Sans Prétention

Chapitre 52: Arrêt

J'observe l'air patibulaire de mon petit frère, assis sur la glissière de sécurité. Le visage enfouit dans ses mains, le poids du monde semble accabler ses épaules. Voir tant de chagrin provoque en moi un pincement au coeur. C'est de ma faute... Je ne veux pas le rendre malheureux. C'est alors que l'Alpha descend également de voiture pour la contourner, avant de poser une main sur l'épaule de Maël qui ne bouge pas. Il lui dit quelque chose, mais mes reniflements m'empêchent d'entendre quoi. Cependant, je vois mon petit frère relever la tête pour regarder l'Alpha avec espoir, bien que voilé par sa tristesse.

A cet instant, je décide de sortir à mon tour du véhicule, immédiatement dérangée par le bruit des moteurs de la quatre voies. Néanmoins, je fais l'effort de les ignorer pour m'approcher de Maël qui m'observe, avec l'Alpha, boiter jusqu'à eux. Sans dire un mot, je me réfugie dans les bras de mon petit frère qui s'empresse de m'y enserrer. Je fais abstraction des pics de douleur en provenance de ma poitrine et de mon flanc, me contentant de savourer cette chaleur grandissante. Elle apaise mes maux et embaume mon esprit de la plus agréable des manières.

- Pardonne-moi... murmurai-je, la voix enrouée par l'émotion. C'est de ma faute, j'ai oublié. Je ne sais pas pourquoi, mais... dans l'entrepôt, j'ai tout oublié. Pardon... Jamais je n'aurais dû, pas après tout ce que vous avez fait. Je suis indigne de tout ce que vous me donnez.

- Elisabeth...

A la voix calme de l'Alpha, je me décolle de mon frère et me tourne vers mon interlocuteur qui m'observe avec compassion.

- Rien n'est de ta faute, et tu n'as rien à te faire pardonner.

- Je... Je vous ai oubliés, je ne croyais plus en vous... Après tout ce que vous avez fait, je ne mérite pas tout ça, dis-je en montrant vaguement notre environnement.

- Tu sais, beaucoup de monde n'aurait pas su endurer ce que tu as vécu. Ta persévérance est une de tes grandes forces. Mais il arrive, comme tout le monde, que tu battes en retraite ou que tu te laisses aller, c'est normal. Si tu as baissé les armes, si tu as oublié, ne t'en blâmes pas. Tu as simplement eu peur, on a tous peur de quelque chose, et on fait tous ce qu'on peut pour nous en sortir. Tu as voulu te protéger en te raccrochant à quelque chose d'ancrer en toi, quelque chose qui t'empêcherait de te faire emporter. Tu as vécu beaucoup d'années au Clan Rubis, moi aussi je m'y serais rattaché. Nous sommes encore nouveaux pour toi, tu cherches toujours ta place chez nous, nous étions donc quelque chose de trop instable pour ta peur. Alors ne t'en veux pas, au contraire, remercie-toi d'avoir trouvé de quoi te raccrocher. Et maintenant que la vague est passée, tout est revenu dans l'ordre. Tu t'es rendu compte que le rocher sur lequel tu t'agrippais était couvert de coquillages tranchants et que nous te tendons une île pour y trouver refuge. Donc chasse-moi ces larmes et ces remords, tu t'en es sortie. Chaque problème doit se régler en son temps, alors laisse-toi ce temps. D'accord, Elisabeth ? insista-t-il d'une douce voix.

Après de profondes inspirations, je finis par hocher la tête, puis sécher mes joues trempées. L'Alpha me regarde avec tendresse, et l'agréable chaleur entourant mon âme meurtrie me pousse à m'avancer vers lui pour poser mon front contre son torse. Sa surprise ne dure qu'une fraction de seconde, passant rapidement son bras autour de mes omoplates tout en essayant de ne pas toucher mes blessures. La chaleur grandissant encore, j'enfouis mon visage dans le creux de son cou et une odeur de terre humide et de cacao emplit mes narines. De sa main libre, il vient caresser mes cheveux, non sans un moment d'hésitation. A-t-il si peur de me briser ? Et moi, ai-je si peur qu'il me brise ?

Après de longues secondes à laisser cette chaleur m'apaiser, sa voix basse me parvient à l'oreille:

- Nous ferions bien de continuer notre route, il ne faudrait pas que tes blessures restent plus longtemps sans vrais soins.