Sandre se remettait très vite et commençait à connaître tous les recoins du palais, la plupart du personnel qui y travaillait et même les riches représentants des élites qui venaient prendre les décisions concernant la ville. Dans cette dernière catégorie, elle ne connaissait les gens que de vue, à quelques exceptions près. La voyageuse n'avait jamais été très à l'aise en présence des nobles, des riches, des religieux. Même lors de ses précédents voyages, elle avait peu eu l'occasion de rencontrer des gens de pouvoir, et l'expérience s'était toujours avérée plutôt gênante. Ces gens-là parlaient beaucoup pour dire peu. Elle les laissait à Aeron, qui maîtrisait parfaitement ce registre.
Ce dernier retrouvait d'ailleurs Sandre presque tous les jours pour lui amener les dernières nouvelles et passer un peu de temps avec elle. Il était en contact avec tout le convoi ainsi que les gens importants à Lochkov. Elle lui avait montré le petit jardin aux citronniers et c'était devenu leur nouveau point de rendez-vous, avec Aeron comme avec les quelques autres qui venaient la visiter. Sandre avait fini par comprendre que Dao n'aimait vraiment pas le Laurussi, mais elle s'en fichait. Le voyageur était très important pour elle, et elle fit comprendre à son amant qu'ils continueraient à se fréquenter, qu'il soit d'accord ou non. De son côté Aeron semblait plutôt amusé par la situation. Il avait l'habitude de susciter de la jalousie et ne s'en formalisait pas, d'autant plus que Dao n'avait rien fait de grave à son encontre.
Aeron était logé dans un palais privé à proximité, avec les autres Laurussis, Damara et Kibaran, ainsi que les Timans. Le palais appartenait à une très ancienne famille de nobles dont les seigneurs étaient des commerçants spécialisés dans les marchandises exotiques. Ils étaient absolument ravis d'avoir les représentants des peuples les plus pittoresques chez eux. Ainsi, malgré quelques maladresses liées au fait qu'ils traitaient parfois leurs hôtes comme des curiosités, l'accueil était royal.
Dès que Sandre se sentit prête, ils commencèrent à organiser des sorties en ville. En petits groupes discrets pour ne pas attirer les problèmes. Il y avait en général Aeron et, selon les jours, les différentes personnes dont ils s'étaient rapprochés durant le voyage, qu'ils soient tithoniens, timans ou même olénéquis. Dans un premier temps, la voyageuse voulait satisfaire sa curiosité, mais le besoin de connaître le terrain était très important pour elle également. Elle ne fut hélas pas très surprise par ce qu'elle découvrit. Saleté, misère, colère, à des degrés divers selon les quartiers. Ils n'eurent pas vraiment de problème avec la population, car ils n'étaient pas accompagnés de miliciens, mais de Ludford, un cousin de la cheffe cuisinière du palais avec qui Sandre avait fraternisé. Il connaissait la ville comme sa poche, et était en bons termes avec la plupart des habitants des quartiers les plus pauvres.
La voyageuse eut ainsi l'occasion d'acquérir une connaissance correcte de la ville et de faire de belles rencontres parmi ses habitants. En bonne Laurussie, Sandre n'aimait pas trop les villes. Bien sûr, il y avait de la beauté et du confort. Des bâtiments, des places, des sculptures, des fontaines ! Tout ça était d'une beauté à couper le souffle, surtout pour qui n'était pas habitué à des environnements construits. Certaines villes pouvaient être plus grandes ou plus belles que d'autres, chacune avait sa personnalité, mais la beauté était toujours au rendez-vous. Et le confort. Un toit sur la tête, un matelas doux, de la chaleur, de l'eau, de la nourriture à portée, des tas d'objets. Bien sûr que les villes avaient de quoi séduire. De nombreux Laurussis d'ailleurs qui partaient en voyage ne revenaient jamais, souvent après avoir goûté à la vie sédentaire. Pourant la facette sombre était non négligeable : dépendance et inégalités. Il y avait toujours des gens qui avaient tout et décidaient de tout avec, au bas de l'échelle, tous les autres, souvent nombreux, dont la qualité de vie ne dépendait que du bon vouloir de ceux qui étaient tout en haut. Ceux qui étaient intelligents traitaient bien le peuple, mais il suffisait d'une crise, et la vie des plus nombreux pouvait dégringoler, sans qu'ils ne puissent rien faire.
C'était exactement ce qui était en train de se passer à Lochkov. Dans les rues, les gens avaient faim, tombaient malades, perdaient tout. Certains se battaient entre eux, la plupart organisaient la solidarité pour survivre, mais tous étaient à terre à cause des décisions des élites et des tensions avec Aravalli. Et aucun d'entre eux n'avait le moindre pouvoir ni le moindre intérêt dans ce qui se passait. Mais de plus en plus de gens s'énervaient contre leurs dirigeants. Certains groupes étaient plutôt bien organisés et même correctement armés. La plupart cherchait à se battre contre les élites lochkovites, mais quelques groupes essayaient de créer un mouvement pour aller affronter les Aravallis. En tous les cas face à ces groupes armés, les élites envoyaient les milices, et alors à la misère s'ajoutait la violence.
Lorsqu'elle réfléchissait à ce genre de choses, Sandre s'énervait, et comme d'habitude Aeron lui expliquait que c'était un peu plus compliqué que ça. Et bien sûr, il avait raison, mais ça l'énervait quand même.
A mesure que la voyageuse récupérait de ses blessures, le temps passait, et toujours pas de seigneur de Tornquist à l'horizon. D'après les informations disponibles, le chemin était tout de même long et le seigneur, enfin le chevalier, faisait attention sur la route. Il avait choisi l'option de la petite escorte discrète, ce qui nécessitait beaucoup de prudence, surtout au vu des mouvements de troupes récents dans la région. D'où les informations limitées. Tout le monde se faisait du souci et commençait à échafauder des plans pour le cas où le chevalier n'arriverait jamais.
Concernant le contentieux avec Aravalli, les élites lochkovites avaient fini par consentir, la mort dans l'âme, à mettre la main à la bourse. Ainsi, d'imposants acomptes avaient été versés, même s'ils ne couvraient pas l'entièreté de la dette. Les armées restaient ainsi stationnées aux frontières, mais avaient cessé leur campagne d'intimidation. Les élites étaient également revenues un tout petit peu en arrière sur le durcissement imposé aux habitants. La plupart des gens s'étaient ainsi calmés et les affrontements disparurent, même si la grogne était toujours présente. En effet, même si une très légère amélioration avait été annoncée en grandes pompes pour prouver que les élites étaient à l'écoute, les conditions de vie réelles étaient encore très loin d'être remontées à un niveau satisfaisant.
Avec ses expéditions de reconnaissance en ville, Sandre commençait à passer beaucoup de temps hors de la chambre qu'elle partageait avec son amant. Ce dernier n'en prenait pas ombrage, il se consacrait de son côté de plus en plus à ses pratiques religieuses, à l'approche du rite qu'il devrait effectuer lorsque le chevalier serait enfin arrivé. Il devait être prêt. Dao avait entrepris de lui parler un peu de son dieu et lui raconter son histoire, afin d'expliquer pourquoi il était aussi horrible. La voyageuse devait bien avouer que ça avait du sens, et que c'était même plutôt pertinent à l'échelle de leur nation. Ça restait horrible, mais elle commençait à comprendre comment tout ça fonctionnait. L'important pour elle était surtout de ne plus revoir ce dieu, ni sentir sa présence. Il faudrait à tout prix qu'elle évite d'assister à la cérémonie avec le chevalier.
En dehors de ça, les prières et méditations qu'il faisait ne l'intéressaient pas particulièrement, mais elle aimait bien le regarder s'entraîner. Il disait que c'était des mouvements de combat sacrés. Dans le culte de ce dieu de la mort, les prêtres devaient savoir se battre, se battre était un peu comme prier, rendre hommage. Alors Dao s'entraînait, et c'était magnifique à regarder. Elle avait pu brièvement entrapercevoir ses talents en situation lors de leur traversée des Laurussia, mais ça avait été plutôt rapide, et le feu de l'action n'avait pas vraiment laissé à Sandre la possibilité d'observer tout ça avec attention. Mais là, dès qu'elle en avait l'occasion, elle s'installait confortablement dans le lit et dévorait des yeux son compagnon exécutant les mouvements mortels qu'il maîtrisait à la perfection. La beauté du geste se combinant à la beauté de son corps souple et généralement peu vêtu offrait un spectacle dont Sandre ne se lassait pas.
Même si elle commençait à apprivoiser petit à petit ce que représentait Gham et les fonctions de prêtre à son service, la voyageuse n'avait pas parlé à son amant de ses recherches pour se débarrasser du lien. Ni de ce qu'elle avait vu sur le poignet de Kimmer. Elle ne savait pas comment il le prendrait et préférait éviter un conflit inutile. De toutes façons en l'état actuel des choses, il ne servait à rien d'amener le sujet sur le tapis. Elle avait bien quelques pistes, mais rien de concret pour pouvoir agir et brûler ce maudit lien. Elle aurait tout le temps d'aborder le sujet avec le jeune elfe le jour où elle aurait de quoi passer à l'action.
VOUS LISEZ
T3 - L'Incarnat (terminé)
FantasíaA la suite d'un changement de programme, le convoi s'est finalement arrêté à la cité-état de Lochkov, que le Seigneur de Tornquist devrait rejoindre prochainement. Dans le confort d'un palais et à la faveur de la convalescence de Sandre, les deux am...