Quand la mort nous sépare...

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On finit par arriver à la maison, silencieusement, Sarah et moi allons dans la cuisine. Se nourrir seuls est devenu une habitude. Du pain de mie avec du pâté, si on a le malheur d'utiliser le four ou de prendre un repas trop garni à son goût, la punition s'ensuit. Toute excuse est bonne à prendre pour frapper les faibles.

— Vous branlez quoi là ?! rugit notre père, le ton fort et menaçant.

— On prend du pain de mie et du pâté... balbutie Sarah, terrorisée.

— Ouais... Toujours à prendre dans mon dos, pour ça il va falloir me payer, donnez-moi tout ce que vous avez reçu aujourd'hui.

— Mais... contredis-je, comme à chaque fois qu'il nous fait le coup.

— Quoi t'as un problème ? Tu me fous la honte à l'école, vous me bouffez tout à la maison, vous m'énervez, vous vivez sous mon toit, vous me devez tout.

Son regard en dit long, alors ça vient de là, cette expression.

"Le regard est le reflet de nos pensées, de notre esprit."

Comment en est-il venu à autant nous haïr, au point de vouloir nous tuer ? Je comprends vraiment pas ce qu'on a pu lui faire. Je me demande si on est pas juste des punching-ball. On sert juste à canaliser sa haine indescriptible. Je n'attends qu'une chose, lui renvoyer l'ascenseur.

Pour l'instant, je peux rien faire. L'air dégoûté, on lui tend ce que nous a gentiment donné la dame chez qui nous travaillons. Ma main tremble, lui donner cet argent, c'est accepter ses règles, il assoit son autorité sur nous.

— Maintenant, dégagez dans vos chambres et allez au travail directement après l'école demain, je veux que vous soyez rentrés avant dix-neuf heures.

— Oui. répondons-nous, la mine sombre.

Une fois arrivé dans ma chambre, mon coussin, ma console, mes jouets, tout s'explose contre mon mur. Mon cerveau s'embrase, mon esprit se plaît dans la folie. J'ai tellement de colère en moi.  Elle se mélange à ma frustration qui grandit chaque jour, bloquée dans ce corps d'enfant.

Pendant la nuit, je rêve, pas de jouets, pas de sorties avec des camarades de classe, pas de moi, justicier en train de sauver des vies.

Du sang sur mes mains, un corps par terre, mon sourire remontant jusqu'à mes yeux remplis d'extase, de libération.

Toutes les nuits, je me vois encore et encore tuer mon père de mes propres mains. Une mare rouge gisant de son corps inerte, les yeux grands ouverts d'étonnement. Il me rend malade, pourquoi à mon âge, je vois déjà ça.  C'est peut-être mon destin, d'être entouré de noir.

Je ne crois pas au destin, mais la vie a un plan, il est tout tracé, on ne peut rien y faire, je suis né pour être dans l'abime, je vois désormais ma lumière en toi, Eileen.

Chaque jour, nous allons à l'école avec Sarah. Nos douleurs ne nous abandonnent pas. Elles s'aggravent à chaque fois que nous travaillons dans le jardin ou en nettoyant la maison. Ne pouvant pas guérir, elles continuent de nous faire souffrir, silencieusement pour ne pas qu'une tierce personne le remarque.

C'est si insupportable que, chaque jour je me retrouve dans le bureau du directeur, pour une bagarre, pour une insulte envers un professeur. Tous les soirs nous nous faisons de nouveau frapper. Je noie la culpabilité de notre père en faisant des bêtises que je regrette amèrement, je respecte tellement Sarah, elle est si forte.

Ma sœur parvient parfaitement à se maitriser, que ce soit devant les autres ou devant notre père, calme, impassible, le regard puissant, elle est si mature, contrairement à moi.

N'y pense plusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant