XXVIII - Kathryn

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Northwest Creek
Jeudi, avant l'aube


Le frein à main crisse brutalement. Stoppées net dans leur trajectoire, les deux paires de roues de la Ford, suppliciées, arrachent à l'allée bordée d'arbres sa couche de graviers. Si besoin en était, la vision du crâne troué du garde repose dans une flaque de velours sonne comme un funeste rappel à la réalité. Glacée, je m'efforce de chasser les images mortuaires qui m'entravent l'esprit ; je pose ma main sur la poignée intérieure de la portière, mais je n'ose l'actionner. Était-ce bien sensé de se jeter droit dans la gueule de l'ours ? Je me suis élancée sans réflexion aucune sur les routes de Long Island, à toute vitesse, pour venir en secours à Jonathan.

Les remords m'assaillent. Il m'avait prévenu, et je ne l'avais pas pris au sérieux... Et il se pourrait bien que notre discussion échauffée de mardi dernier soit bien le dernier souvenir que je conserve de mon frère.

On toque à la vitre. Je sursaute, et le verre saute sous l'assaut d'une balle de revolver. La tête cachée sous le volant en position défensive, j'essaie dans un geste désespéré de me saisir de mon téléphone. Une voix froidement chaleureuse s'adresse à moi.

– Mais descendez, ma chère, je vous en prie ! Je vois que vous vous êtes empressée de rejoindre la partie, et plus vite que je ne le pensais ; ça me fait extrêmement plaisir !

Une autre balle siffle devant mes yeux et s'en vient dans le tableau de bord.

– Soirée champêtre, sans réseau. Lâchez votre téléphone, sinon il vous arriverait des choses fâcheuses, je ne voudrais pas.

A contrecœur, j'abandonne ma seule attache au monde extérieur et suit le loup dans sa tanière. Une femme, assurément athlétique, dont les formes et les muscles saillent sous un vêtement noir et moulant de commando. Ses yeux brillent d'une lueur bienveillante entremêlée de folie, semblant inviter avec chaleur et politesse au massacre. Terrifiée, je m'efforce de retrouver une contenance en rassemblant mon sang-froid lorsque nous dépassons le vigile trépassé.

– Mais après vous, je vous en prie. J'espère que vous serez autrement plus loquace que votre frangin.

Elle s'écarte devant l'une des portes-fenêtres donnant sur la coursive extérieure, entrebâillée sur le riche mais distingué salon de réception de la demeure de mon beau-père. Je recherche avidement les bois du cerf chassé par celui-ci. En lieu et place de mon frère photographié en plein martyr, seule une grande tâche vermeille éclabousse les chevrons du parquet. L'accent slave du bourreau répond à mes angoisses.

– Vous comprendrez que nous sommes passés à la cuisine. Nous avons mis le couvert en attendant, si j'ose dire.

D'une voix blanche, je conteste :

– Que lui voulez-vous ?

Elle pointe son revolver sur moi et me caresse doucement la joue.

– Voyons, ma jolie, c'est moi qui pose les questions.

Nous entrons dans la cuisine, à quelques pas de là. Je réprime un hurlement en assistant à la scène.

Ma mère et mon frère se font face, solidement ligotés sur deux chaises hautes de bistrot. Sur le plan de travail du comptoir gisent tous types de couverts et ustensiles, dont la majeure partie d'entre eux reluisent de sang. Mon frère, en larmes, m'adresse un visage viscéralement terrifié, tandis que ma mère semble inconsciente, un bâillon dans la bouche, la tempe droite à semi fracturée. Je fais volte-face. La criminelle, d'un geste malsain, passe sa main dans mes cheveux.

– Voyez-vous, j'ai d'abord cuisiné votre frère, mais il ne semblait guère coopératif. Je suis ainsi passé à Mrs Chapman lorsqu'elle s'en est revenue du golf, mais cela ne lui délie pas la langue. Jamais deux sans trois, vous arrivez à point nommé.

L'Énigme Millénaire - Roman (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant