𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚍𝚒𝚡-𝚑𝚞𝚒𝚝

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Bonne lecture !

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Spencer attend en regardant le plafond.

La pièce est sombre, l'air commence à se faire froid, et les yeux de Spencer parcourent le plafond tout en y inscrivant des mots. Des lettres, dans une écriture propre imprimée sur des pages parfois fines ou parfois légèrement épaisses. Aujourd'hui ce sont des poèmes : son esprit étrangement léger se remémore la fois où il s'est glissé à l'intérieur de la bibliothèque pour dévorer toute la section poésie. Assis sur le sol, dans un coin, il a fini par se faire gronder quand la responsable l'a trouvé avec tous les ouvrages au sol, en bazar.

Il a tout rangé avant de partir.

À présent il attend sagement, les mains repliées sur son ventre, le dos droit, les yeux levés. Il ne sent même pas la fatigue : son corps est légèrement courbaturé, mais son esprit tourne à cent à l'heure alors même que les voix sont silencieuses. Elles le sont toujours, lorsqu'il se trouve ici.

À côté de lui, la respiration de Hotch se fait tout à coup régulière. Un léger ronflement suit. Spencer tourne la tête, et voit sa poitrine se lever et s'abaisser en rythme : ça le fait sourire, distraitement, tandis qu'il s'écarte doucement pour s'extraire du lit. Ses pieds touchent la moquette, ses mains attrapent ses vêtements étalés un peu partout, et il ne peut résister à l'envie de prendre également ceux de Hotch pour les plier et les poser sur une chaise.

La porte de la chambre est ouverte : il s'en échappe dans un parfait silence. Dans le salon de l'appartement, il trouve son sac et en profite pour s'habiller rapidement. Spencer enfile ses chaussettes, son pantalon, sa chemise, puis s'enroule dans son manteau et évite de penser à l'état de ses cheveux. Sa peau a l'odeur d'une eau de cologne qui n'est définitivement pas la sienne, mais à part ça il constate que rien ne le trahit : il a presque la même apparence qu'en entrant, et peut alors attraper la poignée pour sortir de l'appartement.

Il referme à clé derrière lui, puis fait glisser le trousseau sous la porte. L'arrondi en métal qui retient les clés bloque un peu, mais Spencer finit par réussir à tout faire disparaître. Il n'allume pas la lumière du couloir, et prend les escaliers pour descendre dans le hall.

Dehors, il y a un peu de vent et personne dans les rues.

Un soupir s'échappe de ses lèvres, provient directement de sa poitrine. Spencer se met en route en enfonçant ses mains dans ses poches.

Parfois, il n'y croit pas tout à fait. Il a l'impression de flotter, entre la journée et la nuit, entre le bureau, les enquêtes, et l'appartement de son patron. En rentrant, il sait qu'il va se déshabiller pour se regarder vaguement dans la glace, sous la lumière insupportable de la salle de bain, juste pour observer les quelques traces de doigts sur ses hanches. Les deux ou trois griffures, les traces, les bleus. Sa peau marque aussi facilement qu'une toile blanche, et même si ça ne reste pas longtemps c'est une preuve.

Il n'invente rien.

C'est arrivé un peu brusquement. Oui, Spencer aime se dire que c'est arrivé brusquement : qu'il n'y a pas eu de regards avant ça, qu'il n'a pas simplement profité du fait que son boss soit pris dans un divorce avec sa femme qu'il aime encore très certainement pour le laisser l'embrasser. Un jour, Hotch est prêt à se battre avec un tueur en série : il enlève sa veste et sa cravate, et Reid ne pense plus qu'à parler, parler, parler pour qu'ils ne se fassent pas abattre tous les deux, bloqués dans la salle de visite d'une prison miteuse.

Dans la voiture, alors que la tension est à son comble, Hotch se confie un peu. Il se confie , ses mains se serrent autour du volant, le divorce est là, et tout à coup il lui lance un regard en disant « ce que je veux, je ne l'aurai pas ». Ça n'a pas de sens, mais c'est arrivé comme ça.

À présent, Aaron Hotchner est un homme divorcé qui ne voit pas assez son fils à son goût et qui, pour reprendre le contrôle - au moins sur une partie de sa vie -, décide de coucher avec un subalterne qui ne dit jamais non et qui n'en parle à personne. C'est le profil que Spencer en a tiré, après les quelques derniers mois.

Ça lui va, en un sens : il n'a pas besoin de penser à s'ouvrir, à s'expliquer, à parler de sentiments. Quand Hotch le touche ou bien même ne fait que le frôler, toutes les voix se taisent et disparaissent. Les fantômes lui foutent la paix, et tout devient si silencieux et si tranquille que Spencer a l'impression de respirer. Une grande goulée d'air, et c'est reparti.

Perdu dans ses pensées, il est surpris par une voiture qui lui klaxonne dessus. Un pied sur la route, des phares arrivant sur lui, Spencer recule et cligne des yeux. La station de métro à laquelle il se rend toujours en partant n'est plus qu'à quelques pas, alors il secoue la tête pour se réveiller et traverser la route. Les escaliers sont vides, tout comme le quai sur lequel il n'attend que quelques minutes à peine.

Tout est encore calme. Ses mains froides sont fourrées dans ses poches et quand il en sort une, Spencer remarque que ses ongles sont sûrement trop longs et un peu bleus. La rame arrive au loin, et à côté de lui il n'y a aucun fantôme, aucune femme avec des recettes plein la tête prête à se jeter sur les rails.

Il entre à l'intérieur, marche vers un siège vers le fond, s'assoit en grimaçant devant le tissu sûrement sale et plein d'acariens qui le recouvre. Il sort un livre, inspire fort, puis murmure :

— Riley ?

Le petit garçon met quelques secondes à apparaître à côté de lui. Personne n'est dans le wagon qui remue à chaque tournant dans le tunnel, et Spencer se tourne vers lui avec un sourire. Sa poitrine est un peu serrée, et il se sent seul. C'est étrange, cette sensation qu'il a toujours en partant ainsi tard le soir, en marchant dans les rues et en profitant du silence.

Il l'a voulu pendant si longtemps, cette parfaite tranquillité. Mais à présent qu'il l'a pour quelques heures, c'est un peu trop. Il espère que le couple de fantômes à côté de chez lui va se disputer haut et fort une fois rentré, comme ça il pourra s'endormir sans trop penser. Râler, souffler, soupirer, c'est toujours mieux que réfléchir.

— Tu vas où quand t'es pas là ?

Spencer sait quelle réponse il va obtenir, alors son expression ne change pas lorsque Riley se contente de hausser les épaules.

— T'es plus là aussi souvent qu'avant.

— T'as moins besoin de moi.

— J'ai jamais eu... vraiment besoin de toi. Je suis content que tu sois là, mais....

— Oui, je sais. C'est ce que tu te dis. C'est pas grave, Spencer.

Il voit que Riley a envie de tendre la main pour prendre la sienne, mais il ne le fait pas. Encore une fois, sa gorge se serre.

— Tu peux lire à voix haute ?

— On arrive bientôt.

— S'il te plaît ?

Ses yeux se baissent sur le livre entre ses mains, et il serre les lèvres. Une nouvelle édition de l'Enéide, à la fois en langue originale et en traduction, qui attire également le regard de Riley. Spencer s'installe un peu mieux dans son siège, respire l'air étouffant du métro, puis ouvre la bouche pour lire à une vitesse presque rageante.

Il finit par se perdre dans l'écho de sa propre voix, et manque de louper son arrêt.

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Des bisous !

La mort entre tes bras || Spencer ReidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant