Juste fait pour moi

Chapitre 9

Elle ne fit pas de cas des commentaires de ses deux assistants sur les nouveaux venus. Elle se garda bien de dire qu'elle les avait déjà vus et qu'elle avait partagé une suite avec eux dans les Caraïbes quelques semaines plus tôt. Pas la peine d'alimenter les ragots. Elle resta bien dans son rôle et dirigea son équipe comme elle en avait pris l'habitude.

- Maggy, as-tu terminé les impressions pour la présentation de tout à l'heure ?

- Oui, j'ai rajouté deux exemplaires à la demande du chef.

Elle fronça des sourcils ne comprenant pas pourquoi. Son assistante ne lui en dit pas davantage, étant elle-même dans l'ignorance. Elle eut sa réponse au moment de la réunion. Non seulement le client et son chef se trouvaient là, mais Bly et son assistant s'étaient eux aussi invités à l'événement. Elle ne fit pas de cas, masquant sa surprise sous des traits stoïques, nouveau masque qu'elle avait adopté depuis le coup fourré de Brett le connard, comme l'appelait Mika. Elle mena sa présentation comme prévu, faisant signe à ses assistants lorsqu'ils devaient faire circuler des documents. Bly ne la quittait pas des yeux, elle évitait de regarder de son côté et se concentrait sur le client qui était clairement sous le charme. Elle se détendit un peu lorsqu'il approuva ses idées et lui posa quelques questions. Alors qu'elle pensait en avoir fini, Bly intervint :

- Qu'avez-vous prévu pour le web ? Même si la campagne est prévue pour la presse, il serait judicieux de prévoir une adaptation numérique.

- Oui c'est vrai ! Qu'avez-vous prévu Emilia ? ajouta son chef qui était ravi d'enfoncer le clou.

Le client voulut intervenir expliquant que ce n'était pas dans ses projets et qu'il n'en avait pas fait la demande. Emilia leva la main pour l'interrompre.

- Toutes les infographies et les affiches sont conçues en collaboration avec un designer et un web designer. Tout est transposable. Cette affiche par exemple est animée à l'origine.

Mika envoya le document sur le vidéoprojecteur. La proposition charma le client qui s'exclama que c'était vraiment pas mal et qu'il allait revoir sa décision. Bly sourit, le chef le félicita d'un hochement de tête. Encore une fois, c'est un autre qui recevait les félicitations pour SON travail. Elle s'efforça de sourire encore un peu avant de saluer le client et de partir en furie. Elle monta sur le toit et cria de toutes ses forces. Cela n'allait donc jamais finir ?

Pour fêter son arrivée, la direction avait organisé une soirée dans le restaurant de l'autre côté de la rue. Il y avait assez d'espace pour dîner mais aussi pour danser. Le patron leur privatisait en général les lieux afin qu'ils soient à l'aise. Alors qu'il était temps d'y aller, Emilia trainait au bureau, trouvant toujours une nouvelle chose à faire :

- Allez-y ! Je vous rejoindrais plus tard.

- Cheffe, ne trainez pas ! Il ne va plus rien rester au buffet.

Les deux assistants guidèrent les trois nouveaux vers la sortie tout en vantant la cuisine du "Bistrot de Tonton". Emilia se replongea dans son dossier. Elle avait entrepris un gros chantier de prospection pour apporter de nouveaux contrats à l'entreprise, comme si les projets qu'ils devaient déjà traiter n'étaient pas suffisants. Elle avait besoin de remplir sa vie et rien de tel que le travail. Cela faisait une heure déjà qu'elle planchait sur ses listings lorsqu'une voix la fit sursauter.

- Vous ne comptez pas venir ?

- Bon sang ! Blake ! Vous m'avez fait une peur bleue !

Il ricana et s'approcha :

- Au moins vous n'avez pas oublié mon prénom ! Mon petit cœur a été blessé lorsque vous ne m'avez pas salué un peu plus tôt.

Il joua la diva en posant une main sur son cœur et feignant une douleur insoutenable. Emilia rit de son cinéma. Il lui sourit avec sincérité et réitéra sa question :

- Vous venez ? Il m'a envoyé car il s'impatiente.

- Qui ça ? Le chef ? Ce serait bien la première fois qu'il s'inquiète que je sois quelque part.

Il s'approcha d'elle et la fixa de ses prunelles d'acier. Il était vraiment beau, avec beaucoup de charme. Il se pencha vers elle et ajouta :

- Qui ne s'inquièterait pas de vous savoir seule ici à travailler au lieu de profiter avec les autres ?

Elle recula, mal à l'aise qu'il soit entré dans sa bulle. Il soutint cependant son regard, un petit sourire en coin. Cet homme était vraiment énigmatique.

- Dois-je vous kidnapper pour que vous veniez ?

- Vous ne me laisserez pas tranquille ?

- Non. On ne laisse pas Bébé dans un coin.

Elle sourit malgré à la référence cinématographique, puis souffla agacée et en même temps flattée que l'on songe à elle. Elle enregistra son document, ferma la session et ramassa ses affaires. Il lui prit sa veste qui se trouvait près de l'entrée et tel un gentleman, l'aida à s'en vêtir. Elle le suivit sans rien dire, il lui tint les portes et la guida jusqu'au restaurant. Il restait encore pas mal de monde. Elle observa ses collègues qui bavardaient par petit groupe. Les nouveaux s'étaient déjà mélangés aux autres, s'intégrant très bien dans le paysage.

Le seul qui paraissait distant était Bly. Il semblait absent, écoutant d'une oreille distraite ce que l'on racontait autour de lui. Comme s'il avait senti sa présence, il tourna la tête vers elle et capta son regard. Elle n'arrivait pas à savoir ce qu'il voulait lui dire. Ils étaient concurrents directs dorénavant. Il ne trouverait aucun secours auprès d'elle. Blake fut alpagué par une troupe de secrétaires et la laissa là au milieu de l'entrée. La chaleur étouffante la ramena au moment présent et elle quitta sa veste pour la déposer au vestiaire. Elle se dirigea ensuite vers le bar et commanda un cocktail. Elle en avait besoin pour affronter cette soirée bruyante. Alors qu'elle allait se retourner avec son verre rouge cerise, elle buta contre un torse d'homme bien trop près. Elle renversa une partie de sa boisson sur elle et sur la chemise de l'homme. Il râla, elle aussi. Son chemisier était fichu, le sucre et la couleur ne faisait pas bon ménage sur la soie blanche.

- C'est une manie chez vous de renverser vos boissons !

Le ton était à la fois amusé et querelleur.

- Et vous avez le chic pour toujours vous trouver sur ma trajectoire !

Elle leva la tête et se perdit de nouveau dans l'intensité de ses prunelles. La pénombre n'enlevait rien de l'éclat de ses yeux. Il lâcha le premier le regard pour observer les dégâts sur la chemise de la jeune femme. Son visage sembla s'assombrir et se fermer à mesure qu'il découvrait l'ampleur de la situation : le liquide avait rendu transparent le fin tissu blanc dévoilant la lingerie délicate qui se trouvait dessous. Il ôta sa veste et voulut l'en couvrir :

- Vous avez raison, je devrais garder mes distances. Tenez, couvrez-vous avec ceci.

- Ce n'est pas nécessaire, je vous remercie, je vais reprendre ma veste et rentrer. Il y a eu assez d'incident pour aujourd'hui.

- Mais, vous venez à peine d'arriver Emilia !

- Bonne soirée Bly.

Elle but le restant de son verre, reprit sa veste et sortit dans la nuit tiède. Un vent frais plaqua le tissu humide sur sa poitrine la faisant frissonner. Finalement, elle avait eu ce qu'elle voulait, elle avait pu échapper à cette soirée sans paraître malpolie. Ce n'était pas sa faute si son verre s'était renversé sur ses vêtements. Elle marcha d'un pas rapide jusqu'à sa voiture et quitta son emplacement. Elle ne vit pas la silhouette à la chemise parfumée à la cerise qui l'observait à la sortie du restaurant.