Northwest Creek
Jeudi, avant l'aube
La côte atlantique se rapproche à une allure inhabituelle, le trait sablonné traversant en diagonale la vitre. Le politicien ne peut que retenir un haut-le-cœur ; la cravate desserrée, il ne parvient que difficilement à inspirer quelques goulées d'air.
– Atterrissage dans moins d'une minute. Accrochez-vous, Monsieur.
Benjamin Frost opine lentement et accentue sa prise sur la poignée de maintien jusqu'à en faire blanchir les jointures de ses phalanges. Il se retient de tout commentaire sur le pilotage plus que mouvementé du garde du corps. Celui-ci ne fait qu'obéir à son ordre : arriver le plus vite possible, quoi qu'il en coûte.
Derrière lui, deux autres costauds bien sérieux discutent de la stratégie à adopter pour approcher l'agresseur. Droits comme des piquets, engoncés dans leurs costumes sombres réglementaires, ils s'apparentent plus, dans l'esprit à vif du chef de cabinet, à des envoyés de pompes funèbres qu'à des agents du Secret Service. La violence des turbulences plaquent les quatre hommes contre leur siège. Une ultime secousse, presque cataclysmique, s'empare de l'oiseau de métal avant de le clouer au sol. Le bourdonnement des pales s'atténue peu à peu.
– Monsieur.
Le pilote scrute l'homme d'État dans l'attente d'une réaction de ce dernier, en nage, figé comme une statue de sel. Il se ressaisit.
– Oui, oui, Hendricks... Excusez-moi.
Un second cerbère l'appréhende.
– Monsieur, nous allons procéder à l'opération. Nous nous sommes posés dans une prairie proche de la plage, à environ un mile de votre propriété. Je dois vous réitérer que puisque nous sommes les premiers à intervenir, que vous n'avez pas voulu solliciter la police locale, et que nous n'avons aucun visuel de terrain étant donné que les installations de vidéosurveillance ont été sabotées, l'opération est relativement risquée.
Le politicien reprend des couleurs.
– La police locale, merde ! Une brigade de ramollis du bulbe ! Vous me semblez bien plus qualifiés pour une situation de crise telle que celle-ci que la police locale !
– Oui, Monsieur.
– Ce n'est pas un simple criminel local qui a pu s'infiltrer chez moi et déjouer la garde.
– Oui, Monsieur. Sauf votre respect, nous allons toutefois devoir vous laisser ici avec l'un d'entre nous.
Frost éructe.
– Vous vous foutez de ma gueule ? Vous travaillez à Washington avec la présidente et vous n'avez aucune connaissance de ma propriété ! Je serai bien plus utile dehors.
– Le protocole, Monsieur.
– Au diable le protocole ! J'ai servi dans l'armée, enfin ! De toute manière, protocole respecté ou pas, si je meurs, ils vont vous foutre au placard dans tous les cas.
Les trois hommes de la garde rapproché se consultent du regard. Leur chef acquiesce et tend une arme à Frost.
– OK. Mais vous restez en arrière du commando.
⁂
L'homme d'État avance à une cadence soutenue dans la clairière. Les chênes et les pins, pareils à des monstres massifs et ténébreux dans l'obscurité nocturne, entravent la lumière de la Lune ; à l'arrière du groupe, Frost n'entend que les pas des hommes, étouffé par les battements puissants de son cœur, dopé à l'adrénaline. S'il ne paraît jamais avoir quitté sa condition de soldat tant ses réflexes sont aiguisés – le regard perçant jusque par-delà les troncs, la marche feutrée pour ne pas alarmer l'ennemi –, ses émotions sont d'une autre nature : quand le commando d'hier était impersonnel et pour la gloire de l'Amérique, celui d'aujourd'hui est autrement plus aventureux et pourrait bien coûter la vie à sa famille.
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L'Énigme Millénaire - Roman (en cours)
Mystery / Thriller« Lorsqu'il tend la main pour les attraper, l'ombre se rapproche brusquement, s'étalant, lugubre, sur le mur. Soudain, l'homme est saisi d'une douleur atroce au crâne. Il réalise avec effroi ce qui lui arrive lorsque le monde devient noir et qu'il c...