Maël et moi marchons en bordure du village, entre chalets et forêts. Les enfants rigolent, les conversations sont animées, et les oiseaux chantent. Jusqu'à ce que mon petit frère décide de prendre la parole, interrompant la mélodie de la vie:
- Pour commencer... j'aimerais m'excuser.
- De quoi ?
- D'avoir été qu'un crétin. Non, ne dis rien. Je sais que maman n'aimerait pas m'entendre parler ainsi, mais c'est la vérité. J'ai été aveugle ! Comment est-ce que j'ai pu laisser ce... ce... cet enfoiré de première t'approcher ?
- S'il te plait... Ne parlons pas de ça.
- Si, il le faut, Eli. D'une parce que je n'ai pas su être là pour toi, et de deux parce que si on n'en parle pas tu n'ouvriras jamais les yeux.
Mon frère s'arrête brusquement et se tourne vers moi pour poser ses mains sur mes épaules afin de me pivoter face à lui, son regard ancré au mien.
- Ce que Zack t'a fait, ce qu'il nous a tous fait, il n'avait pas le droit de le faire. Oui il est Alpha, mais ça n'excuse pas tout. Il y a tout de même des règles à respecter ! Et lui, il s'en fout complètement des règles, il ne pense qu'à sa petite personne. Alors j'en t'en supplie, Eli, oublie-le et ne retourne pas à ses côtés. Ce type est un monstre, soupira mon petit frère. Moi aussi je pensais qu'il était digne d'être notre Alpha parce qu'il avait gagné le tournois... Mais qu'est-ce que ce tournois veut dire exactement, hein ? Et pourquoi est-ce qu'on ne s'en rend pas compte ? Tu sais comment Evan est devenu Alpha, lui ? Il a été choisi ! Choisi. Nous n'avons jamais choisi Zack comme Alpha, il s'est imposé par la force de ses griffes. Donc tout ce que ce tournoi des Alphas nous montre c'est à quel point Zack est un beau taré, et qu'il cache bien son jeu depuis le début.
Soudain, je me retrouve dans les bras de Maël. Il enfouit sa tête dans mon cou et y sanglote. Statufiée par cette démonstration affective inattendue, je n'arrive même pas à articuler une syllabe.
- Je suis désolé, tellement désolé... se lamenta-t-il. Je ne veux plus jamais que ce Zack t'approche, je ne veux plus jamais que tu le revoies.
A ses mots tremblants, je finis par lui rendre son étreinte.
- N'y retourne pas, s'il te plait... Reste ici, avec moi.
- Maël... Je ne sais pas.
Il m'éloigne de son torse, les mains toujours sur mes épaules. C'est là que je remarque ses yeux rouges de larmes et ses joues trempées, m'implorant silencieusement. A cette vue, mon coeur me serre douloureusement.
- Zack ne t'a fait que du mal, la preuve; ton oeil est changé à jamais par sa faute. Ici, tu pourras vivre heureuse, personne ne voudra s'en prendre à toi.
- Mais Marraine, Père...
- Marraine pourra venir, Evan me l'a assuré. Et Père... il n'y est pas autorisé, tout comme Zack. Mais... à propos de Père, commença Maël avant de baisser les yeux. J'ai entendu ce qu'il t'a dit, que tu n'étais pas sa fille.
Un soupire empli de toute la misère possible et imaginable lui échappe, laissant peser un lourd poids sur ses épaules
- Qu'est-ce que j'ai pu être naïf et idiot. C'est pour ça que maman ne voulait pas que tu te transformes, elle savait que tu n'étais pas sa fille. Un Lion et un Ours ne donnent pas une Panthère... Elle ne voulait pas que tu aies de problèmes. Qu'est-ce que j'ai pu être con ! s'exclama-t-il, mâchoire serrée.
- Maël... Maman n'aurait pas—
- Maman n'est plus là, et maman nous a caché plein de choses.
Je dévisage mon petit frère, offusquée par ses propos. Toutefois, il ne semble pas s'en accommoder et continue:
- J'aimais maman, mais maman ne nous a pas dit la vérité. Elle savait ce qu'il se passait réellement au Clan, elle l'avait compris depuis longtemps. Pourtant, elle ne nous en a jamais parlé, elle n'a jamais essayé de s'enfuir. Elle allait toujours voir Père, tout comme tu vas toujours voir Zack. Alors je t'en pris, ne finis pas comme maman. Change de Clan maintenant, et viens avec moi.
Je recule d'un pas, me libérant de l'emprise de Maël, complètement abasourdie par la manière dont il parle de maman. Maman était tout, et l'est toujours. Si nous sommes en vie c'est grâce à elle, justement car elle a réussi à nous apprendre les bonnes choses.
- Je ne suis pas d'accord. Maman a toujours bien fait.
- Non, elle a cru bien faire. Alors qu'elle voulait t'éviter de souffrir comme elle elle a souffert, maman a préféré taire la vérité. Mais regarde où ça nous mène aujourd'hui ? Tout nous retombe dessus d'un coup. Ecoute-moi, Eli... Je veux que tu t'en sortes, je ne veux plus qu'on te blesse, je ne veux plus que tu souffres, je ne veux plus que tu pleures. Je veux que tu sois heureuse et que tu puisses vivre ta vie librement. Tu n'en a jamais eu l'occasion, mais aujourd'hui, elle s'offre à toi. Alors, s'il te plait, accepte de rejoindre le Clan Saphir. Ce Clan... il s'est battu pour toi, pour ta liberté.
Je secoue la tête, reculant à nouveau.
- Je... Je suis désolée.
Puis d'un coup, je fais volte-face pour me précipiter dans la forêt.
- Eli !!
J'entends mon frère se lancer à ma poursuite, se transformant en un gros mammifère aux pas lourds mais puissants. A mon tour, mon corps s'exprime de lui-même, comme étriqué depuis bien trop longtemps, et toute ma morphologie se meut avec fluidité pour laisser place à mon animal totem. A chaque élancée, je me propulse plus loin. Bien plus légère et habile que les 150 kg de l'ursidé, je parviens à rapidement le distancer, jusqu'à ne plus l'entendre.
Je ralentis donc l'allure, et réalise que ce lieu m'est familier avec son cours d'eau. La berge sur laquelle je me suis échouée ! Je m'approche de cette dernière, haletante comme un boeuf, si bien que je n'entends presque pas les oiseaux chanter et les écureuils gratter. L'eau ramène une odeur de poisson et de mousse, mais je m'y penche tout de même pour laper sa surface. Le calme de la forêt m'apaise, et mon corps réagit à nouveau de lui-même, reprenant forme humaine. Encore peu habituée aux transformations, je m'effondre sur les graviers de la berge, manquant de m'étaler dans le cours d'eau. L'eau froide engourdit mes mains, alors je m'empresse de les enlever et me recule jusqu'à me retrouver le dos contre un tronc.
Je pousse un profond soupir, pressant ma tête contre l'écorce et contemplant les quelques nuages visibles à travers le feuillage.
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Sans Prétention
ÜbernatürlichesDepuis toute petite, Elisabeth n'a connu que le Clan Rubis, que leurs doctrines, que leurs coutumes, que leurs manières. Etaient-elles normales ? Etaient-elles justes ? Mais au fond, qu'est-ce qui est normal, qu'est-ce qui est juste ? Elisabeth ne s...