Un passé jumeau

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On est nos propres personnages principaux, nous contrôlons tout, que ce soit, nos mouvements, notre présent ou nos choix.

C'est ce que je croyais mais on peut être sûr d'une chose. La vie crée son propre univers, son propre jeu, ses propres choix, qu'on le veuille ou non, pour le meilleur ou pour le pire.

Mon corps est endolori. J'entends encore les sanglots de Sarah, aussi amochée que moi. Qu'est-ce qu'on a fait pour mériter une merde pareille...

Je finis à contrecœur par sortir dans la chambre. Silencieusement, je me rends dans le salon.  Tout est bordélique, ça pue l'alcool, la transpiration attaque mon nez. Le gros porc s'est endormi dans le canapé, il boit trop, il frappe trop, il vit trop.

Si seulement, j'avais sa force, sa poigne, son crochet du droit. Je n'ai rien pour moi à part la résistance à ses coups, on s'habitue à force. Il nous martyrise comme on pourrait martyriser une fourmi quand on est jeune, la seule différence c'est que nous sommes ses enfants, à notre grand désespoir. 

La vie et ses règles...

Je sais que je n'aurais pas dû ramener des amis à la maison. Ils se plaignaient que je n'invite personne chez moi. Pourquoi est-ce que j'ai voulu leur faire plaisir ? Pourquoi leur bonheur à eux passe avant le mien ? Et celui de Sarah...

Je me prépare un bol de chocolat chaud. Il faudrait que je pense à réveiller ma sœur, on doit aller à l'école. C'est pas cet homme qui va nous aider à quoi que ce soit, il est trop occupé à picoler avec ses potes. Le père alcoolique qui frappe ses enfants...

Je croyais que ça n'existait que dans la fiction.

— Sarah... susurré-je.

— Laisse-moi... Je veux dormir...

— Si tu te réveilles pas pour aller à l'école, il va te tuer !

Ses yeux s'écarquillent. Elle doit repenser au pétage de plombs que notre père a eu hier. J'en ai des marques, elle aussi, il faut qu'il crève...

On se rend en direction de l'école, à un quart d'heure à pied de la maison. En marchant, je me rends compte à quel point j'ai mal. Sarah continue de pleurer, il faut cacher notre tristesse. Si quelqu'un se rend compte de ce qu'on subit, on pourrait être séparé. Notre père pourrait même nous tuer pour se venger...

— Sarah... J'ai mal aussi mais faut rien montrer.

— Je sais.

Elle est forte, nous nous renforçons mutuellement, j'espère qu'on sera tous les deux pour toujours. Je suis son phare, elle est mon étoile dans la nuit...

L'école est devant nous, devant le portail, des camarades sont avec leurs parents, sans m'en rendre compte, je me mords la lèvre, tellement que le sang coule.

Qu'avons-nous de si différent d'eux ? Pourquoi notre père nous emmène pas ? Depuis qu'il n'y a plus maman, tout a changé. Il est faible, avec Sarah, nous avons surmonté sa mort, alors que cet alcoolique, sombre toujours plus. Le problème est qu'on s'engouffre avec lui.

On monte la côte qui nous permet d'accéder au petit portail de la cour, il y a pleins d'enfants, plusieurs viennent vers nous, nos amis.

— Ça va ?! s'écrie l'un d'eux. C'était trop cool chez vous hier ! On revient quand ?

— Ouais faut qu'on y retourne ! s'exclame encore un autre, insouciant.

— Notre père veut plus qu'il y ait de gens à la maison. s'écrie Sarah, reprenant sa splendeur habituelle. Il va pas très bien en ce moment...

N'y pense plusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant