Chapitre 19

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Dao ne traîna pas trop ce matin-là après le départ de sa compagne. Il se leva et s'habilla, de manière un peu plus formelle que selon l'habitude qu'il avait prise ces derniers temps à Lochkov. Il sortit de sa chambre, salua ses gardes et, d'un pas assuré, se dirigea vers la salle de réunion principale du palais. Il savait que c'était là qu'il trouverait les dirigeants principaux et leurs assistants, s'il n'y avait pas de grande assemblée prévue. Il commençait à connaître le chemin et, en avançant, essaya de se mettre en condition pour aller rencontrer les représentants les plus importants des élites locales. Avançant à grandes enjambées, il regardait ses gardes du coin de l'oeil, qui avançaient en l'entourant. Ils étaient impressionnants, intimidants. Il était fier d'eux.

Chemin faisant, il se redressa et se laissa imprégna par la puissance de son statut. Il n'avait jamais vraiment embrassé le prestige qui venait avec sa fonction, ayant toujours été humble et concentré sur sa foi principalement. Ça n'était pas dans sa personnalité de se mettre en avant ainsi. Mais tout le convoi se retrouvait pris dans une situation extrêmement complexe. Bien sûr, il pouvait laisser le soin à Ladinia et aux autres de gérer tous les aspects politiques, mais il commençait à ressentir le besoin d'avoir lui-même un pied dans ce qui se passait, afin de pouvoir comprendre et réagir en cas de problème. Il sourit intérieurement en décelant l'influence de sa compagne sur ce point. En tous les cas, s'il devait interagir avec les élites lochkovites, et si elles étaient aussi corrompues et hypocrites que ce qu'on lui avait dit, Dao se devait de se comporter selon son statut afin de pouvoir gagner le respect et la confiance de ces gens.

Arrivé devant la porte de la salle de réunion, il se planta devant les gardes et les regarda d'un air impérieux, tout en essayant de conserver une attitude avenante. Il ne s'agissait pas de les prendre de haut, Sandre lui avait expliqué que ça pouvait coûter très cher en cas de problème. Les gardes comprirent à qui ils avaient affaire, s'inclinèrent brièvement et l'un d'eux entra rapidement dans la salle pour prévenir leurs occupants. Le jeune elfe se tenait bien droit et s'auto-congratula intérieurement : la dernière fois qu'il était venu, il avait dû se présenter, avait bafouillé piteusement et les gardes l'avait fait mariner un bon moment. Mais là, la dynamique avait changé et, moins d'une minute plus tard, la lourde porte s'ouvrit et le garde lui fit respectueusement signe d'entrer.

A l'intérieur, une poignée de nobles marchands aux tenues raffinées et luxueuses, l'air fatigué, entourés par des domestiques et assistants affairés, encore plus fatigués. Tout le monde se trouvait autour d'une table comportant une maquette de la région recouverte de petits pions mobiles. Dao fut accueilli avec respect et de nombreux sourires. Il fut chaleureusement invité à se joindre au groupe et un rafraîchissement lui fut proposé. Le jeune elfe accepta poliment et les pria de ne pas faire attention à lui. Il s'installa près des nobles et écouta la conversation en affectant un air émerveillé devant la qualité de la maquette, ce qui ne fut pas difficile car elle était en effet magnifique. Sachant que Rhya avait de l'intérêt et de solides compétences en matière de stratégie et tactique, il se décala un peu afin qu'elle puisse regarder discrètement par-dessus son épaule.

Les nobles étaient en train de passer en revue l'avancement des différents préparatifs pour la défense de la ville. La construction des défenses, les informations remontées par les éclaireurs, l'état du ravitaillement, la coordination entre les différents corps d'armée, la situation dans les rues et dans les campagnes. Ils parlaient des affrontements dans les quartiers pauvres, des morts, des malades. L'arrivée et l'hébergement des gens des campagnes, des armées de Sheinwood et Wenlock. Des estimations sur l'arrivée de l'armée de renfort de Pridoli, mais surtout de celles d'Aravalli et Terregrise, qui était imminente, d'un jour à l'autre. Ils parlaient de tout ça, ils en parlaient devant Dao. Contrairement à ce qu'avait dit Sandre, ils ne cherchaient pas à lui cacher quoi que ce soit ou faire mine de l'ignorer. Mais des choses les plus terribles, ils ne parlaient qu'avec un grand détachement. Et ils ne mentionnaient jamais de chiffres. Ils parlaient des morts et des risques avec comme de quelque chose d'abstrait. Ce qui était d'une certaine manière compréhensible, ils n'en n'avaient rien vu directement après tout. Sandre avait ce type de comportement en horreur, mais Dao comprenait, lui-même étant dans une situation semblable : au-delà de ses principes, il ne se sentait pas particulièrement affecté par ces morts.

T3 - L'Incarnat (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant