XX - Camille

5 1 0
                                    

Académie des sciences, Stockholm

Mercredi, 13 heures

Les prunelles sombres de mon compatriote sont profondément dubitatives. Tandis que nous tentons de récupérer quelques années de vie respiratoires après avoir toussé comme des pestiférés, le professeur et moi écoutons attentivement le savon de l'agent français.

– Faites un peu plus attention, à la fin ! Vous fuyez les Russes, vous savez que des mercenaires vous en veulent, que les tout-puissants me détachent pour vous protéger, et vous vous baladez comme des touristes !

Je persifle.

– Justement, à propos du tourisme. Vous étiez où, vous ? Vous n'étiez pas censé assurer nos arrières discrètement ?

Il rétorque avec véhémence :

– Je pensais que pour une simple visite de laboratoire, la policière que vous êtes se serait débrouillée seule.

Piquée au vif, je m'apprête à répondre, mais le professeur Velázquez nous tempère de ses mains. Au-devant de la porte déverrouillée, le vigile qui était venu à notre secours pour couper nos liens monte la garde sans un mot en attendant l'arrivée de la Police stockholmoise.

– On est partis pour un joyeux bordel. Dès que les policiers locaux vont débarquer, contrôle d'identité, interrogatoire, et j'en passe. L'ambassade va devoir jouer de tous ses talents pour qu'on nous cherche pas des noises. Ne tardons pas.

Mon énervement faiblit, j'inspire un bon coup. L'agent Thésée a accouru dès que j'ai appelé l'ambassade, il a fait son job. Je ne peux m'empêcher de fixer le corps avachi sur sa chaise du pauvre Gustavsson. Quel gâchis, un si bel homme fini par un trou béant au beau milieu du front. J'en reviens à l'officier traitant qui, toujours debout, arbore son faux badge de chercheur en biologie, une mallette à la main.

– Bon, messieurs. Récapitulons la scène de crime. Gustavsson était un indice de trop, et il a été tué. Nous devrions nous pencher sur ses derniers travaux. Mobile et arme du crime, on passe.

Thésée poursuit mon idée.

– Peut-être pourrions-nous subtiliser les images de vidéosurveillance. L'individu que vous me décrivez n'a pas pu passer inaperçu en combinaison de mercenaire noire, et surtout masqué. Il a dû se changer en chemin. Ça peut être n'importe qui.

Le professeur, silencieux jusqu'alors, soulève un point crucial.

– N'importe qui, certes, mais d'assez bien informé pour connaître nos couvertures et nos motivations, et qui nous aurait pisté jusqu'ici.

Son injonction, lourde de conséquences, laisse place à un lourd mutisme. L'agent de la DGSE quitte la salle et entre en grande discussion avec le vigile, qui l'emmène dans les couloirs. L'Espagnol me fixe avec insistance.

– Tirons-nous d'ici.

– Qu'est-ce qui vous prend ? On ne va pas laisser filer des indices potentiels. Il nous manque encore l'analyse du sang, je vous rappelle.

– Vous ne comprenez pas, Inspectrice ? Nous ne pouvons guère plus faire confiance à personne. Tirons-nous.

Mon regard s'aventure sur les couloirs, desquels les deux hommes ne sont toujours pas revenus.

– Je pense que nous pouvons faire confiance à Thésée.

– Sur quel fondement ? Il peut très bien nous la faire à l'envers. C'est un agent secret, il travaille sur des choses qui nous dépassent.

– L'instinct.

– Le charme plutôt, non ?

Je m'arrête sur la phrase de l'Espagnol. On croirait rêver.

L'Énigme Millénaire - Roman (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant