Bonne lecture !
________________________
Spencer attend sagement sur le quai du métro, les mains dans les poches de sa veste.
Son sac est lourd dans son dos, et il se dit qu'il a peut-être pris un peu trop de livres. Trois auraient sûrement suffit. Ou quatre, si vraiment.... Mais cinq ? C'est un petit peu excessif, pour simplement quelques heures.
Enfin, ces derniers temps Spencer a l'impression de lire de plus en plus vite. Il peut réguler tout cela bien plus facilement qu'avant : quand la professeur leur distribue un court texte en classe, il peut le terminer en quelques coups d'œil. S'il se concentre bien, il peut aussi se souvenir de chaque mot. Avant, c'était quelques paragraphes au hasard, et quelques cafouillages dans la chronologie. Maintenant il peut réciter l'ensemble d'Erec et Enide, la traduction la plus récente, qu'il a lue trois jours plus tôt.
Il commence à savoir ranger ce qu'il y a dans sa tête. Faire des étagères, des boîtes avec des noms. C'est plus clair. C'est un livre de la bibliothèque du centre-ville qui lui a conseillé ça : des thèmes, des sujets, et des petites cases.
Spencer soupire, et se frotte les mains en attendant que sa rame arrive.
Il aime bien le mercredi. Il n'y a pas d'école l'après-midi, et son père ne l'a pas obligé à refaire du sport en club. Le club de foot lui a cassé la jambe, celui de basket l'a conduit à parler de statiques avec le coach, l'athlétisme a inquiété tous les parents spectateurs quand il s'est étalé sur plusieurs mètres, et bien sûr le baseball ne lui a pas laissé la moindre chance. Avec une batte dans les mains, il a simplement réussi à se mettre un coup dans la malléole, sans toucher une seule balle.
Son père a abandonné.
Maintenant, Spencer peut simplement dire « je vais voir des amis » en rentrant des cours et partir pour tout l'après-midi. Sa mère lui embrasse le front. Son père lui lance un regard que Spencer ne comprend pas encore bien avant de lui ébouriffer les cheveux. « Fais attention à toi, champion ».
Il ne lui dit pas que le mot champion vient du bas latin qui signifie champ de bataille, et que par conséquent il n'a rien d'un guerrier.
À présent, il attend simplement que la rame dans laquelle il va passer la prochaine heure (une heure et trente-deux minutes exactement) arrive. Prendre une rame au hasard (enfin, au hasard au début car Spencer a fini par apprendre sans vraiment le vouloir tout le plan et les horaires des trains du mercredi après-midi) et voir où ça le mène.
S'asseoir dans un wagon vide, écouter le bruit rassurant et presque uniforme du wagon sur ses rails, profiter de la lumière tamisée de l'arrière et de l'obscurité des souterrains.
Soudain, au milieu des quelques personnes qui attendent comme lui que la rame arrive pour les emporter, une silhouette s'arrête juste à côté de lui. Il tourne la tête. Ne croise pas de regard : il n'en croise presque jamais.
Spencer penche la tête sur le côté mais ne dit rien : il s'est déjà laissé aller à échanger quelques mots en public et en général ça ne donne jamais rien de bien. Des coups d'œil curieux et un peu inquiets. Pour l'instant, il a juste l'air d'un gamin qui joue.
— Il est encore en retard, dit la jeune femme.
Spencer l'observe discrètement. Toujours les mêmes vêtements, le même panier en osier calé sous son bras, et le même bandana dans ses cheveux bouclés. Elle attend impatiemment.
Il se souvient de la première fois qu'il l'a rencontrée : elle avait un bandeau différent, avait lissé ses cheveux, et portait son panier de l'autre côté. Elle ne l'a même pas regardé. Spencer n'a pas fait trop attention non plus.
Une semaine plus tard, il lisait le journal qui tombe tous les matins devant leur porte, et il a reconnu le bandana. Depuis, elle est là tous les mercredis pour attendre le métro.
Il se dandine d'un pied sur l'autre.
— Oh, je ne t'avais pas vu.
Elle ne se retourne pas vers lui, mais Spencer sait que c'est à lui qu'elle s'adresse. Sa voix paraît un peu plus guillerette tout à coup.
— Comment ça va, aujourd'hui ?
Il hoche la tête. Poliment, assez pour qu'elle comprenne que ça lui est adressé.
— Oh, oui excuse moi. Moi aussi, ça va. Je t'ai donné la tarte à la mûre, la dernière fois ? Je ne sais plus trop.
Nouvel acquiescement. Elle attrape son panier pour le changer de bras et en tire par la même occasion une liste. Un coup d'œil sur la peau de sa main, une main un peu gonflée avec des doigts courts et des ongles rouges. Sa peau brille légèrement.
— Oh c'est vrai ? Parfait. Aujourd'hui, écoute bien ce que j'ai trouvé. Je t'assure que tes proches vont s'en rouler par terre.
Elle se racle la gorge. Le bruit est presque trop réel. Personne ne se retourne vers eux, et Spencer continue de fixer le fond du quai, derrière les rails. Il préfère attendre debout : les bancs du métro sont toujours si sales que ça le fait grimacer rien que d'y penser. Voilà pourquoi il aime la rame qui va bientôt arriver, des sièges en plastique qu'il peut facilement nettoyer avec une serviette désinfectante cachée au fond de son sac.
Une fois, une adolescente polie lui a tapoté l'épaule en arrivant au terminus, alors qu'il s'était endormi. Elle lui a tapé l'épaule, l'épaule par-dessus son t-shirt, sans se laver les mains après avoir touché les barres au-dessus d'eux pendant toute la route. Spencer est rentré plus rapidement chez lui, et il a lancé la machine à laver à 90°. Son t-shirt a rétréci. Il a un peu pleuré.
— C'est ma recette personnelle, alors tu devras garder ça pour toi, mais voilà : trois œufs, de bons œufs fermiers qu'on trouve à la sortie de la ville vers le nord, puis 200 g de chocolat noir, celui spécialement pour les desserts, et à ça tu rajoutes 50 g de farine et 80 g de sucre, mais je n'en mets que 40 c'est bien suffisant. Tu termines le tout avec 80 g de beurre fondu, puis 3 cuillères à soupe de lait !
Elle lui fait un clin d'œil : il ne le voit pas, mais étrangement il le sait.
— Ensuite tu mets ça dans un joli moule en silicone, puis direction le micro-onde pour 7 minutes de cuisson.
Les sourcils de Spencer se froncent.
— Le micro-onde ? Pas le four ?
Sa bouche se referme aussitôt, et il attend quelques secondes avant de se retourner pour voir si personne ne le regarde. Un homme l'observe avec désintérêt, puis retourne à ses sudokus. Un soupir discret s'échappe de sa poitrine.
— Et oui, rit-elle. C'est le secret : un bon gâteau au chocolat qui se fait en une vingtaine de minutes et qui peut se faire par un enfant ! Si tu fais ça à ta maman, je suis certaine qu'elle sera ravie. Tu peux même rajouter de la poudre d'amande pour rendre le tout moins compact et plus moelleux.
Spencer note tout ce qu'elle vient de dire quelque part. Il pense à la tête que ferait sa mère s'il lui présentait un gâteau au chocolat encore chaud, fait par ses soins sans se mettre en danger. La pâtisserie, ça n'a rien à voir avec la cuisine normale : c'est purement de la chimie et Spencer apprécie beaucoup.
Ses lèvres bougent, articulent « mer-ci », mais aucun son ne sort. Il commence à entendre son train qui approche, et son sourire fond un peu.
— J'espère que tu ne seras pas déçu. Mais sur ce coup-là, je suis assez fière de moi.
Il se retourne vers elle, mais son visage n'est à nouveau pas visible. Elle remet son panier sur le bon bras, et Spencer ferme les yeux.
La première fois, ça l'a pris par surprise. La seconde, il a essayé de l'en empêcher. À présent, il se contente de fermer les yeux. Il la sent bouger à son côté, faire trois pas en avant pile au moment où la rame passe puis s'arrête.
Quand il rouvre les yeux, il n'y a plus rien et les portes s'ouvrent devant lui.
_________________________
Des bisous !
VOUS LISEZ
La mort entre tes bras || Spencer Reid
Hayran Kurgu| Spencer Reid | Fiction terminée | Spencer voit des fantômes : voilà l'étrange vérité dont il prend conscience pendant son enfance. Des peaux un peu brillantes, des sourires éloignés, et une incidence plus qu'importante sur le reste de sa vie. Mai...