Emotion Chocolat (Tome 2)

1.

Victoria avait sa routine habituelle, elle se levait assez tôt, se douchait, s'habillait et allait prendre son petit-déjeuner en ville deux jours par semaine avant d'aller au travail. Elle avait pris soin d'éviter les lieux où elle se rendait quelques semaines auparavant, ne voulant pas faire de mauvaises rencontres. Ce matin elle se rendit dans le Starbucks proche et s'y pris un cookie aux pépites de chocolat, accompagné d'un thé au miel, aux agrumes et à la menthe. Tout en marchant elle dégusta l'un et l'autre, casque sur les oreilles diffusant un morceau de Delerium feat. Sarah McLachlan "Silence"– la version originale, pas le remix.

Cette musique, quelle que fut la version lui procurait toujours toutes sortes d'émotions, mais surtout une certaine mélancolie intérieure. Comme si elle avait besoin de la musique pour cela... Cela faisait des semaines qu'elle la ressentait mais ne laissait rien transparaître, des semaines qu'elle pleurait dans son lit presque toutes les nuits tant elle se détestait et détestait sa vie. Pourtant, elle avait un toit, la santé, de l'argent... que demander de plus ?

Victoria ne s'aimait pas. Ou du moins ne s'aimait plus. Le reflet du miroir était devenu pénible et elle l'évitait le plus possible, ou lorsqu'elle ne pouvait pas, faisait en sorte de ne regarder nulle part ailleurs que l'endroit nécessaire. Elle avait développé une nouvelle manie qui consistait à grignoter en permanence, peu importe qu'elle eut faim ou non. Il fallait qu'elle mange. C'était pour cela qu'elle tenait à marcher ou faire du vélo dès que le temps le lui permettait, elle se disait qu'un peu d'exercice limitait les dégâts au niveau de son poids.

Grace avait bien remarqué ce petit manège et avait décrété que, dorénavant, tout ce qui était biscuits serait dans son placard, dans sa chambre à elle. De cette façon, elle pouvait contrôler le désordre alimentaire de son amie. Elle l'avait intégrée dans chaque petite chose qu'elle faisait : pâtisserie, sortie shopping, arts manuels, etc. Souvent elle tentait aussi de lui tirer les vers du nez, mais Victoria avait le don pour couper court aux conversation ou alors en détourner le sujet. Surtout quand elle tentait de parler du bouclé.

Elle remarquait bien que son amie et collègue était moins souriante, sortait beaucoup moins ou alors si elle le faisait c'était en se forçant. Son temps libre, elle le passait majoritairement dans sa chambre à regarder des documentaires, des séries, écouter de la musique ou manger. La blonde ne supportait plus de la voir se renfermer comme ça, et la brune avait hâte de trouver un appartement pour ne plus subir le jugement silencieux de l'américaine. Si elle voulait rester dans sa chambre et ne voir personne, c'était son droit le plus ultime. Personne ne pouvait l'obliger à prendre l'air si elle ne le souhaitait pas.

En réalité Victoria souffrait du mal du pays depuis un mois et demi. Sa famille lui manquait, ses amis restés en France également et elle se sentait terriblement seule ici. Elle avait stoppé sa thérapie car n'ayant plus le temps et surtout, la fatigue s'accentuant chaque jour un peu plus. Manger, travailler, dormir, voilà son quotidien. Son teint déjà blanc était devenu encore plus pâle à cause du manque de sommeil, ses yeux étaient cernés de noir parfois tant ses nuits étaient chaotiques par moments. Les cauchemars avaient repris.

En général le rêve commençait normalement, elle se trouvait dans un endroit de New-York à déambuler tranquillement et tout à coup, une catastrophe arrivait. Il pouvait s'agir d'une voiture folle qui fonçait sur tout le monde, de quelqu'un la poursuivant dans Central Park pour la tuer sans qu'elle ne su de qui il s'agissait, ou tout simplement elle tombait dans l'Hudson et ne sachant pas nager, se voyait mourir noyée.

Souvent le réveil se faisait en sursaut ou en criant. Dans ce dernier cas la blonde accourait et la rassurait, avant que la jeune française ne fondit en larmes dans ses bras et se rendormit. Elle en était même venue à se demander si elle ne devait pas aller voir un médecin pour se faire prescrire quelque chose, histoire de gagner une ou deux heures de plus par nuit. Mais sachant qu'un somnifère n'avait une efficacité que de trois heures minimum, et que le reste dépendait des personnes... Autant acheter des tisanes. Elle en buvait des litres de tisanes "Bonne nuit", mais ne dormait pas mieux pour autant.

Elle avait essayé la relaxation également, les vidéos d'ASMR et notamment celle de Harry Styles qu'elle avait trouvée sur YouTube. Mais rien n'y faisait. Entendre quelqu'un chuchoter la stressait encore plus que de l'entendre parler. Et avec l'accumulation au bout d'un moment, les nerfs finissaient par lâcher également et toutes les émotions avec. Il n'était pas rare que la brune pleura de frustration, simplement parce qu'elle n'arrivait pas à faire les choses comme elle le souhaitait. Ce qui l'énervait encore plus.

- Tu devrais prendre une pause, lui dit Grace. Il y a un nouveau magasin de bagels qui a ouvert pas loin, vas te chercher quelque chose et un chocolat chaud.
- Je croyais que tu ne voulais pas que je grignote, dit-elle avec un regard noir.
- Tu vas tomber dans les vapes si tu ne manges pas quelque chose de sucré Victoria. Alors, vas.
- OK, OK, si tu insistes.

La brune partit en réserve pour enfiler sa veste et sa casquette, prit vingt dollars dans son porte-feuilles et les enfonça dans sa poche avant de quitter la boutique. Quelques mètres plus loin se trouvait le fameux magasin Pick a Bagel dans lequel elle entra et prit deux bagels nature, paya et décida de se rendre dans un café proche pour prendre une boisson chaude et sucrée. Elle se dirigea vers un établissement appelé TheJolly Goat où elle prit un petit gobelet de chocolat chaud à emporter.

Puis, tout en retournant au travail elle dégusta son bagel et sirota sa boisson. Inconsciemment ses yeux scrutaient les environs à la recherche du bouclé, elle le savait dans le coin puisqu'elle l'avait aperçu plusieurs fois à travers la vitrine. Elle soupçonnait même Grace de lui avoir parlé pour tenter d'arranger les choses. Mais il n'y avait rien à arranger. Elle ne voulait pas avoir quelconque lien avec lui, ils pouvaient le comprendre, non ?

Elle avala sa dernière bouché de bagel, décidant de laisser le deuxième pour son amie lorsqu'elle s'arrêta net au milieu du trottoir. À une dizaine de mètres devant elle environ se trouvait le bouclé. Il dû la reconnaître également car lui aussi avait ralenti son pas. Elle regarda machinalement autour d'elle pour trouver un échappatoire, mais c'était trop tard. Il accélérait déjà son pas pour se rapprocher d'elle. Faire quelque chose. Vite ! Elle baissa la tête et marcha rapidement pensant le semer de cette façon...C'était mal le connaître.

Alors qu'elle le dépassa, le jeune homme se tourna vers elle à moitié surprit de sa réaction. Il décida de la suivre et l'interpeller. Il ne faisait rien de mal, il voulait simplement lui parler. Il remarqua son regard fatigué et ses yeux vitreux, il sut instantanément qu'elle n'allait pas bien. Était-ce à cause de lui ? Il s'en voulut de ne pas avoir persévéré un peu plus, mais au vue de la fuite de la brune il lui aurait été difficile de faire plus.

- Victoria s'il te plaît, attends, il courut jusqu'à elle et s'arrêta devant elle, l'obligeant à se stopper également.
- Laisse-moi, elle garda la tête baissée sur les chaussures de son ancien ami. S'il te plaît, sa gorge était serrée.
- Est-ce qu'on peut essayer de parler au moins ?
- Non. Maintenant, s'il te plaît, elle prit une grande inspiration, laisse moi retourner au travail.
- Victoria... Je sais que tu ne vas pas bien.
- Grace t'as parlé c'est ça ? Elle releva enfin les yeux pour les planter dans ceux du jeune acteur.
- Non. Mais je suis capable de voir un regard fatigué quand j'en croise un. Est-ce que tout va bien ?
- Oui. Pourquoi ça n'irait pas ? Elle se força à sourire sous son masque pour qu'il gagne son regard, en vain.
- Laisse moi t'inviter à dîner quelque part ce soir, il tenta.
- Non. Timothée je dois aller travailler. J'ai pas le temps.

Et sur ce elle le contourna et avança d'un pas rapide vers la boutique quelques mètres plus loin, Timothée restant là sur le trottoir, les bras ballants à la regarder s'éloigner. Bon, il avait réussi à échanger quelques mots avec elle, c'était toujours mieux que rien, même s'il restait inquiet. Elle n'avait clairement pas bonne mine et il ne se voyait pas questionner la blonde. C'était à Victoria de lui en parler si elle le souhaitait. Il parviendrait à savoir ce qu'elle cachait et pourquoi elle était devenue si distante et froide du jour au lendemain.