La Voie des Yetts

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« Aller, on se réveille ! »

Je quitte un sommeil sans rêves. Même si on m'a prêté une petite couverture, je sens le froid qui semble déposer un voile de givre sur ma peau et mes os à chaque fois qu'un peu d'air s'engouffre sous mes vêtements. J'ai dormi un long moment, nous sommes presque arrivés à Sout-dor. La ville se tient entre quelques collines, et à peine plus au Nord, les montagnes de l'Elme nous font face, comme les remparts d'une citadelle imprenable. Les traces d'anciennes rivières lézardent ce mur, mais les lames de glace aux sommets coupent tout chemin facile. Comment est-il simplement possible que des gens survivent dans ces montagnes ?

Deux gardes mettent le pied à terre. Celle-ci crisse et craque. Des fentes pleines de cristaux de glace se voient dans le sol glaiseux. Et pourtant, l'été est en cours. Vers le Sud, je vois les champs de lemmoles, et l'aboiement d'un chien me parvient. Quelques arbres se fraient un chemin dans la lande, mais à part cela, rien à l'horizon. La route que nous empruntons pour rejoindre Sout-dor se distingue à peine du sol abimé par les gelées annuelles.

Je ne comprends pas pourquoi nous nous sommes arrêtés. Il y a bien un petit cairn sur le bord du chemin, mais personne ne nous attend. Je regarde Alek, lui aussi est perplexe. Une peur me vient. Et si nous devions en réalité être exécutés loin de tous regards ? Non, c'est impossible... J'observe les gardes, et je tourne sur moi-même, scrutant le paysage. Rien.

Puis, je l'aperçus.

Une silhouette s'approche, silencieusement, comme l'ombre d'un nuage. Je crois d'abord voir un ours, puis un homme imposant, et finalement, une Yett. Seule, elle tranche l'horizon pour nous rejoindre, sans quitter des yeux notre cohorte. Je ne peux pas tourner la tête. Sa démarche m'envoute alors que je sais que sa mission sera de nous tuer.

Elle avance sans un mot, droit vers le chef des gardes. Ils commencent à échanger des mots mais ma fascination m'interdit de comprendre. Elle n'est pas très grande, sa chevelure est très longue et est enroulée en écharpe autour de son cou. Sa tenue n'est pas particulièrement épaisse. Les courants d'air glaciaux la contournent et ne soulèvent même pas une mèche de ses cheveux, ses fourrures ne frémissent pas.

« Vous serez payés une fois votre mission remplie, Dragura.

— Les traditions sont les traditions. Vous souhaitiez faire cela ainsi, je vous conseille de respecter vos termes. »

La dénommée Dragura est incroyablement calme. Elle me fait peur, je dois l'admettre.

« Notre mission n'est pas de tuer ces gens, mais de juger s'ils sont aptes à devenir des Yetts. C'est pourquoi nous devons être payés en avance. Nous devons acheter des vivres et prendre soin de nos équipements. »

Le chef des gardes fulmine. Il a tenté au moins quatre fois d'interrompre la Yett, sans succès. Sa voix monotone n'a pas vacillé. Si nous survivons, deviendrons-nous semblables, elle et nous ? Le soldat parvient enfin à imposer sa voix.

« Bon. Dites-moi la somme qu'il vous faut pour vous préparer. Vous recevrez le reste une fois que ces criminels seront morts. Ou disparus. Nevland dans son ensemble nous regarde, je vous conseille d'être impartiale dans votre jugement... »

Dragura dit alors une somme. Avec une moue agacée, le chef sort une bourse et lui donne la somme en pièces d'or. La Yett n'acquiesce qu'à peine. Elle se détourne sitôt les pièces empochées, et s'approche de nous d'un pas déterminé. Elle fait subtilement crisser les quelques cailloux du sentier. J'ai peur.

Sans un mot, elle monte dans la charrette et s'installe face à moi. D'un signe, elle indique à mon frère de passer de mon côté. Elle regarde les gardes et leur chef, puis ceux-ci vont se répartir dans une autre voiture.

Nevland - cycle des aciers [réécriture en cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant