L'endroit dans lequel me conduit mon petit frère est merveilleux, en fait, je n'ai jamais rien vu d'aussi magnifique. Au beau milieu de la forêt: une cascade de plusieurs mètres de hauteur. L'eau glisse sur de grosses pierres polies par le flux continu, et finit par chuter dans un lac paisible. Des branches penchent sur ce dernier, comme si elles tentaient d'en récupérer une poignée d'eau fraiche. Des oiseaux s'envolent du feuillage lorsque nous nous approchons de la rive, battant gracieusement des ailes pour rejoindre les cieux.
- Verdict ?
- C'est sublime, lui répondis-je, ébahie par la beauté du lieu.
- Je te l'avais bien dit.
Mon petit frère me donne un coup de coude, ce qui propage des fourmillements dans mes côtes et me tire une grimace. Mais Maël ne le remarque pas, déjà parti rejoindre les deux mecs de son âge. L'un est déjà à l'eau, tandis que l'autre enlève son t-shirt et ne tarde pas à rejoindre le premier. Maël les imite rapidement, le sourire aux lèvres. Une fois l'eau arrivée à sa taille, il se retourne vers moi.
- Tu veux venir, Eli ?
- J'ai assez donné pour l'instant, merci.
Mon petit frère hausse les épaules. C'est alors qu'un de ces amis lui envoie une giclée d'eau. Maël se retourne d'un coup pour tenter de noyer son agresseur. Avec un faible sourire flottant sur mes lèvres, je pars m'asseoir sur l'un des rochers qui constitue la cascade. J'observe distraitement les garçons chahuter dans l'eau, ça se noie, ça s'éclabousse, et ça fait la course. Ils tentent aussi d'escalader la chute d'eau, mais le courant les ramène toujours dans le lac en aval.
Je finis par appuyer ma tête contre la pierre et fermer les yeux. Père... qu'attend-il réellement de moi ? Et Zack... pourquoi tient-il autant à moi ? Tient-il vraiment à moi ? Moi je tiens à lui, il est notre Alpha. Mais lui... ? Il y a d'autres filles au village, pourquoi moi ? Et maman, que nous as-tu caché ? Pourquoi est-ce qu'aujourd'hui j'ai l'impression que tu ne nous as pas tout dit ? Il faut se protéger... mais de quoi ? Qui y'a-t-il à craindre ? Le Clan est sûr, l'Alpha nous protège. Non... il n'y a rien à craindre, nous sommes en sécurité.
Je suis sortie de mes pensées par le cri d'un ours. Je pose mon regard sur l'eau et vois mon frère sous sa forme d'animal totem donner un coup de patte à un gros Grizzli. Ce dernier grogne et tente de le mordre au cou. Mon frère l'évite, lorsqu'un Loup Gris lui saute dessus et le fait chuter dans l'eau. Le Grizzli se met alors à tourner autour de lui aussi vite que sa masse le lui permet, créant un puissant courant qui remue mon frère et le Loup dans tous les sens. Toutefois, lorsqu'un rugissement se répercute sur la cascade et que le silence s'impose, les trois Métamorphes s'arrêtent de se bagarrer pour contempler le haut de la cascade. Je contorsionne mon cou pour parvenir à regarder ce qui les intrigue, mais me fige en voyant de quoi il s'agit. Sur un gros rocher léché par l'eau, un Lion s'y dresse majestueusement, la crinière flottant au gré du vent. Un grognement remonte le long de sa gorge, et je jurerais sentir les pierres trembler. L'imposant félin descend nonchalamment l'empilement de rochers, un à un. Tout le monde le regarde, personne ne bouge. Lorsqu'il arrive à ma hauteur, il tourne autour de moi pour me caresser de sa crinière. Je ne bouge pas d'un poil, complètement figée. Je ne sais pas quoi faire. Passer ma main dans sa crinière ou rester immobile ? Toutefois, le Lion continue son chemin et descend jusqu'au pied de la cascade. Arrivé en bas, le félin se retourne vers moi et émet un petit son d'appel. Je pars donc le rejoindre pour me placer à ses côtés. Il donne un petit coup de museau sur mon flanc, ce qui me fait grimacer. S'en suit un lourd silence durant lequel les quatre Métamorphes ne se lâchent pas du regard. La tension règne, se répercutant sur chaque arbre, chaque rocher, chaque goutte d'eau. Puis pour une raison que j'ignore, l'Ours à Lunettes, le Grizzli, et Loup Gris s'enfuient dans la forêt. J'esquisse un mouvement de la main pour les rappeler, mais le Lion se place devant moi et me renverse sur le dos. Sous l'impact soudain, l'air s'échappe de mes poumons en même temps qu'un petit gémissement. Le Lion s'avance au-dessus de moi, ses grosses pattes de chaque côté de mes épaules, puis rapproche son museau de mon cou. Je reste pétrifiée lorsqu'il me renifle sans ménagement, et émet un grognement sourd.
- Za... Zack... bégayai-je avec crainte.
Puis soudain, il reprend forme humaine et me tombe dessus, ses mains plaquées sur mes épaules. Une douleur somnolente s'infiltre dans tout mon corps, m'arrachant une grimace. Je me tortille malgré moi, mais Zack pèse son poids.
- Transforme-toi, Elisabeth.
- Je...
- Ça ne sert plus à rien de te cacher. Alors transforme-toi.
Sur ces paroles tranchantes, Zack retrouve l'apparence de son animal totem et rugit férocement à quelques centimètres de mon visage. Mon corps, au début paralysé par la terreur, se met à trembler et je sens quelque chose couler sur ma joue. Pourquoi ai-je peur ? Je n'ai jamais eu peur avec lui auparavant. Pourquoi maintenant ? Sans m'y attendre, il lacère mon pull, ainsi que mon t-shirt. Toutefois, dans la précipitation, ses griffes coupent aussi superficiellement ma peau déjà douloureuse. Les larmes coulent et mon corps tremble.
D'un bond, le Lion se recule de moi, mais se met aussitôt à grogner. Je m'empresse de me redresser et reculer sur les fesses. Je n'ai pas peur, je suis terrifiée. Pourquoi ? Est-ce le silence qui règne dans la forêt ? Est-ce la lourde atmosphère qui comprime ma poitrine ? Ou est-ce les crocs de Zack ? Soudain, le Lion se précipite sur moi, toutes griffes dehors. Cette fois, mon corps parle pour moi et se transforme avec fluidité. Sans plus réfléchir, je me lève et pars dans la direction opposée. Cependant, je n'ai pas le temps de faire un pas qu'une lourde masse s'abat sur mon dos et me plaque au sol. Des crocs se plantent dans ma nuque et je hurle de douleur. Un liquide chaud dégouline le long de mon cou. Je suis statufiée, la pression n'est pas seulement psychologique, elle est devenue physique. De ses crocs enfoncés dans ma chair, il plaque ma tête au sol malgré mon râle douloureux. Qu'ai-je fait de mal ? Père a pourtant dit que Zack appréciait mon comportement, alors pourquoi ? Pourquoi toute cette souffrance ? Maman... qu'est-ce que tu ne nous disais pas ? Marraine... qu'est-ce que tu nous caches ?
Une patte s'abat sur mon crâne, enfonçant ma mâchoire dans l'humus. Son odeur est agréable, elle est fraiche. Ça sent aussi la mousse, mais pas que... la sève, le pin, le poisson, le musc, le cuir, le fer. Nous sommes en sécurité, ici, au Clan. Il n'y a rien à craindre, tout ira bien. Oui, c'est ce que Marraine dit toujours.
- Cette marque sur ton oeil, c'est la mienne, tonna la voix de Zack dans ma tête, ne l'oublie jamais, Elisabeth. Tu es à moi, tu m'appartiens. Et je te protégerai...
Ses crocs se retirent de ma nuque, mais je n'émets aucun son. Le Lion vient mordiller ma joue, mais je ne bouge pas. Dans la forêt, aucun bruit ne perce, sauf l'eau qui glisse sur les rochers avant de s'insinuer dans le lac. C'est une douce mélodie, il pourrait peut-être même s'agir d'une berceuse. Tous mes muscles se décontractent, il n'y a rien d'autre que le son de la cascade et l'odeur de l'humus. C'est apaisant, on s'y sent bien. Il faudra que je pense à remercier mon petit frère pour m'avoir fait découvrir ce sublime endroit. Dommage que maman ne soit pas là pour voir ça, je suis sûre qu'elle aurait aimé ce lieu sauvage.
C'est alors qu'une gigantesque masse brune surgit hors des fourrés et fonce vers nous à toute vitesse en poussant des crics bestiaux. Elle pile net devant moi, et le poids qui me plaque au sol s'évanouit. Je distingue enfin la silhouette brune: un immense Bison. Il est merveilleux. Deux belles cornes lui sortent de la tête et de sa sombre crinière, son museau souffle de l'écume, et son puissant sabot gratte le sol. Quel animal incroyable. Et... il sent la sauge. J'aime bien cette odeur. Si seulement mon petit frère pouvait voir ce splendide Bison.
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Sans Prétention
ParanormalDepuis toute petite, Elisabeth n'a connu que le Clan Rubis, que leurs doctrines, que leurs coutumes, que leurs manières. Etaient-elles normales ? Etaient-elles justes ? Mais au fond, qu'est-ce qui est normal, qu'est-ce qui est juste ? Elisabeth ne s...