Quelque part en Russie
De nuit
Un bruit strident, continu et insupportable transperce de part en part la tête de l'homme. Contraint par de lourdes chaînes, les bras suspendus et attachés au-dessus de la tête, son corps se balance mollement. Le choc sonore de la balle tirée quelques instants auparavant semble encore se répercuter indéfiniment sur les murs de la pièce. Isolée et sombre. Une odeur d'humidité flottant dans l'air.
Le Pétersbourgeois tente d'y voir clair, la vision trouble. Au prix d'un effort considérable, il parvient à se focaliser sur l'individu et à planter ses yeux d'acier dans les siens, sournois. Un rire rauque se fait entendre, suivie d'une voix au russe légèrement patiné d'un accent difficilement identifiable.
– Vous êtes bien tenace, malgré votre âge avancé.
Il lui lance un regard noir.
– Vous ne me faites pas peur. J'ai eu affaire à d'autres malfrats que vous, et des bien plus convaincants. Et puis qui êtes-vous, d'abord ?
L'individu ne répond pas.
– La CIA ? Ça ne m'étonnerait pas, leurs recrues sont insipides. Le MI6 non, ils ont un minimum de classe... Les Chinois, peut-être, le MSE. Au point où j'en suis.
Il reste stoïque. Immobile.
– Quoi qu'il en soit, vous ne me tuerez pas. Ils ne tarderont pas à me retrouver, et il en sera fini de vous.
L'otage tente de reconnaître les lieux mentalement, sans intérêt. La pièce ne lui évoque rien ; trop commune, elle pourrait tout aussi bien se situer dans un souterrain urbain que dans un bâtiment désaffecté perdu en pleine campagne. L'absence de lumière n'arrange pas le problème. Où ont-ils bien pu l'amener ? Son regard analyse l'individu. Homme ou femme ? Lourdement armé, en tout cas. Pour l'apparat, certainement. Quoi qu'il en soit, la combinaison obscure et le visage masqué l'intriguent ; cette apparence tout bonnement inédite ne ressemble à aucune autre, des mafias aux services de renseignement.
L'individu finit par lancer son arme à terre, résigné.
– Pour la dernière fois, Monsieur Loukianov, la clé de décryptage.
– A quoi bon ! Quand bien même vous l'auriez en votre possession, vous n'arriverez à rien. Il n'y a qu'un expert au monde capable de comprendre ce programme, et c'est moi. Vous le savez très bien.
Vague soupir.
– Quelle modestie. Si nous avons réussi à en prendre connaissance malgré les moyens déployés par votre laboratoire et votre gouvernement pour le protéger, vous pensez vraiment que nous ne serions pas en capacité de le lancer ?
– Vous savez ce que je pense vraiment ? Que vous bluffez.
Le poing s'élance sans avertir et brise net l'arcade sourcilière grisonnante du vénérable chercheur, lui arrachant un cri de douleur et un florilège d'insultes russes.
– Pourquoi je blufferais ? Quel intérêt ?
Le Russe tient le choc, et reprend, implacable.
– Vous bluffez car que vous ne vous doutez même pas des intérêts qu'a l'État dans ce projet. Absolument personne n'est en mesure de les connaître. Vous n'êtes qu'un imbécile qui a dû glaner des informations à quelque vendu du ministère, croyant détenir une information confidentielle qui n'est que pure illusion. Vous ne me tuerez pas, car le seul réel connaisseur du projet, c'est moi. Même le président n'a pas voulu prendre connaissance des données. Ce serait trop risqué.
L'individu masqué lève les yeux au ciel.
– Vous tournez en boucle, mon cher monsieur. Passons, vous voulez bien ?
Le regard du détenu se durcit.
– Passons à quoi ?
L'inconnu sort une feuille dactylographiée de sa poche et la déplie consciencieusement, pour la dresser bien en face du visage de Loukianov.
– Vous reconnaissez ?
Le scientifique, ahuri, reste pantois face à la copie du cryptage si confidentiel, provoquant le rire de l'autre.
– Vous nous sous-estimiez. Vous avez besoin d'une autre preuve, peut-être ?
– Ça... ça suffira. Où avez-vous eu ce document ? C'est impossible !
– L'impossible n'est impossible que pour les esprits trop peu ambitieux. C'est ce que j'admire, chez vous. Vous avez toujours su faire s'envoler les limites de l'impossible avec vos multiples projets.
– Mais qui êtes-vous, enfin !
– Peu importe qui je suis. Cela ne vous sera d'aucune utilité. La seule chose qui compte, c'est que vous allez me donner, maintenant, la clé de décryptage.
Une lueur de défi brille dans les prunelles agitées de l'érudit.
– Sinon quoi ?
L'individu reste pensif quelque temps, avant de répondre d'une voix au calme glaçant.
– Sinon, je vais vous torturer.
– Ah ah, très drôle. Comme si c'était la première fois.
– Vous seriez étonné des nouvelles méthodes de torture moderne, Monsieur Loukianov. Les choses ont évolué, depuis les temps glorieux de votre insipide Union soviétique. Cela me surprend presque qu'un esprit aussi progressiste que le vôtre n'y croit guère.
– Je me contrefous de ce que vous pouvez dire. Torturez-moi autant que vous voulez, tuez-moi si ça vous chante, mais vous n'arriverez à rien. Vous aurez la clé de décryptage, mais vous n'aurez pas de décryptage. L'algorithme sans l'initialisation. Une putain de boîte de Pandore complètement vide.
– Encore une fois, vous nous sous-estimez.
– Rien à foutre.
Quel connard. Tous des connards. Qui a bien pu balancer l'info ? Il n'a pas vraiment l'air de bluffer.
L'individu ne semble pas se formaliser et s'affaire dans un coin de la pièce, piquant la curiosité du scientifique à l'esprit agité.
Y a aucune putain d'échappatoire... Et s'il mentait pas ? S'il a autant d'infos aussi confidentielles, s'il a le pouvoir de me kidnapper, moi, protégé du président, il doit certainement avoir le pouvoir de forcer le programme.
Un tintement cristallin se fait entendre.
Merde, merde, merde ! Le projet est mort, je suis foutu !
Les pas du bourreau masqué résonnent sur le béton.
J'espère que le programme activera le plan B, même avec la clé... Tant d'années de recherche ne peuvent pas être dévoilées, pillées sans vergogne. Pas maintenant.
L'individu se plante devant son prisonnier, visiblement satisfait, une seringue à la main.
– Bon voyage dans les ténèbres, Monsieur Loukianov. Si votre raison tient le coup, j'en serai... admiratif.
Il lui injecte le produit.
Et merde.
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L'Énigme Millénaire - Roman (en cours)
Mystery / Thriller« Lorsqu'il tend la main pour les attraper, l'ombre se rapproche brusquement, s'étalant, lugubre, sur le mur. Soudain, l'homme est saisi d'une douleur atroce au crâne. Il réalise avec effroi ce qui lui arrive lorsque le monde devient noir et qu'il c...