T3 - L'Incarnat (terminé)

Chapitre 13

Après le départ de Sandre ce matin-là, Dao resta un long moment dans le lit. Il n'arrivait pas à se lever. Il avait encore sommeil car il avait peu dormi la nuit précédente, passée dans les bras de sa compagne, à s'abandonner l'un à l'autre avec passion. Au matin, lorsqu'elle voulut partir pour vaquer à ses occupations, il ne voulait pas qu'elle le laisse. Il voulait qu'elle reste près de lui. Il ne voulait pas être seul. Il la retint un moment mais dut se résoudre à la libérer. Et il se retrouva seul, recroquevillé sur le lit, une sensation désagréable dans le ventre. Il voulut se rendormir mais n'y parvint pas. Il tenta de se replonger dans les délicieuses sensations physiques de ses étreintes avec sa compagne, mais le cisaillement dans l'estomac ne voulait pas partir.

Il savait reconnaître l'anxiété, il la connaissait bien. Mais elle était diffuse, il n'arrivait pas bien à en identifier la source. Et il ne voulait pas être anxieux. Il voulait continuer à se sentir bien, à se sentir amoureux, sans que rien d'autre n'ait d'importance. Il y arrivait très bien depuis leur arrivée à Lochkov, mais ce matin-là ça n'était plus possible. Il tourna et se tortilla encore un moment dans son lit, sans trouver ni le sommeil ni la paix, puis décida de prier pour apaiser son tourment.

Il s'étira un moment puis se leva, sans prendre la peine de s'habiller, ferma les rideaux au mieux pour plonger la chambre dans l'obscurité et se dirigea vers le milieu de la pièce, là où il y avait le plus d'espace. Restant debout, il produisit sa dague sacrée et, d'un geste solennel, la ramena sur sa poitrine. Il respira un instant profondément puis se mit doucement en mouvement. Dans les bonnes conditions, la prière était un mélange de chants, mouvements rituels et méditation. Il prit le temps de faire les choses en profondeur car il en avait bien besoin.

Lorsqu'il eut terminé, la matinée était bien avancée. Dao se sentait beaucoup plus calme, plus apaisé. Il rouvrit les rideaux et s'installa dans l'un des fauteuils. Il avait réalisé deux ou trois choses durant sa prière, comme souvent. Il avait compris que son anxiété était là depuis longtemps, mais qu'il avait tout fait pour l'ignorer. Elle était là depuis les événements à Pridoli, et se cachait habilement derrière l'amour qu'il partageait avec sa compagne. Il n'avait pas beaucoup repensé à tout ce qui s'était passé pendant le voyage. Mais il devrait bien y faire face un jour. À ça et à tout le reste. Il laissa aller sa tête en arrière, la reposant sur le dossier de son fauteuil. Les mains sur ses yeux fermés, il inspira profondément et tenta de faire le tour.

Tout d'abord, la trahison de Kimmer. Avec le recul, il se rendait compte qu'il n'était pas tombé follement amoureux d'elle comme il l'avait fait avec Sandre. Qu'il s'était engagé dans cette relation surtout pour pouvoir oublier la voyageuse plus facilement. Mais il avait été manipulé dès la première seconde, par cette femme qui n'avait probablement que du mépris pour lui, et il n'avait rien vu venir. Ça le mettait en colère. Tout ce qu'elle avait dit et fait était faux, un mensonge, et il n'avait rien vu. Comment avait-il pu être aussi idiot ? Et surtout, comment avoir confiance en qui que ce soit après ça ? Si une telle situation se présentait à nouveau, serait-il capable de la reconnaître ? Kimmer était venue le ramasser alors qu'il avait le coeur brisé. Elle avait même réussi à lui faire croire que c'était lui qui prenait les initiatives dans leur histoire. Elle avait subtilement fait en sorte que Sandre et lui se disputent et se séparent définitivement. Elle avait presque réussi. Elle l'avait brossé dans le sens du poil et s'était montrée d'une intelligence démoniaque. Elle avait semé tellement de destruction, sans la moindre arrière-pensée.

Elle lui avait menti pendant des mois, joué avec ses émotions, tué des gens qui comptaient pour lui, essayé de tuer la femme qu'il aimait. Elle avait trahi tous ses hommes pour vraisemblablement rejoindre l'ennemi, ces gens qui avaient tué Dahlia et la moitié de la délégation dans les Laurussia. Personne ne savait qui ils étaient et pourquoi Kimmer les avait rejoints. Mais de toute évidence ils en avaient après Dao. Ce dernier avait été profondément blessé par la Tithonienne et tout le mal qu'elle avait fait. Et pourtant. Malgré toute sa colère vis-à-vis d'elle, même s'il se dégoûtait lui-même de l'admettre, elle lui manquait.