Chapitre 22

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La voyageuse était dans un état de rage incontrôlable. Elle était en train de tout détruire dans la chambre qu'elle partageait avec Dao. Ce dernier était assis sur le lit, à la regarder d'un air inquiet. Il tressaillait légèrement à chaque bruit d'impact que Sandre produisait en lançant, cassant ou frappant les différents objets et meubles lui passant sous la main. Elle n'y avait jamais fait attention, mais il y avait vraiment beaucoup de poteries dans cette chambre.

Pendant cette rencontre avec Ioni, elle était parvenue à garder un calme relatif alors que Dao avait perdu tous ses moyens. Elle avait réussi à ne pas se battre contre Kimmer, et surtout à ne pas insulter ou attaquer la générale qui proférait des menaces intolérables. Elle s'était contrôlée, par volonté, mais surtout par peur. Cette elfe l'avait terrifiée, et ça la mettait dans une rage folle. Sandre avait rencontré toutes sortes de combattants, soldats et brutes diverses au cours de sa vie, mais n'avait jamais eu vraiment peur. Cependant Ioni avait quelque chose en plus. Elle suintait le genre de violence que l'on peut administrer sans un battement de cil, mais elle avait aussi ce regard fou qu'ont ceux qui sont obsédés par quelque chose et qui sont prêts à tout, absolument tout. Sans aucune mesure ni regard pour quoi que ce soit d'autre. Et qui sont en paix avec ça, parfaitement calmes. La générale combinait tous ces éléments, ce qui la rendait terrifiante. Sandre avait cru chacune de ses menaces, et elle enrageait de ne pas l'avoir poussée à en dire plus, de ne pas avoir pensé à poser les bonnes questions, de s'être laissée impressionner comme ça. Et à cause de cela ils se retrouvaient sans savoir vraiment ce qui les attendait.

Dès qu'ils étaient sortis de la tente, pendant le chemin du retour, la voyageuse s'était murée dans le silence et s'était mise à progressivement trembler, passant en revue l'échange qu'ils venaient d'avoir, bouillonnant de colère devant sa propre faiblesse et son absence de réactivité, jusqu'à exploser au moment d'arriver enfin jusqu'à la chambre.

Dao au contraire avait petit à petit retrouvé ses esprits après avoir été totalement figé par la panique pendant l'entretien. Il était sous le choc, mais il avait pu raconter à son escorte la teneur de l'échange qui avait pris place. Sandre n'avait pas vraiment écouté leur conversation, mais apparemment ils se préparaient au pire, et réfléchissaient à comment y faire face.
Et finalement, ce qui enrageait le plus Sandre : elle voulait que Dao accepte l'offre de Ioni, mais elle savait qu'il ne le ferait pas. Sa colère n'était qu'un moyen de masquer la peur sourde qui lui broyait les tripes, la peur de le perdre.

Lorsqu'il n'y eut plus rien à casser, que tout était bien réduit en pièces, la voyageuse s'arrêta, à bout de souffle, fixant un point dans le vide. Puis son amant se leva et vint la serrer doucement contre lui. Elle enroula ses bras autour de son corps chaud, ferma les yeux et respira son odeur, se calmant progressivement.

Aucun des deux ne se montra plus entreprenant physiquement. Ils savaient tous les deux qu'ils devaient avoir une conversation sur ce qui s'était passé avec la générale. Sandre profita encore un peu de l'étreinte de son amant pour rassembler ses esprits et se préparer à un nouveau moment pénible. Puis elle se défit doucement des bras de Dao, releva deux chaises, les installa près de la fenêtre et s'assit.

- Est-ce que tu vas accepter son offre ?

Le jeune elfe ne répondit pas tout de suite. Il ne vint pas s'asseoir près de Sandre et au lieu de cela commença à ranger le désordre, machinalement. Il avait l'air préoccupé. La voyageuse lui laissa prendre son temps. Elle savait déjà ce qu'il allait répondre. Il finit par s'arrêter et lever des yeux tristes vers elle.

- Sandre, vous savez bien que je ne peux pas.
- S'il te plaît, réfléchis-y. Pour moi.

Il eut un sourire désolé, ses yeux commençaient à s'embuer de larmes. Il ramassa quelques objets brisés au sol. Il se mit à hocher la tête négativement d'un petit mouvement nerveux.

- Je... je ne peux vraiment pas... je suis désolé.
- Mais pourquoi ?

La voyageuse savait qu'elle devait respecter la décision de son amant, mais elle n'allait pas lâcher l'affaire si facilement. Il y avait trop de choses en jeu. Le jeune elfe s'assit par terre, les objets brisés toujours dans les mains. Il les considérait comme si c'était la chose la plus triste qu'il ait jamais vue.

- Sandre... je sers Gham depuis que je suis enfant. C'est toute ma vie.

Il lui jeta brièvement un coup d'oeil, il avait l'air tellement malheureux.

- Je ne peux pas... je ne peux pas tourner le dos à toute ma vie comme ça. C'est ce que je suis.

Il s'arrêta un moment, ramassant encore quelques débris, qu'il tenait dans ses bras. Il avait les yeux baissés.

- Je sais que ce n'est pas la partie de moi que vous aimez le plus. Je sais que même si vous avez choisi de me garder près de vous malgré ça, vous m'aimeriez plus si je n'avais pas Gham dans ma vie.

Sandre fut bouleversée par ces mots. D'un bond elle se leva et vint s'asseoir près de son amant. Elle le serra très fort contre elle. Elle était triste qu'il voit les choses ainsi la concernant, et elle était encore plus triste de se rendre compte qu'il n'avait pas complètement tort. Dao continuait à rassembler dans ses bras des débris des nombreuses poteries éclatées sur le sol. La voyageuse entendit un reniflement discret et se redressa pour regarder le visage du jeune elfe, toujours baissé sur ses débris. Des larmes coulaient sur ses joues. Cette vision lui brisa le coeur. Elle voulut dire quelque chose mais il fut plus rapide.

- Je vous en supplie, ne me demandez pas ça.

Sa voix se brisa et il éclata en sanglots. Sandre se sentit légèrement paniquée. Elle était peut-être allée un peu loin. Elle réalisa qu'elle n'aimait vraiment pas le voir pleurer et qu'elle voulait tout faire pour qu'il arrête.

- Oh non Dao, bon sang, te mets pas dans un état pareil, je... je voulais juste savoir...

Elle se mit elle aussi à ramasser des débris autours d'eux et les mettre dans les bras du jeune elfe.

- Je voulais pas... je sais que c'est important pour toi. Cette décision t'appartient. Je la respecterai. Et je t'aimerai tout autant quoi que tu fasses.

Dao continuait à ranger en pleurant. Sandre l'aidait lorsqu'elle fut soudain frappée par l'absurdité de la situation. Elle laissa tomber ce qu'elle avait en main et alla chercher le visage de son amant pour le tourner dans sa direction.

- Arrête de ranger, on s'en fiche. Je t'aime, d'accord ? Je suis là, on va faire face à ça ensemble.

A ces mots, un sourire éclaira le visage baigné de larmes du jeune elfe. Elle l'attira contre elle et le serra fort en le couvrant de baisers. Elle alla chercher ses mains pour qu'il lâche les débris qu'il portait.

- Fiche la paix à mon désordre. T'es en train de ruiner l'effet dans la pièce.

Il eut un petit éclat de rire. Elle l'imita. Ils rirent de bon coeur pendant un moment, puis elle le releva et ils s'embrassèrent passionnément avant de se diriger vers le lit, qui était la seule zone restée intacte dans la chambre.

T3 - L'Incarnat (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant