- Non, Elisabeth, reviens là ! me cria maman.
Je courais à travers les grands arbres majestueux de l'immense forêt, notre maison, ma maison. C'était drôle, très drôle même, et je rigolais. Plus je rigolais plus ça me faisait rire. Ne croyez pas que je rigolais des pierres recouvertes de mousse, du tapis de feuilles, des hauteurs enneigées, ou encore des membres du clan. Non, je rigolais pour une seule et unique raison: j'étais allée pousser l'ourson dans la rivière. Il avait émis son petit grognement habituel et je m'étais enfuie, poursuive par l'ourson et maman. J'adorais quand nous courions tous les trois à travers le village, mon frère et moi nous amusions d'ailleurs beaucoup à jouer à cache-cache. Maman nous regardait toujours faire avec un sourire attendri, mais à chaque fois que nous nous rapprochions de l'imposante maison de Père, son expression changeait.
- Elisabeth, reviens ici !
Maman ne se fâchait jamais, ni contre mon frère ni contre moi. En fait, maman ne se fâchait jamais contre qui que ce soit. Personne ne se fâchait vraiment en réalité, les adultes étaient tous très sages. Père non plus ne se fâchait pas. J'aimais ma forêt, mon village, ma maison, ma maman, et mon frère. Maman ne parlait pas souvent de Père, je ne voyais pas souvent Père, et Père restait chez lui. Mais... J'aimais Père, tout le monde aimait Père.
Brusquement, je me suis heurtée à quelqu'un. Quand j'ai relevé la tête, j'ai souri de tout mon coeur. J'ai fait un gros câlin à Père. Père ne faisait pas beaucoup de câlins, même très peu, mais... je voulais lui montrer à quel point ils étaient bien. J'adorais les câlins, maman nous en faisant à chaque fois qu'on venait la voir avec mon frère.
- Vous êtes là, Père ! m'exclamai-je
- Jeff, je suis désolée... Elisabeth m'a encore échappé.
J'ai levé les yeux sur Père, et il me regardait. J'aimais quand Père me regardait, il ne le faisait pas souvent, alors j'aimais ça. Père pouvait faire peur à beaucoup de monde, il faisait d'ailleurs reculer tous les intrus. Mais j'aimais Père, et ce n'est pas son allure de trappeur ou la cicatrice qui entaille son sourcil et son oeil qui vont me faire penser le contraire. J'aimais Père et les cheveux rouille qu'il m'a transmis.
Il a reporté son attention sur maman, vissant son regard bleu au sien. Maman n'a pas bougé, et m'a tendu la main. J'aimais Père, et j'aimais maman. Je ne voulais briser le coeur de personne... Mais lorsque Père ma décollé de lui, il a choisi pour moi, et je suis allée faire un câlin à maman.
- Tu viendras me voir une fois que les enfants seront rentrés, Yasmine, dit Père avec sérieux.
Maman n'a rien répondu à Père et m'a ramené à la maison. En quelques secondes, maman avait transgressé presque toutes les règles: il faut répondre quand on s'adresse à nous, et il ne faut pas partir sans qu'on nous le demande. Maman avait été « malpolie ». En fait, tout le monde l'était avec Père. Personne ne lui répondait jamais, et tout le monde partait silencieusement. Mais j'aimais Père, je ne voulais pas qu'il se sente mal de tous ces gens « malpolis », alors je lui faisais des câlins. Maman m'a toujours dit que les câlins étaient une bonne chose, une chose gentille, j'étais gentille.
Dans notre maison faite de bois et de pierre, j'ai retrouvé mon frère qui m'attendait devant la télé. Dès qu'il m'a vu, il m'a sauté dessus. Maman a souri, puis est partie faire à manger.
- J'étais trempé à cause de toi !
Je rigolais, j'aimais mon petit frère. Je ne rigolais pas de lui, je rigolais de l'avoir poussé dans la rivière. Puis il est devenu un ourson à lunettes et a pesé de tout son poids sur moi. Je rigolais, j'aimais mon petit frère. Mon corps a changé pour devenir fort, j'ai entendu le feu de cheminée, j'ai entendu le vent se lever, j'ai entendu maman préparer à manger, j'ai senti l'ourson, j'ai senti les lasagnes que maman préparait, et j'étais forte, bien plus forte que dans mon corps sans poils. De mes petites pattes blanches et touffues, j'ai repoussé mon frère. Nous nous sommes chamaillés dans toute la maison, on a grimpé sur le canapé, sauté de l'escalier, couru jusque dans la cuisine. Maman est venue, elle nous a souri. J'aimais maman.
- A table, mes trésors.
Mon petit frère et moi avons relevé la tête, et avons couru sur nos deux jambes jusqu'à la grande table. Je me suis hissée sur ma chaise pendant que maman nous servait de merveilleuses lasagnes. Elle souriait, maman souriait toujours quand elle nous regardait.
- Soyez sage, d'accord. Je n'en ai pas pour longtemps.
- Tu vas où ? dit mon petit frère entre deux bouchées. On peut venir ?
- Je suis désolée, Maël, mais il faut que toi et ta soeur restez ici.
- Pourquoi ? demande-t-il.
- Parce qu'il est tard pour des aventuriers comme vous, répondit maman en souriant. Je n'en ai pas pour longtemps. Et Elisabeth, n'oublies pas, tu ne dois pas te transformer en public.
Ne pas me transformer en publique était encore une règle imposée par maman, mais celle-là, je ne la comprenais pas. Mon frère, lui, avait le droit... Mais j'aimais maman, alors je ne me transformais pas en public.
- Bon appétit, mes trésors.
Maman nous a tous les deux embrassés, puis a quitté la maison. Souvent, nous entendions les femmes de notre village se plaindre de leurs enfants qui jouaient avec la nourriture. On aimait maman, alors on mangeait sagement.
Après avoir dîné, mon frère m'a emmené voir la suite de son film avec lui. C'était un film étrange. Ça parlait d'une fille qui rapetissait et grandissait en mangeant des gâteaux, d'une chenille qui fumait, des fleurs qui chantaient, d'un lapin blanc toujours en retard, d'une reine qui peignait ses roses en rouge, et d'un monsieur qui prenaient tout le temps le thé avec un lapin. Ce film était vraiment bizarre... En fait, c'est surtout le chat violet qui me faisait peur, il souriait bizarrement. Quand maman souriait j'avais chaud au coeur, mais ce chat me donnait des frissons.
Puis la porte d'entrée s'est ouverte. Mon frère et moi nous sommes précipités vers elle en rigolant. C'était maman, elle ne souriait pas.
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Sans Prétention
ParanormalDepuis toute petite, Elisabeth n'a connu que le Clan Rubis, que leurs doctrines, que leurs coutumes, que leurs manières. Etaient-elles normales ? Etaient-elles justes ? Mais au fond, qu'est-ce qui est normal, qu'est-ce qui est juste ? Elisabeth ne s...