Chapitre 30

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Sandre resta allongée après le départ de son amant. Elle se roula en boule et décida de se rendormir. D'après ce qu'elle avait compris, il n'en n'aurait que pour quelques heures avant que ses gardes ne le ramènent. Il avait déjà prévenu qu'il y avait des chances qu'il soit inconscient. C'était souvent le cas après avoir été visité par son dieu et il aurait besoin de repos s'il devenait effectivement l'incarnat. Rapport à l'intensité du rite ou quelque chose comme ça. Sandre ne voulait pas le savoir. Elle voulait juste dormir pendant les prochaines heures puis se réveiller à côté de son amant endormi à ses côtés, comme si rien ne s'était passé.

C'était un bon plan. Sauf qu'elle n'arrivait pas à s'endormir. Les yeux grands ouverts dans le noir, ses genoux ramenés contre sa poitrine, elle essayait de respirer profondément, de respirer l'odeur de Dao dans les draps, de se détendre. Mais son coeur tambourinait à toute vitesse et elle avait le souffle court malgré ses efforts. Elle dut bien se rendre à l'évidence : elle avait peur. De quoi exactement, elle n'en était pas bien certaine, il y avait l'embarras du choix. Mais elle n'aimait pas se faire du souci pour des choses sur lesquelles elle ne pouvait pas agir. Elle se retourna et fit un effort pour s'endormir. Sans succès. Elle ne se sentait pas bien, c'était les effets physiques de la peur. Elle réalisa que c'était la proximité imminente de ce maudit dieu des abysses qui avait cet effet sur elle. Elle décida de se lever et s'activer un peu pour ne pas rester dans son lit à trembler comme une feuille. Mais elle était comme figée sur place. Terrifiée.

Puis le rite commença. Elle le ressentit au plus profond d'elle-même. Un picotement là où se trouvait cette maudite marque, et à nouveau cette énergie étrangère qui semblait circuler dans son corps, comme la fois où Dao l'avait soignée dans la grotte, ou lors du rite qu'Orosi avait fait dans les Laurussia. Puis le bruit. Enfin, elle perçut d'abord les vibrations, un son puissant qui semblait faire trembler les murs du palais, le lit où elle était allongée. Elle reconnut la voix sépulcrale, mêlée à des sons d'impact assourdissants, comme si un géant martelait le sol de coup de poings. Un bruit de vent, sifflant, prenant en puissance, lui monta à la tête. Ce souffle semblait comme mêlé de hurlements humains de douleur et de supplication. Sandre perçut une légère lueur rouge qui provenait de l'extérieur.

Elle se cacha sous la couverture, les mains pressées sur ses oreilles. Bon sang, mais qu'est-ce qu'ils étaient en train de fabriquer là dehors ? Malgré ses efforts pour ne pas entendre, le vent lui apporta la voix inhumaine de Gham, son rire dément, son langage inconnu. Cela ressemblait beaucoup trop à ce que Sandre avait vu dans les Laurussia. Elle eut quelques visions de cette nuit-là, fugaces, mais également d'autres, qui n'étaient pas des réminiscences. Elle eut des flashs de son amant possédé par le monstre, les yeux rouges haineux, les mouvements inhumains, dans la cour du château. Des mouvements de combat ou de danse, des animaux mis à mort de manière horrible, un public médusé, et cet homme massif terrifié, à genoux devant le jeune elfe, fermant les yeux de toutes ses forces comme pour stopper le torrent de larmes. Elle sentait la peur monter et gagner en puissance. Les larmes se mirent à couler de ses yeux exorbités. La bouche ouverte, elle n'arrivait ni à respirer ni à crier. Elle voulait juste fermer les yeux, se soustraire à cette terreur. Elle voulait juste que ça s'arrête. Elle ressentit le besoin instinctif d'avoir Dao à ses côtés, puis le visualisa possédé par son dieu et sombra encore plus dans la panique.

Sandre resta prostrée comme ça à subir le rite, pendant ce qui lui parut une éternité où elle crut bien qu'elle allait perdre l'esprit. Puis le tourbillon de sons et de vibrations terrifiants commencèrent à baisser en intensité, tout doucement, jusqu'à s'éteindre complètement. La voyageuse retrouva progressivement l'esprit, ses moyens et un semblant de calme. Elle restait très effrayée mais entreprit timidement d'écarter ses mains qui appuyaient tellement fort sur ses oreilles qu'elle en avait mal au crâne. Elle se déplia lentement et sortit de sous sa couverture. Tout était revenu à la normale. Elle s'assit sur le bord du lit et entreprit de se lever, encore tremblante, puis passa quelques habits. Même si le calme semblait être revenu, elle sentait que quelque chose n'allait pas, mais elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus.
Les bruits horribles de la cérémonie avaient laissé place à une clameur montant des rues, des gens. Pas exactement réjouissant, mais d'origine humaine. C'était parfait pour Sandre, elle aimait mieux ça. Elle s'approcha prudemment de la fenêtre pour regarder dehors. La chambre qu'elle occupait avec le jeune elfe était plutôt en hauteur, offrant une bonne vue sur la ville en contrebas. Il y avait du mouvement. Pas mal de monde. Peut-être des affrontements, ou simplement des mouvements de panique par rapport à ce qui venait de se passer, elle ne pouvait pas vraiment dire à cette distance. Tout ce qu'elle percevait étaient les agrégats de points lumineux des torches et autres lampions des gens qui se déplaçaient dans les rues.

T3 - L'Incarnat (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant