𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚞𝚗

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Bonne lecture !

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La première fois que Spencer croise la route d'un fantôme, c'est un soir en rentrant du collège.

Il boite un peu, sur le côté du trottoir. Le caniveau est sale, plein de feuilles mortes amassées là par les grosses pluies qui sont tombées ces derniers jours. Il a perdu son parapluie, quelque part dans les vestiaires. Étonnamment, ça lui était vraiment sorti de la tête jusqu'à ce que son pied se pose dans une énorme flaque d'eau crasseuse.

Spencer s'arrête un instant. Le regard trouble, il fixe sa chaussure trempée puis l'écarte d'un geste fatigué. Sa jambe est lourde, et il manque de perdre l'équilibre une seconde. Sa chaussette verte, celle qui se trouve à droite, devient plus sombre, presque marron.

Avec lassitude, il clopine difficilement pendant encore quelques mètres. Son mollet le fait souffrir, et il n'a pas oublié la manière dont la batte de baseball qui traînait là a frappé son os. Il ne l'a pas entendu se briser, mais la douleur lui est remontée jusque dans la colonne.

C'est après trois nouveaux pas que Spencer se rend compte qu'il n'a pas de chaussette à gauche. Peut-être traîne-t-elle à côté de la poubelle où il a récupéré le reste de ses vêtements. Sa veste porte une odeur de tabac froid, de banane trop mûre, et de chocolat. Il trouve ça écœurant, mais son esprit ne cesse de lui rappeler que le corps humain adulte ne peut supporter trop longtemps une attaque directe par le froid.

Il n'est pas un humain adulte.

Il a passé quatre heures et cinquante-trois minutes attaché au poteau de but, sur le terrain de foot à l'arrière.

La mâchoire de Spencer se crispe. Il sait qu'il aura les marques des liens sur sa peau, qu'il aura l'odeur de la rosée dans ses cheveux toute la soirée, et que ses oreilles n'oublieront jamais les rires amusés qu'il a entendus. Cette fille, dans la classe d'à côté. Ce garçon, dans l'équipe de basket. L'autre, qui semble tellement plus âgé qu'eux et qui a redoublé deux fois. Spencer a déjà aidé celui qui a serré les cordes autour de ses cuisses à faire ses devoirs de maths. Seule une autre fille aux cheveux châtains a semblé hésiter en entendant les bruits qui sortaient de la gorge de Spencer ; elle s'est vite reprise, quand sa copine lui a demandé si elle voulait sortir avec lui, tant qu'à le défendre.

Spencer fait encore dix-huit pas de plus. Ses joues le piquent, à cause du froid et du sel de ses larmes séchées. Il sent son nez couler et renifle fort. Au moins ses lunettes sont toujours sur son nez, ce qu'il n'explique pas forcément.

À sa droite, un réverbère clignote deux fois dans l'obscurité de la nuit tombée. Ça attire son attention : il tourne la tête, s'arrête, et ses yeux tombent sur le petit square devant lequel il passe chaque matin quand il ne prend pas le bus. Des jeux, un tourniquet jaune et un toboggan bleu. Et un banc, juste derrière.

Il déglutit. Sent la douleur de sa jambe envoyer une nouvelle décharge quand il s'appuie dessus pour tester. Finalement, il se tourne et boite dans l'herbe humide, traversant un carré de pelouse avant de passer sous un arbre. Il tombe sur le banc plus qu'il ne s'y assoit.

Il est resté des heures suspendu par des liens, supportant son propre poids sans pouvoir utiliser ses mains ou ses pieds. Ses bras sont engourdis, tout comme le reste de son corps qui commence déjà à être courbaturé. Il n'a rien bu depuis bientôt douze heures. Les crampes se forment à l'arrière de ses cuisses.

Un soupir passe ses lèvres, et Spencer rejette sa tête en arrière pour regarder le ciel. Peu importe qu'il ne soit que dans la périphérie du centre-ville : à Las Vegas, les étoiles ne se trouvent que dans les casinos. Ça l'énerve un peu, car il a récemment appris plus d'une trentaine de constellations, et il n'a aucun moyen de les reconnaître ailleurs que dans les livres.

La mort entre tes bras || Spencer ReidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant