Chapitre 44: Contre-attaque

135 15 0
                                    

J'accours à travers le village baigné dans la musique et les grillades, sillonnant à travers les chalets, pour brusquement m'arrêter au bout de la table à laquelle nous nous trouvions quelques instants plus tôt. Tout le monde tourne la tête vers moi, les sourcils froncés. Je prends une grande inspiration et pointe la forêt du doigt.

- Il y a des chasseurs.

Le premier à se lever est Gabin. Comme un ressort, il bondit sur ses jambes et s'adresse aussitôt avec assurance à tous les membres de Clan:

- Les chasseurs sont entrés sur notre territoire.

Sans rien ajouter d'autre, tout le monde se lève et se confond. Certains regroupent les plus jeunes, tandis que d'autres partent dans une nuée d'animaux sauvages. Anouk referme son carnet et remballe ses outils de dessin avec l'aide de Kai. Une ombre brune et massive s'envole au-dessus de nous en poussant un glapissement, avant de fondre en direction des bois.

- Elisabeth !

Je tourne brusquement ma tête à l'appel implorant de cette petite voix, et aperçois Eloise en train de tendre sa main vers moi, la deuxième étant prise dans celle de Juliette. De l'autre côté, Max tente de convaincre sa soeur de rentrer, mais cette dernière continue de m'implorer par-dessus l'agitation ambiante qui règne soudainement dans le camp.

- Elisabeth.

Je reporte mon attention sur Gabin qui m'interroge du regard. Les membres du Clan s'agitent autour de nous, mais il reste stoïque, tout comme Maël qui se tient à ses côtés.

- Que décides-tu ?

Soudain, une détonation résonne dans toute la contrée, abattant un silence de mort sur tout le village. Mais rapidement, l'effervescence reprend de plus belle et la foule finit par se dissiper, soit partie à l'affront soit partie se réfugier dans les chalets.

- Je...

Une nouvelle détonation assourdit la forêt, mais cette fois un hurlement l'accompagne. Je ne pourrais dire s'il appartient à un humain ou à un Métamorphe, mais ce qui est sûr c'est qu'il m'arrache le coeur.

- Je...

N'arrivant toujours pas à me prononcer, Maël s'avance vers moi et pose sa main sur mon épaule avant de plonger son regard dans le mien:

- Nous allons rester là, qu'en penses-tu, Elisabeth ?

- Oui.

- Très bien, dit simplement Gabin avant de s'éloigner de nous.

Il se dirige au coeur du camp, aidant un petit garçon à se relever au passage, avant de l'emmener avec lui pour le mettre en sécurité.

Les coups de feu recouvrent la forêt, et les cris recouvrent les coups de feu. Les Métamorphes ne sont plus que des formes qui apparaissent et disparaissent ici et là, gardant toujours vaillamment toutes entrées au village. A cet instant, je me revois toute petite, à observer cette même scène avec impuissance.

- Jeff, c'est terrible ! cria la voix dans ma tête. C'est... C'est ma soeur, Yasmine ! Elle... Elle a été tuée !

Je revois Marraine, les mains en sang et les joues baignées de larmes, complètement dévastée par le chagrin.

- Elisabeth.

La voix de mon petit frère me ramène au présent, qui n'est pas si différent du passé. Si, il faut qu'il le soit, ça ne peut pas se répéter. Alors pour la première fois dans ma vie, je serre les poings, relève la tête, et m'avance d'un pas déterminé vers les affrontements qui ont lieu à l'interstice entre la forêt et le village. Ça ne se reproduira pas, aucune famille ne sera détruite.

Immédiatement, mon frère arrive à ma hauteur pour m'observer, les sourcils froncés.

- Que fais-tu ?

- Je dois aller aider.

J'ai beau être pleine de bonne volonté et d'enthousiasme, je n'appréhende pas moins. Je ne me suis jamais vraiment battue... Et lorsque j'essaye quelque chose, cela rate. Mais aujourd'hui, je dois à nouveau tenter le coup.

Avec détermination, je m'avance vers la bordure du village, là où s'entremêlent Métamorphes et trappeurs. Je repère un chasseur qui jette un filet sur un Ocelot qui se retrouve alors complètement pigé. L'animal tente de s'échapper mais l'homme attire le filet à lui, emprisonnant un peu plus sa victime qui pousse des miaulements rauques en guise d'avertissement. L'homme lâche un rire tout en s'éloignant de l'attroupement, tirant son butin contrarié au sol.

Je n'attends pas plus et m'élance vers eux, retombants sur quatre puissantes pattes qui s'empressent de soulever mon poids. A un mètre du trappeur, je suis mon instinct et lui bondis dessus. Il chute sur le dos, sa tête heurtant violemment le sol sous mon impact, avant de me donner un bon coup de poing dans la mâchoire. Légèrement étourdie, je me fais avoir et le chasseur s'échappe de mes griffes pas encore habituée à garder une proie. Toutefois, j'aperçois l'Ocelot s'extirper du filet avec grâce, avant de venir se placer à mes côtés en feulant. Sans plus attendre, le félin bondit avec souplesse sur l'homme afin de lui lacérer le visage. Ce dernier hurle de douleur et sort, de sa ceinture, un énorme poignard. Cependant, je me précipite vers lui avec force pour saisir son bras avant que le mal ne soit fait. Un goût métallique se répand dans ma bouche, puis se goût se modifie pour devenir petit à petit plus sucré. Mes crocs s'enfoncent encore plus dans la chaire du type qui hurle à l'agonie. Ma vision s'étrique, le sang pulse dans mes tempes, et tous les combats autour de nous s'éloignent. L'odeur du cuir et de peau titille mes narines pendant que ma mâchoire se referme de plus belle et que me griffe s'ancrent dans la fine peau des bras de ce trappeur. Je me sens balancer, et nous finissons par tomber tous les trois au sol. Qu'est-ce que je fais ? Ce n'est pas moi, c'est impossible. Jamais—

Soudain, quelque chose entoure ma patte arrière avant de brusquement me tirer en arrière. Je perds l'équilibre, mes crocs arrachent la tendre chaire du trappeur en train de jurer, et mes griffes tranchent ses habits en se retirant maladroitement. Je jette un coup d'oeil derrière moi pour apercevoir un second trappeur tout sourire et chaine métallique en main. Je me redresse en grognant, mais d'un nouveau coup sec sur cette chaine, je perds l'équilibre et m'effondre. Qu'est-ce qu'il m'arrive ?

Je n'ai pas le temps de réitérer ma tentative que quatre autres trappeurs accourent vers nous pour me maintenir au sol avec force. Ma cage thoracique presse le sol feuillu, mes membres s'aplatissent dans une position anormale, et je pousse un grognement sourd, empli d'avertissement.

- Mais oui c'est ça, tu nous fais peur.

Je grogne de plus belle en essayant de me relever. Toutefois, je dois bien l'avouer: il me maintiennent au sol avec une force phénoménale. Entre deux jambes de trappeurs, je parviens à observer la scène qui nous entoure: d'autres Métamorphes se font immobiliser de force avant qu'on leur plante une seringue dans la peau et qu'on les ligote. En voyant l'impuissance des membres du Clan Saphir, je me débats de plus belle. Néanmoins, une désagréable sensation pique mon épaule et je rugis en essayant à nouveau de me lever.

- C'est inutile.

- Tu vois bien que vous n'avez plus l'avantage.

Sur ce, un des trappeurs me passe une grosse muselière en métal et en cuir autour de la gueule. La surprise m'empêche de réagir à temps, et me voila muselée comme beaucoup d'autres Métamorphes à terre.

- On la tient enfin...

- Elle est quand même vachement belle, dit l'un des trappeurs en caressant soigneusement ma fourrure. C'est dommage de l'utiliser comme ça...

- Le boss l'a décidé ainsi, alors il en sera ainsi.

- Je dis que c'est tout de même dommage.

Petit à petit mes forces commencent à m'abandonner, je ne peux plus me débattre, et le rire des trappeurs s'éloignent de plus en plus de mon conscient. Du coin de l'oeil, je vois une grosse masse sombre et imposante foncer droit vers nous, complètement remontée. Puis plus rien.

Sans PrétentionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant