissées à Stockholm avec l'aide de Florence Schneider. Mes pensées s'assombrissent. Serait-ce elle la vendue, la traître de mèche avec notre tortionnaire ? Je me relis.

« Sous les sabots des taureaux, le trésor somnole depuis les temps ancestraux. Malheureux soient les hommes qui tenteraient de s'en approcher, maudits soient les ingénus qui tenteraient de le comprendre. Sur l'île aux coteaux balayés par les vents arides, explorateurs et habitants, des générations durant, n'ont su déchiffrer le mystère qui lui rongeait les entrailles, dont le poison sournois attaqua les rares téméraires. Les sages eux-mêmes ne pouvaient l'expliquer ; les conseillers du souverain n'avaient de réponse à apporter au gouffre fatal de questions que suscitait l'artifice/l'artefact. »

Je sors la table de traduction de mon sac de voyage et la pose sur la tablette du siège devant moi, manquant de la faire ployer sous le poids de l'ouvrage. L'occupant du siège, plongé dans un profond sommeil, n'en ressent heureusement pas la secousse. Lentement, caractère après caractère, j'exploite la phrase suivante.

« Dans les profondeurs les plus lointaines des terres royales, les murs/briques/parpaings/clôtures premières interpellent le héros... »

Les murs premiers, dans une grotte millénaire ? J'opte pour le mot brique, qui me semble le plus logique dans un gouffre obscur où se trouverait un artefact. Pareille légende suppose que l'artefact n'est pas nécessairement contemporain au manuscrit, mais plutôt bien plus ancien, si tant est qu'il existe réellement. Du moins, cette phrase ne laisse plus planer aucun doute quant à la localisation du manuscrit : c'est bien la Crète du roi Minos, terre du légendaire Minotaure, qui a inspiré cet écrit.

L'Énigme Millénaire - Roman (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant