Chapitre 20: Un bec, des serres, des crocs, et des griffes

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Je réalise que je me suis assoupie lorsqu'un cri perçant me tire de mon sommeil léger. A l'affût, je relève la tête pour scruter l'horizon. Rien, pas même les petits Pumas. La panique me pousse à me relever, malgré que la douleur qui tente tout l'inverse. Un petit cri d'appel sort de ma bouche, mais aucune réponse. C'est avec un pas trainant que je m'avance à travers la forêt, les membres alourdis par les balles encore présentes dans ma chair, et essayant toujours d'appeler les enfants. S'il leur était arrivé quelque chose ?!

A nouveau le cri aigu retentit. Cette fois, je lève la tête vers les branches d'arbres, et mon sang ne fait qu'un tour lorsque j'aperçois un sublime Pygargue à Tête Blanche, perché sur une ramification, me scrutant de ses yeux perçants. Un Métamorphe. Je lui montre aussitôt les dents, imaginant déjà les pires scénarios. Et si ce volatile s'en était pris aux pauvres félins ? Non ! Je suis certaine que les Pumas se portent bien... une fois que je les aurais retrouvé.

Le rapace déploie ses impressionnantes ailes brunes, glapit une dernière fois de son bec jaune et recourbé, puis prend majestueusement son envol. Rapidement, sa tête blanche pourtant si distincte disparaît de ma vue.

Je reprends ma route d'un pas qui se veut rapide, je dis bien qui se veut, car avec mes blessures lancinantes on dirait surtout un canard boiteux. C'est alors que deux yeux d'un sombre brun me fixent depuis les fourrés. Je m'arrête net, sentant le danger arriver. Les feuilles s'agitent un instant dans la forêt devenue silencieuse, et un museau rose apparait d'entre le feuillage des épais buissons. Et ce genre de museau, il n'appartient pas à une gazelle si vous voulez mon avis... Je dois retrouver mon Clan, je dois retrouver mon petit frère, Marraine, Père, et Zack. Alors je dois survivre, et pour ça, je dois me battre pour ma vie.

 Dictée par mon instinct, je pousse un grognement sourd tout en montrant les crocs, les oreilles plaquées sur ma tête. Les fourrés s'agitent à nouveau, et ce qui était yeux et museau deviennent tête puis corps. Mais ce n'est pas pour me rassurer. Car le Métamorphe qui s'avance vers moi est loin d'être une gentille gazelle. Un dos de rouille, un ventre blanc, des rayures noires, de petites oreilles rondes tournées dans ma direction, une grosse tête aux poils débordants sur les bords, et d'imposantes pattes décorées de griffes toutes aussi impressionnantes que le reste du corps.

 Un dos de rouille, un ventre blanc, des rayures noires, de petites oreilles rondes tournées dans ma direction, une grosse tête aux poils débordants sur les bords, et d'imposantes pattes décorées de griffes toutes aussi impressionnantes que le res...

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Je m'aplatis un peu, les crocs bien visibles, les oreilles en arrière, puis je recule lentement. Les épaules du félin roulent lorsqu'il s'avance vers moi, avant qu'il ne s'arrête pour humer l'air. Je le fusille du regard, mais il ne semble pas impressionné pour un sou. C'est sûr qu'une Panthère des Neiges peut paraître bien petite à côté d'un immense Tigre du Bengal. Et c'est d'ailleurs l'effet que me fait ce félin. Je suis bien ridicule à côté de lui... Mais je ne dois pas abandonner ! Si je veux rentrer au Clan, je dois survivre, et pour survivre, je dois me battre.

Dans un rugissement qui se veut menaçant, je fais un pas vers l'immense félin. Il ne bronche pas et continue de me fixer avec une certaine curiosité. Je me ramasse, prête à lui bondir dessus, les crocs visibles et les oreilles plaquées. Un glapissement survient par-dessus mes grognements, et je relève la tête, intriguée. Je cherche dans le feuillage des arbres, jusqu'à de nouveau apercevoir le rapace. Elisabeth ! Jamais Zack n'aurait détourné son attention de l'adversaire ! Trop tard, lorsque je la reporte avec effroi sur Tigre du Bengal, il est déjà en position d'attaque, ses griffes acérées se réjouissant de se planter dans ma peau. C'est alors que j'aperçois du coin de l'oeil, une ombre piquer sur moi. J'ose légèrement tourner la tête et réalise que le Pygargue s'approche dangereusement, les serres prêtes à me lacérer. Dans la panique, je me tourne brusquement vers lui pour lui donner un coup de patte en feulant. Seulement, dans la panique on ne réfléchit jamais... L'oiseau, même pas touché car pas à la portée de mes griffes, bat puissamment ses ailes et reprend soudainement de l'altitude, non sans un nouveau glapissement.

Mes blessures se ravivent, et l'angoisse de finir en morceaux n'aide pas. Je recule d'un pas, montrant les crocs et poussant de sourds grognements. J'entends le rapace battre l'air au-dessus de ma tête, surement à tourner en rond, tandis que le félin continue de me fixer, prêt à bondir. Je tente de faire fuir ce dernier en m'élançant vers lui pour retomber sur mes pattes avant dans un grognement menaçant. Toutefois, le Tigre ne change pas d'attitude, au contraire, il s'avance vers moi tel un prédateur, le poitrail frôlant le sol. Mon coeur pulse méchamment sous l'effroi. Il n'y a pas qu'un seul moyen de survivre. Pour Zack, se battre était le plus évident, c'était dans ses cordes. Pour moi, ça ne l'est pas du tout. Et je dois survivre pour retrouver mon Clan, pour tous les retrouver. Alors je réunis mes forces et fais brusquement demi-tour afin de m'élancer à toute vitesse à travers la forêt. L'odeur de la sève et de l'humus se faufile dans mes narines, pendant que de puissantes pattes frappent le sol derrière moi et que des ailes battent l'air au-dessus de ma tête. Je tente d'accélérer, évitant tous les potentiels dangers: une racine sortie de terre, un rocher un peu trop glissant, un virage un peu trop serré, un trou recouvert de feuilles.

C'est alors que je m'encouble et m'écrase au sol, tête la première. J'essaie immédiatement de me relever, mais je retombe minablement sur le flanc, à bout de souffle, le coeur battant à la chamade, et mes blessures s'étant remises à saigner. Je vois le Pygargue à Tête Blanche se poser gracieusement sur une grosse branche d'arbre, m'étudiant avec la plus grande attention. A cet instant, il a plus l'air d'un vautour attendant la mort de son futur repas qu'un simple oiseau curieux. Le Tigre du Bengal s'approche avec des pas aériens, ne faisant presque pas bruire les feuilles. Je bats les pattes dans le vide, essayant de me relever. Toutefois, je ne fais que planter futilement mes griffes dans l'humus, à tel point que je dois donner l'impression d'être un poisson frétillant hors de l'eau. Je pousse un râle plaintif, chaque mouvement remuant les balles dans ma hanche, mon flanc, et mon épaule. Le Tigre s'arrête à un mètre de moi, la panique se répercute dans tout mon corps. Dire que je suis censée être un puissant prédateur... Non ! Je dois survivre pour retrouver mon Clan, retrouver petit frère, Marraine, Père, et Zack.

Je m'essouffle plus que nécessaire, une odeur ferreuse flotte dans l'air, et quelque chose de chaud imbibe ma fourrure. Mon corps me tiraille, essayant de reprendre forme humaine, mais ça m'est impossible, je n'y arrive pas. Surement l'effet des balles spéciales trappeurs...

Le Tigre rapproche son visage du mien, mais j'utilise mes quelques forces pour tenter de lui balancer mes crocs. Cependant, il se redresse au bon moment, et je laisse ma tête lourdement retomber au sol.

- Non, ne fais pas ça !

Je relève lentement ma tête vers cette voix enfantine, et aperçois les deux petits courir vers nous. Eloise, Max... En les voyant, je ne peux retenir mon faible gémissement de soulagement. Le petit garçon s'empresse d'attraper la grosse fourrure du Tigre, tandis que la petite fille se laisse retomber au niveau de mon cou. Je ne bouge pas, et me laisse faire par cette fillette, heureuse qu'il ne leur soit rien arrivé.

- Elle nous a sauvés des trappeurs, t'as pas le droit de lui faire du mal.

Eloise se tourne vers le félin et le défie de la contredire. Ce dernier pousse un soupir résigné, puis son corps se transforme harmonieusement pour enfin se redresser sur deux jambes. Je dévisage un instant cette forme humaine. Je ne pensais pas à lui, je ne pensais pas que je l'avais déjà rencontré.

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