𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚚𝚞𝚒𝚗𝚣𝚎

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Bonne lecture !

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Le carrelage de sa salle de bain est froid sous ses jambes nues.

Adossé au mur, juste à côté de sa douche encore humide, Spencer regarde simplement le plafond en attendant que l'idée passe. Quand il était petit, quand sa mère n'arrivait même plus à se lever de son lit, elle finissait par lui dire de venir avec elle pour qu'il cesse d'essayer de la tirer de là. Pour qu'il arrête de lui rappeler les paroles du médecin, pour que le gamin à présent sans père qu'il était se taise enfin un peu : pour qu'il vienne juste s'allonger entre les livres ouverts, à ses côtés.

Sa mère avait toujours la peau bien plus chaude que lui. Il aimait se glisser sous la couverture, poser sa tête sur l'oreiller froid, et coller son épaule à ses côtes saillantes pour se sentir plus proche. Souvent, elle attendait simplement qu'il choisisse un livre au hasard parmi ceux éparpillés autour d'eux. Il en prenait un, le lui tendait, et Diana Reid commençait à lire avec une voix pleine de sommeil mais toujours intéressée : la littérature, c'était réellement la seule ancre tangible de sa vie.

À présent, Spencer regarde le plafond en essayant de se rappeler sa voix. La voix de sa mère, qui lit les premières phrases d'À la recherche du temps perdu de Proust. Le bruit des pages tournées, la sensation du soleil qui passe à travers les rideaux entrouverts pour venir jusqu'à eux, son cerveau qui ralentit enfin le rythme et qui se concentre sur une voix, un timbre, une histoire.

Le plafond est bas dans la salle de bain : pas de traces d'humidité, bien heureusement, mais c'est une pièce étroite. Spencer peut toucher le mur d'en face avec ses pieds en étant simplement ainsi, avachi sur le sol. Son épaule contre la paroi de la douche. Les toilettes sont à portée de bras.

Spencer ne sait pas vraiment à quel moment tout a dérapé : à quel moment il a perdu le contrôle. Avant, c'était simplement le week-end. Ses jours de congés. Puis un soir il a craqué. Puis un matin. Jamais au boulot, mais franchement même lui est incapable de se promettre que ça n'arrivera jamais. Il n'en sait rien. Peut-être.

Il serre les dents en fermant les yeux, la tête relevée. Tout est si bruyant en ce moment. Après avoir goûté au silence, c'est d'autant plus frustrant de ne pas pouvoir dormir de la nuit à cause des voix, de tous ces fantômes qui ne veulent pas le laisser tranquille un seul instant. Aucun n'est encore entré dans son appartement, à part Riley, mais ça aussi ce n'est sûrement qu'une question de temps.

À la moindre faiblesse de sa part, ils semblent toujours en profiter pour se rapprocher. C'est énervant, frustrant, insupportable.

— Taisez-vous...., souffle-t-il faiblement.

C'est ridicule : à quatre heures du matin, en caleçon et haut de pyjama plein de sueur sur le sol de sa salle de bain. Le manque est présent de plus en plus souvent, à des moments incompréhensibles, et Spencer voudrait simplement hurler.

Il n'en a même pas la force.

La lumière de la pièce est éteinte : il la déteste vraiment, celle-là. Trop clair, trop jaune, trop forte. Il laisse la porte de la salle de bain ouverte, allume la lumière de sa chambre, et profite simplement de l'éclairage diffus. Tout l'énerve ou presque, en ce moment, tout lui donne mal au crâne, tout lui donne mal au ventre, tout lui donne envie de gerber.

Il plane pendant quelques heures, ça dépend de la dose, puis en passe plusieurs autres à se demander s'il va simplement s'endormir sur le sol de sa salle de bain tellement il est incapable de s'éloigner des toilettes trop longtemps. La nourriture ne reste pas. Sa peau est sèche et des plaques rouges apparaissent sur ses bras et ses cuisses.

Dans le creux de son coude, il commence à avoir du mal à trouver une veine potable.

Un rire abattu s'échappe de ses lèvres et Spencer rouvre les yeux. Il baisse la tête, resserre ses doigts autour de la petite fiole, puis son autre main se tend en direction de l'aiguille neuve posée non loin. C'est étrange comme l'idée de retrouver enfin un peu de silence lui fait oublier toutes les bactéries qu'il pourrait s'injecter. Tous les germes présents dans une salle de bain qu'il n'a pas nettoyée depuis un bail, dans des draps sales qu'il n'a pas changés et dans lesquels il transpire comme un fou toutes les nuits. Enfin, pendant l'heure et demie où il parvient à trouver un peu de sommeil, bien sûr.

Il renifle. Sa peau nue frissonne, et il a soudain si froid qu'il sait très bien que le moment est venu. C'est toujours comme ça : il attend en regardant le plafond pour se donner l'impression qu'il maîtrise tout de même un peu ce qu'il est en train de faire, mais la vérité c'est qu'il perd pied. La vérité c'est que son compte en banque commence à lui faire peur, qu'il doit garder des économies pour le sanatorium de sa mère, qu'il n'accepte presque plus de conférences. La vérité c'est que son dealeur a l'air de bien l'aimer. Est-ce qu'il pourrait ? Spencer n'en sait rien.

Il aime se dire que non. Il se dit que non. Il remonte sa manche, serre le garrot, et souffle de soulagement en apercevant une veine correcte. L'aiguille disparaît rapidement sous sa peau : ses mains tremblent un peu, comme toujours en ce moment. Il peine à ne pas faire tomber un pauvre stylo, se prend l'épaule dans les encadrements de porte, sent ses jambes devenir molles et son souffle se faire court au bout de quelques secondes de course.

Il inspire, et petit à petit les voix se taisent. Le silence l'entoure, ses paupières tremblent avant de se fermer, et il souffle de soulagement. Sa récitation d'À la recherche du temps perdu se fait plus fine, puis disparaît : toutes les allées, tous les tiroirs, tous les rangements de son esprit disparaissent et s'envolent.

Riley se fait de plus en plus rare. Lui déteste voir ça, et Spencer déteste voir son regard plein de jugement et de peine. Riley a toujours l'air en colère contre lui.

Il n'apparaît pas, cette fois. Spencer se sent doucement partir, et sa peau arrête enfin de frissonner : il ne sent ni sa migraine, ni son ventre plein de crampes, ni ses courbatures.

Au loin, dans l'appartement, son téléphone portable sonne.

Spencer tourne doucement la tête, sans ouvrir les yeux, et quelques secondes passent le temps qu'une pensée cohérente arrive à se former. Quand la réalisation qu'il n'y a que le boulot qui peut l'appeler à cette heure-là le frappe, il n'arrive même pas à remuer un orteil.

Sa propre voix souffle Merde à l'intérieur de sa tête.

Il s'endort quand même.

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Des bisous !

La mort entre tes bras || Spencer ReidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant